Massacres de Beni : HRW invite la CPI à ouvrir une enquête

Mercredi 17 décembre 2014 - 13:54

L’Ongdh américaine appelle l’armée et l’ONU à tout mettre en œuvre pour assurer la protection des populations civiles dans cette partie de la RDC en proie à une violence sans pareille

Dans un rapport rendu public hier mardi 16 décembre 2014 à Goma, chef lieu de la Province du Nord Kivu, Human Rights Watch (HRW) invite la Cour Pénale Internationale (CPI) à ouvrir une enquête à Beni en vue de faire la lumière sur les tueries à répétition qu’ont connues et continuent de connaitre les populations civiles.

» La Procureure de la Cour pénale internationale devrait réunir des informations et examiner les abus en vue de déterminer si une enquête de la CPI sur les crimes allégués dans la région de Beni est justifiée.

La CPI a compétence sur les crimes internationaux graves commis en RD Congo. Elle a ouvert une enquête sur la situation dans ce pays en juin 2004. Elle peut intervenir lorsque les tribunaux nationaux n’ont pas la volonté ou la capacité de juger les crimes graves commis en violation du droit international « , écrit HRW dans un communiqué.

En dehors de la CPI, HRW estime que les responsables judiciaires congolais, avec l’appui des agences internationales qui soutiennent le système judiciaire de la RD Congo, devraient de toute urgence mener des enquêtes pénales crédibles et approfondies sur la récente vague de meurtres, y compris sur la responsabilité des attaques et la source de leur soutien.
» Les partenaires de la RD Congo devraient soutenir le renforcement des capacités de renseignements dans la région pour déterminer la responsabilité des récentes attaques et pour améliorer la protection des civils « , soutient l’Ongdh.

Cette dernière précise dans son rapport que des combattants rebelles non identifiés ont tué au moins 184 civils et blessé beaucoup d’autres civils lors d’attaques contre des villages dans le territoire de Beni depuis octobre 2014. De tels meurtres constituent des crimes de guerre, signale HRW.

Selon l’organisation, des victimes et des témoins ont décrit à Human Rights Watch les violentes attaques au cours desquelles les combattants rebelles ont méthodiquement tué des civils à coups de hache, de machette et par arme à feu.

» Des attaques de grande ampleur menées quasiment une fois par semaine par des rebelles terrorisent les résidents de Beni, qui ne savent pas où se tourner pour obtenir une protection » a déclaré Ida Sawyer, chercheuse senior sur la RD Congo à Human Rights Watch. » Les forces des Nations Unies et de la RD Congo doivent de toute urgence coordonner leurs efforts et améliorer la protection des civils à Beni. « , ajoute l’association.

Selon des hauts responsables des Nations Unies et de l’armée congolaise cités par HRW, les récentes attaques seraient menées par les Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces, ADF), un groupe rebelle islamiste d’origine ougandaise qui est actif sur le territoire de Beni depuis 1996.

Opposés au président ougandais Yoweri Museveni, ces rebelles sont présents dans l’Est de la RDC depuis 1996, et leurs effectifs tourneraient autour de 400 combattants.

L’armée a entrepris une nouvelle fois cette année de les mettre hors d’état de nuire, mais après leur avoir porté de gros coups au premier semestre, l’offensive militaire s’est relâchée et les rebelles ont repris l’initiative.

La population de Beni et de ses environs accuse l’armée congolaise et les Casques bleus de la Monusco de passivité ou d’incompétence, au vu de leur incapacité à faire cesser ces tueries.

La Monusco qui compte vingt mille hommes a notamment pour mission de protéger les civils et de neutraliser tous les groupes armés qui sévissent encore dans l’Est de la RDC.

Les Fardc et les casques bleus appelés à agir

Pour HRW, les Casques bleus « devraient intensifier les patrouilles dans les zones affectées, y compris des patrouilles à pied et de nuit, et implanter des bases d’opérations mobiles plus près des villages isolés où la plupart d’attaques récentes ont eu lieu ».

La MONUSCO devrait intensifier les patrouilles dans les zones affectées, y compris des patrouilles à pied et de nuit, et implanter des bases d’opérations mobiles plus près des villages isolés où bon nombre des attaques récentes ont eu lieu, a ajouté Human Rights Watch. Des chargés de liaison communautaire (Community Liaison Assistants, CLA), parlant la langue locale et ayant une bonne connaissance du contexte local, devraient immédiatement être placés au sein des unités de la brigade d’intervention et des contingents de maintien de la paix basés dans la région de Beni. » Des mesures beaucoup plus importantes pourraient être prises pour accroître la protection des civils et empêcher le prochain massacre « , a conclu Ida Sawyer.

» Les soldats de maintien de la paix des Nations Unies devraient renforcer les liens avec les communautés locales et se tenir prêts à se déployer immédiatement dans les zones menacées. « , a-t-elle renchérie.

HRW demande également aux autorités congolaises de laisser les observateurs des droits de l’Homme des Nations unies accéder aux zones où les attaques sont commises.

Des officiels indiquent que les ADF agissent peut-être conjointement avec des combattants d’autres groupes armés. Les officiels des Nations Unies et de la RD Congo devraient approfondir leurs enquêtes sur l’identité des assaillants et de ceux qui les soutiennent, a déclaré Human Rights Watch.

Des meurtres par crucifixion

Dans son rapport, HRW indique que les combattants des ADF, y compris des Ougandais et des Congolais, sont responsables de plusieurs dizaines d’enlèvements au cours des dernières années.

Des civils qui avaient été précédemment détenus dans des camps des ADF ont décrit à HRW d’avoir vu des meurtres par crucifixion, des exécutions de captifs ayant tenté de s’échapper et des personnes avec la bouche cousue pour avoir prétendument menti à leurs ravisseurs.

Certains prisonniers accusés de » mauvaise conduite » étaient maintenus dans des trous ou dans un coffre renforcé avec des clous pendant plusieurs jours ou pendant plus d’une semaine. Les attaquants ont aussi violé des femmes et les ont forcées à devenir leurs » épouses « .

En janvier, l’armée congolaise a officiellement lancé une nouvelle phase d’opérations militaires contre les ADF avec une assistance logistique limitée de la part de la mission de maintien de la paix de l’ONU en RD Congo, la MONUSCO, et de sa brigade d’intervention, un contingent de 3 000 hommes au sein de la MONUSCO créé au milieu de l’année 2013 pour mener des opérations militaires contre les groupes armés.

La toute dernière vague d’attaques a commencé plusieurs mois après que l’armée congolaise a chassé les ADF hors de leurs bases principales. Au cours des derniers mois, la MONUSCO a considérablement renforcé sa présence dans la région de Beni dans une tentative de mieux protéger les civils.

Certains témoins ont expliqué n’avoir obtenu aucune réponse, ou qu’une réaction tardive, lorsqu’ils ont sollicité la protection de l’armée.

Les officiels des Nations Unies ont indiqué que l’armée s’est opposée aux tentatives de l’ONU de coordonner la protection des civils, et a empêché les troupes de l’ONU d’effectuer des patrouilles dans certaines zones.

Le gouvernement congolais devrait s’assurer que les troupes et les observateurs des droits humains des Nations Unies obtiennent un accès immédiat et sans entrave à toutes les zones où les attaques ont eu lieu, ainsi qu’aux zones où les civils peuvent être exposés à un risque accru, conformément au mandat de la MONUSCO en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, qui autorise les troupes de l’ONU à prendre des mesures militaires ou non militaires pour protéger les civils, a déclaré Human Rights Watch.

Chiffres à l’appui

Au cours de deux missions de recherches dans le territoire de Beni en novembre et lors des entretiens avec plus de 70 victimes et témoins des attaques et d’autres personnes, Human Rights Watch a confirmé le meurtre d’au moins 184 personnes pendant les attaques menées entre le 5 octobre et le 6 décembre dans le quartier de Boykene de la ville de Beni et dans les villages de Linzosisene, Oicha, Ngadi, Kadou, Erengeti, Ondoto, Kambi ya Chui, Manzati, Tepiomba, Vemba, Ahili et Manzanzaba.

Il est probable que le nombre véritable de personnes tuées pendant ces attaques est considérablement plus élevé. Mais des Ongdh locales ont documenté les meurtres de plus de 230 civils dans la région de Beni depuis le début du mois d’octobre.

Une attaque de grande ampleur a été menée le 20 novembre 2014 dans les villages de Vemba et Tepiomba et dans les zones environnantes, en bordure du Parc national des Virunga.

Cette attaque a fait au moins 50 morts et peut-être beaucoup plus. Lors d’une autre attaque, menée le 6 décembre dans les villages d’Ahili et de Manzanzaba, les combattants ADF ont tué au moins 38 civils. Des défenseurs congolais des droits humains ont rapporté les meurtres d’au moins 18 autres civils lors d’attaques menées entre le 7 et 9 décembre.

Par Godé Kalonji Mukendi