Léo Tindemans à Gbadolite en 1988 pour « permettre aux Belges et aux Zaïrois de s’exprimer franchement »

Mardi 30 décembre 2014 - 09:13

L’ancien Premier ministre belge Léo Tindemans, décédé vendredi 26 décembre 2014 à l’âge de 92 ans, reste dans la mémoire des Congolais comme le ministre des Relations extérieures du Royaume de Belgique qui s’était entretenu en décembre 1988 à Gbadolite (Equateur, nord-ouest de la RD Congo) avec le maréchal Mobutu Sese Seko, alors président du Zaïre, pour « permettre aux Belges et aux Zaïrois de s’exprimer franchement ».

« Les deux parties ont décidé d'établir des mécanismes qui permettront à l'avenir aux Belges et aux Zaïrois de s'exprimer franchement. Elles vont créer des cadres de discussion qui devraient permettre d'éviter de futurs malentendus », avait-t-il expliqué à la presse avec les entretiens des deux personnalités, le mardi 20 décembre 1988.

Expliquer la position du gouvernement belge

« Le fait d'avoir été reçu de cette manière est déjà en soi un élément très positif. Nos entretiens au cours desquels j'expliquerai la position du gouvernement belge se poursuivront cet après-midi encore », avait déclaré à la presse Léo Tindemans au sortir de son premier entretien avec le maréchal Mobutu.

Entouré de son chef de cabinet spécialiste de la coopération, Leenaerts, du directeur général au Commerce extérieur, Guy Hoppinge, et de l'ambassadeur de Belgique à Kinshasa, il paraissait « tendu mais raisonnablement optimiste » sur la terrasse du palais présidentiel de Gbadolite, après un petit déjeuner de travail d'une heure avec le président zaïrois.

Du côté zaïrois, le président était accompagné du secrétaire d'Etat aux Relations extérieures, Buketi, et du directeur du Bureau présidentiel.

« Une mission impossible pour l'homme d'Etat belge »

L'Agence zaïroise de presse (AZAP) avait estimé que le premier entretien entre le président Mobutu et le ministre belge Tindemans était u« une mission impossible pour l'homme d'Etat belge dépêché par son gouvernement pour tenter d'éteindre l'incendie que la Belgique a imprudemment allumé et qui consume les liens historiques et d'amitié entre Belges et Zaïrois».

«En effet, après ce premier contact, M. Tindemans est apparu tendu et un peu nerveux devant les caméras de la presse belge et zaïroise en dépit d'un gros effort de sa part pour afficher le masque de sérénité et d'optimisme que cependant trahissait un débit d'élocution saccadé et des propos quelque peu amers à l'endroit des commentateurs belges», avait affirmé l'AZAP.

«A-t-il été suivi par le chef de l'Etat sur cette voie de conciliation que l'opinion publique zaïroise considère un peu tardive? », s'était-elle interrogée.

De l’avis du ministre belge, « c'est l'un des meilleurs entretiens » qu'il ait eus avec le maréchal Mobutu. «Nous continuons cet après-midi. La Belgique n'impose rien et entend discuter ses propositions avec le Zaïre», avait-il assuré.

« Sur ce point, l'affirmation du ministre belge semble controversée à Gbadolite où prédominent les indications sur la détermination du maréchal Mobutu et de son peuple d'en finir, une bonne foi pour toutes, avec la duplicité et l'hypocrisie des autorités belges», avait commenté l’AZAP.

Les mêmes milieux de Gbadolite cités par l'agence croyaient savoir que « le maréchal Mobutu a tenu un langage ferme et sans détours à M. Tindemans pour souligner la responsabilité totale du gouvernement belge dans la campagne de dénigrement et de discrédit qui se développe en Belgique contre le Zaïre et son chef ».

«Finis les atermoiements et les faux fuyants. Bafoué, le Zaïre a pris ses responsabilités dans le cadre de sa souveraineté pour défendre sa dignité. Toute possibilité de marchandage sur cette question n'est pas envisageable, du moins dans le chef du peuple zaïrois», avait souligné l'AZAP.

Zaïre-Belgique: le moment est venu de calmer le jeu

Les journalistes belges Colette Braeckman et Guy Depas, qui couvraient le voyage de Léo Tindemans, avaient fait le récit suivant :

Il semble bien que la Belgique, si soucieuse de toujours se situer dans le cadre défini par les accords de Toronto sur la dette, si désireuse de respecter les prescriptions du F.M.I., si fidèle à l'Alliance atlantique et à l'amitié américaine, si férue de solidarité européenne, ait cette fois recueilli le fruit de son orthodoxie: ses alliés ont refusé d'entrer dans le jeu zaïrois et de fournir une alternative à la rupture avec l'ancienne métropole.

Depuis plusieurs jours déjà, on savait que le gouvernement français avait rassuré les Belges, et selon M. Tindemans, le ministre français des Affaires étrangères, M. Roland Dumas, aurait souhaité s'entretenir du Zaïre avec la Belgique.

En outre, les États-Unis, avant même l'entrée en fonctions de George Bush, auraient envoyé à Kinshasa des signaux prudents mais fermes: Washington ne souhaite pas que le Zaïre rompe avec la Belgique.

Pour des raisons financières: rien ne dit que le Congrès américain accepterait d'augmenter de manière spectaculaire l'aide au Zaïre. Des raisons diplomatiques: les États-Unis sont conscients du rôle joué par le Zaïre en Afrique australe (le soutien à l'U.N.I.T.A., l'ouverture à l'Afrique du Sud), mais ils estiment aussi que la présence belge est dans cet immense pays un facteur de stabilité, y compris sur le plan militaire.

Les Belges en effet, s'ils n'occupent pas, comme les Français, des postes de commandement dans l'armée, ou comme les Israéliens des fonctions de sécurité, demeurent des conseillers très écoutés. Les États-Unis reconnaissent qu'au Zaïre, la Belgique est en quelque sorte un pays clé.

Les Etats-Unis enfin, qui sont les plus fermes défenseurs de l'orthodoxie du F.M.I., ne pouvaient approuver la décision zaïroise de ne pas payer la dette publique due à la Belgique, ni préconiser une solution bilatérale que la Belgique, en dehors du cadre de Toronto, aurait apporté au problème de la dette.

Le cadre de Toronto

C'est là que le Zaïre s'est trouvé coincé: la Belgique, même si elle avait voulu effacer la dette publique, ou apporter une solution plus généreuse au problème de la dette commerciale, dont le montant va de 35 à 100 milliards de francs belges selon les options de calcul, ne pouvait le faire, en raison des engagements pris à Toronto et qui stipulent expressément que toute mesure d'allègement de la dette doit se faire après que le pays intéressé ait conclu un accord avec le Fonds monétaire international.

On peut critiquer une telle clause, considérer qu'elle brime l'éventuelle générosité des pays créanciers ou qu'elle porte atteinte à la souveraineté des pays débiteurs, mais le fait est là: l'accord avec le F.M.I. est indispensable.

Sur ce point, le Zaïre est placé devant une échéance importante: il doit dans les jours qui viennent signer une lettre d'intention avec le Fonds, qui mènera, vers le mois de mars, à la conclusion d'un accord, et au déblocage de capitaux frais.

En juin dernier déjà, alors que le Zaïre, considérant avec raison qu'il exportait plus de capitaux qu'il n'en recevait (deux milliards de dollars de sortie pour un milliard de rentrées), avait décidé de rompre les ponts, M. Camdessus, le président du F.M.I., avait demandé et obtenu la médiation de Bruxelles.

L'ascenseur est aujourd'hui renvoyé: le F.M.I. ne signera rien à Kinshasa tant qu'un accord ne sera pas conclu avec Bruxelles. Si cette tendance se confirme, le président Mobutu aura sous-estimé la solidarité des créanciers et surestimé la capacité du Zaïre de susciter des sympathies agissantes parmi les pays occidentaux.

Il est vrai que le Maréchal-Président, s'il excelle à jouer sur le registre des relations Est-Ouest et à nouer les fils des relations bilatérales, maîtrise moins bien la complexité des relations multilatérales. Or, ces dernières suscitent des solidarités quasi obligatoires entre pays européens d'abord, et ensuite, plus largement, entre les pays situés du même côté de la table du F.M.I.: celui des bailleurs de fonds.

M. Mobutu sous séquestre ?

L'Etat belge a mis sous séquestre hypothécaire plusieurs propriétés que le président Mobutu possède à Uccle, écrit mercredi le quotidien économique De Financieel Ekonomische Tijd qui affirme avoir reçu confirmation de cette mesure par le bureau des hypothèques de Bruxelles.

La somme due (intérêts de retards compris) s'élèverait à 3,8 millions de francs, ajoute le journal.

Mercredi, le ministère des Finances indiquait que l'Etat n'avait pas pris les mesures en question mais que le receveur local des contributions est un fonctionnaire personnellement responsable devant la Cour des Comptes et qu'il est donc autonome dans l'exercice de ses fonctions.

Selon le porte-parole du ministère, le receveur local des contributions a demandé le 27 décembre une «inscription hypothécaire», mesure «purement conservatoire» dans le cadre de l'affaire Cotoni (société se réclamant d'une créance sur le président zaïrois). (D'après Belga).