La Majorité présidentielle et l’Opposition présente au Dialogue sont des regroupements politiques hétéroclites et inconstants

Vendredi 9 septembre 2016 - 10:37
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Un adage chinois dit : si on oublie l’histoire en courant, elle vous rattrape dans la course. La classe politique congolaise n’est pas amnésique, mais plutôt fondamentalement bipolaire. A chaque crise politique, il surgit une recomposition politique du pouvoir et de l’opposition dite modérée, sur fond d’opportunisme et de positionnement politique viscéral.

Cette inconstance des acteurs politique congolais a été de manière catégorique relevée par Abdoulay Wade lors des négociations politiques de 1990, où il a sévèrement jugé la classe politique congolaise comme « n’ayant pas de culture politique ». Elle engage des débats sans
méthode, sans considération de la raison d’Etat et sans rationalité dans le traitement des matières soumises au débat et généralement elle débat  sur des sujets hors « intérêt sociétal » et donc sans portée politique fondamentale.

Le recours répété aux facilitateurs ouest-africains dans les négociations politiques congolaises est également un indice d’infériorité manifeste des acteurs politiques congolais par rapport à ceux des pays ouest-africains, alors que ces derniers pataugent dans des crises politiques parfois plus aigües que celles généralement
passionnelles congolaises.
Dès la venue de la libéralisation politique en 1990 et lors des
préparatifs de la Conférence Nationale Souveraine, la majorité
présidentielle du régime Mobutu s’est disloquée, avec le départ
fracassant des grands ténors du régime, dont principalement le clan
Kengo, le clan Ileo et le clan Nguz Karl-i-Bond et Mandungu/Kamanda.
Ces derniers constitués en nouveaux partis politiques de l’opposition,
dont l’« Union des Démocrates Indépendants (UDI) »  le « Parti des
Démocrates Socio-Chrétiens (PDSC),  l’« Union des Fédéralistes
Républicains Indépendants (UFERI) » et le «  Front des Congolais
Démocrates », lesquels vont rejoindre Etienne Tshisekedi, alors que
leurs leaders étaient pourtant ses farouches adversaires pendant les
années 80.
L’épreuve engagée place la majorité présidentielle dans un rapport de
force inconfortable, parce que privée de ses vaillants et expérimentés
acteurs politiques.  Le régime Mobutu en perte de vitesse sera obligé
de s’engager dans une campagne de récupération de nouveaux partis
nouvellement créés pour faire du remplissage numérique en prévision
d’imminentes négociations politiques avec l’opposition pour la
formation d’un gouvernement d’union nationale.
Ces négociations engagées à Nsele en juin 1992 entre les partisans du
régime Mobutu et ceux de l’opposition radicale donnent avantage à ces
derniers, avec l’appui de UDI-PDSC-UFERI, dans un compromis politique
rendu public le 31 juillet 1992. Celui-ci consacre la nécessité d’un
Gouvernement de transition, lequel sera dirigé par le Président en
exercice et un Premier Ministre issu de l’opposition, à la suite de
son élection à la Conférence Nationale Souveraine et sur base d’un
nouvel Acte Constitutionnel.
Sous la pression des événements, le Pouvoir piège le Premier Ministre
Etienne Tshisekedi pour sa nomination avant la mise en œuvre de l’Acte
Constitutionnel issu de la Conférence et donc sa nomination était
censée être régie par la Constitution encore en vigueur. Le Premier
Ministre constatant son erreur, va biffer dans son acte de serment la
mention « Constitution ». Ce qui lui coûtera sa démission le 30
novembre 1992.
Le deuxième dialogue engagé entre le Pouvoir et l’Opposition et
consacré par  les Accords de Gbadolite le 22 novembre 1992 permet la
reconduction d’Etienne Tshisekedi  comme Formateur d’un nouveau
gouvernement d’union nationale le 1er décembre 1992.
Mais le refus du nouveau Formateur d’inclure certains proches du
Président Mobutu dans ce nouveau gouvernement, fait prendre à Mobutu
la décision de sa démission et la nomination d’un Collège des
Secrétaires Généraux le 10 décembre 1992, chargé d’expédier les
Affaires courantes du Gouvernement.
Le régime en place va utiliser une stratégie d’usure, laquelle
conduira à l’éclatement de l’opposition en deux grandes tendances,
celle dite radicale d’Etienne Tshisekedi et celle dite modérée ou de
la troisième voie avec les anciens défroqués de la majorité
présidentielle, notamment Kengo, Ileo, Nguz, Mandungu et Kamanda.
Dans la course pour remplacer Etienne Tshisekedi, le groupe
Nguz-Mandungu-Kamanda va rejoindre le camp de la Majorité
présidentielle en créant l’« Alliance Démocratique pour les Elections
Libres » avec comme principal objectif de soutenir la candidature de
Mobutu à la prochaine élection présidentielle. Sur base de ce
revirement, Nguz sera nommé Premier Ministre de la Transition.
Mais les graves événements de massacres des Kasaïens au Katanga vont
obliger le Pouvoir et l’Opposition à relancer de nouveau le dialogue
le 9 mars 1993. Et encore une fois, devant le refus d’Etienne
Tshisekedi d’y prendre part, le Pouvoir va procéder au débauchage au
sein de l’opposition dite de la troisième voie un certain nombre de
leaders de l’Opposition, dont le nouveau Premier Ministre Faustin
Birindwa.
La communauté internationale va s’y mettre pour rendre ce nouveau
gouvernement inopérationnel, en  lui imposant en juin 1993 des sévères
sanctions, dont la suspension de toute aide même humanitaire et
l’interdiction de tout séjour à l’étranger des Membres du Gouvernement
et des fonctionnaires de services publics.
Devant la paralysie totale de l’Etat et de nombreuses émeutes
sociales, le pouvoir ouvre un nouveau Dialogue avec l’Opposition au
Palais du peuple le 31 juillet 1993, sous la médiation de Lakhdar
Brahimi. Dans l’entre-temps, la plus grande mutation politique est la
stratégie de Léon Kengo wa Dondo qui a créé au sein de la troisième
voie une plate-forme dénommée « Union pour la République et la
Démocratie ».
A l’issue de ces négociations du Palais du Peuple, il sera mis fin au
dédoublement des institutions avec un seul Parlement accouplé entre
l’Assemblée Nationale et le Haut Conseil de la République, un seul
acte constitutionnel promulgué le 9 août 1994 et un seul Premier
Ministre, Léon Kengo wa Dondo désigné le 14 juin 1994.
Toute la décennie 90 a été dominée par le jeu de cette troisième voie
jusqu’à l’entrée en scène de la rébellion AFDL et la chute du régime
Mobutu en mai 1997. En effet, à chaque tentative de dialogue entre le
pouvoir et l’opposition, l’absence d’Etienne Tshisekedi est saisie par
la troisième voie pour gagner la mise.
Il en sera ainsi lors des négociations des années 2000 ayant conduit
aux Accords de Sun City du 17 décembre 2002, ayant donné lieu à un
gouvernement de Transition avec quatre Vice-Présidents  –le poste
réservé à l’Opposition non armée ayant été curieusement confié à un
ancien seigneur de guerre, Z’Ahidi Ngoma- et un Parlement de
Transition composé de représentants du Gouvernement, de l’Opposition
armée, de l’Opposition politique non-armée sans l’UDPS  et la Société
Civile.
Lorsqu’on sait que c’est ce Parlement de transition qui est le
législateur de la Constitution en vigueur du 18 février 2006 et que
les principales dispositions constitutionnelles n’ont pas fait l’objet
de contestations majeures en rapport avec les observations formulées
par l’UDPS avant et après le référendum, il sied de se rendre à
l’évidence que l’UDPS a le cœur ailleurs ou sa stratégie politique
est dans la rue.
Le dilemme du dialogue actuel est celui de concilier d’une part le
point de vue d’une opposition radicale, dont la principale stratégie
consiste à mettre le pouvoir en face de masses de la rue, en cas de
non-respect des délais constitutionnels, et d’autre part celui de la
majorité présidentielle, dont l’ordre institutionnel et l’ ordre
constitutionnel sont mis à mal par un gouvernement qui a,  de manière
intentionnelle, manqué à l’obligation constitutionnelle d’organiser
les élections.
A ce dilemme s’ajoutent les traditionnels ingrédients d’échec , dont
l’hétéroclisme politique dans la composition de la majorité et de
l’opposition présente au Dialogue national, l’exclusion des opposants
de poids, la démesure des ambitions des uns et des autres, la
précarité du rôle de facilitateur controversé tel dans un  « turbulent
field ».
En ce qui concerne l’hétéroclisme politique, sur les 60 délégués de
la première liste de la majorité au dialogue, on compte de nombreux et
virulents opposants issus de l’Ancien RCD, notamment Thambwe Mwamba,
Mende Omalanga, Kin-Kiey Mulumba, Elysée Munembue, Eugène Serufuli,
Boniface Balamage ; quelques anciens hauts cadres du MLC et d’anciens
partis de l’Opposition à Kabila, dont Thomas Luhaka, Mokolo wa Pombo,
Alain Atundu, Bienvenu Liyota, Jean Claude Baende, Ngoy Kasanji, Jean
Claude Mokeni,  Mboso Kodia et Michel Sakombi.
Il s’agit donc de près du quart de la première liste des délégués
désignés par la majorité présidentielle pour le Dialogue national
issus de l’opposition en lutte pour le repositionnement  politique et
sur les tiers autres restants, il n’y a aucune lumière éclatante  du
moins pour les deux tiers d’entre eux.
Au niveau des membres délégués de l’opposition au Dialogue national,
le même constat de disparité ou de contradiction dans la vision
politique des uns et des autres, au point qu’on ne pourrait tout de
même pas imaginer Kamerhe et Jean Lucien Mbusa  partager un même
espace d’entente ou moins encore Mwenze Kongolo et Corneille Mulumba,
pire Kengo et Makila, etc…
En ce qui concerne les opposants de poids restés en dehors du
dialogue, il y a lieu de se demander si le G7 peut faire des cadeaux à
Tshisekedi et si ce dernier peut imaginer leur céder ou partager son
leadership avec des personnes qui ont construit le régime Kabila.
A propos de la démesure des ambitions des acteurs politiques
congolais, il y a lieu de se demander si Kengo wa Dondo peut se
laisser voler par Kabila ou par Kamerhe son statut de Président
intérimaire à la suite de la vacance créée par l’empêchement définitif
du Président actuel après le dépassement de son mandat électif.
Le vrai débat est celui-là et c’est là où les Romains vont
s’empoigner avec un dénouement institutionnel et constitutionnel qui
penche déjà en faveur de Kengo, à moins que le Sénat soit reconstitué
autrement avec un nouveau Bureau, au sein duquel se trouverait le
Sénateur Kabila bénéficiant d’une nouvelle majorité.
Il faudrait bien s’inspirer des expériences du passé, à chaque
dialogue, c’est la troisième voie qui l’emporte : ni le pouvoir ni
l’opposition radicale n’en ont jamais tiré grand profit. A moins que
les forces de l’ordre ou les masses de rue en décident autrement.

Enfin, en rapport avec la faible marge de manœuvre du Facilitateur
Edem Kodjo, il y a lieu de faire remarquer que suite au cumul de
mauvaises passes à la fois vis-à-vis de l’opposition radicale et des
impératifs de la Résolution 2277 des Nations Unies, il ne lui reste
qu’une seule option de force majeure. Il s’agit de s’en remettre à
l’Union Africaine, aux Nations Unies, à l’Union Européenne et à la
Francophonie pour un appui plus consistant en termes de moyens
financiers et logistiques en vue d’organiser  des élections dans les
délais de bonne convenance entre les participants du dedans et du
dehors du dialogue national actuel.
Pensez autrement, c’est exposer le pays au chaos total. On aura ainsi
détruit, après 10 ans d’exercice,  la seule grande expérience
démocratique en Afrique Centrale.

Jean Marie Nkashama Nkoy
(C.P.)