MATONGE : QUAND LE COULOIR MADIAKOKO SE MUE EN THÉÂTRE DE LA SAPE

Lundi 9 mai 2016 - 09:42
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(Par Ndemere GLOSEIJE stagiaire /IFASIC, sous la direction d’Yves KALIKAT)
Fief de l’artiste musicien Papa Wemba, ’’le village Molokaï’’ - un acronyme des initiales de cinq avenues de Matonge (Masimanimba, Oshwe, Lokolama, Kanda-Kanda et Inzia) - s’est mué en carrefour de la Sape (Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes) lors des funérailles du patron de l’orchestre Viva la Musica. Dix jours durant, le couloir ’’Madiakoko’’, appendice de l’avenue Saïdi, avenue qui traverse ces cinq rues de la commune de Kalamu, est devenue le champ d’action de nombreux sapeurs venant de différents horizons.
Le mercredi 4 mai dernier, jour de l’enterrement du ’’Kuru yaka’’, le carnaval de sapeurs a atteint son paroxysme au célèbre ’’village Molokaï’’ de Kinshasa où "le maître d’école’’ a fait ses premiers pas dans la musique. Venu tout droit de Brazzaville, ’’Mokonzi ya sapatu’’, un sapeur réputé, a fait le buzz avec sa riche collection des chaussures. Grosse chainette dorée au cou, chapeau et manteau en fourrure noire, il avait l’air fier, avec ses dizaines de souliers et sa valise qu’il trimballait sur le lieu du deuil.
Autour de lui, une femme sexagénaire, crête jaunie sur le crâne, trainait aussi derrière elle une foule de curieux et admirateurs qui contemplaient sa démarche cadencée, sa fière allure, son manteau en cuir qui surmontait sa jupe et ses chaussures grises.
Sur l’avenue Oshwe, aux alentours du siège de l’orchestre quartier Latin de Koffi Olomide où l’on ne trouvait que quelques policiers, patrouillait une caravane des dizaines d’autres sapeurs qui, de cuir vêtu, se donnaient en spectacle, juchés sur des chariots, poussés par leurs admirateurs. Les exemples sont légion pour tous ces amoureux de la religion ’’kitendi’’ (accoutrement) qui venaient ainsi pleurer ’’le roi de la sape’’, après avoir quitté pour la circonstance la France, les Etats-Unis, le Congo Brazzaville… où ils sont installés.

DES PHOTOGRAPHIES DEVANT LA MASCOTTE DE PAPA WEMBA
Sur l’avenue Kanda-Kanda, la résidence familiale où venaient se recueillir des centaines de proches et sympathisants, les visites ne tarissaient pas. Devant l’enclos de la parcelle, de nombreux curieux venaient se faire photographier en signe de souvenir de ces jours mémorables.
On voyait souvent des passants qui se plaisaient à poser sous le mur de la clôture sur lequel est érigée une mascotte de ’’Papa Wemba fula ngenge’’. Mascotte qui représente ’’le roi de la rumba’’ debout, coiffé d’un casque colonial et moulé dans un long manteau qui frôle les pieds, tout en tendant ses deux bras crochus en l’air.

CELEBRER LE DEUIL EN BABOUCHE
Pour la circonstance, l’avenue Kanda-Kanda a revêtu sa plus belle robe. Revêtue d’une fraiche couche de caillasses et balayée de jour comme de nuit, la rue était si propre que les habitants passaient le plus clair de leur temps en dehors de leurs parcelles, en train de contempler les passants ou de méditer sur la disparition de leur célèbre voisin qui brillait par son souci de propreté.
Debout ou assis sur des chaises en plastiques, plusieurs femmes du quartier ont décidé de célébrer les funérailles en portant des pagnes sombres, surmontés de motifs blancs et violets. Elles étaient pratiquement toutes munies de babouches de couleurs blanche et bleue.
"Ces babouches sont les consignes que Papa Wemba nous avaient léguées, rapporte une habitante du ’’village Molokaï’’. Il était généralement très présent lors des obsèques dans le quartier où il se pointait souvent en babouche. Nous avons ainsi décidé de l’imiter en adoptant son look".
Profitant de cette aubaine, de nombreux marchands de ces types de babouches ont augmenté le prix de leurs marchandises. Une paire de ces babouches se négociait désormais à 2.500 Fc dans les parages, voire à 5.000 Fc dans d’autres communes, alors qu’elle se vendait auparavant à 1.000 Fc.

AFFLUENCE DES BRASSEURS
Les marchands des babouches ne sont pas les seuls à avoir tiré profit des funérailles de ’’Kolo histoire’’. Sur le couloir Madiakoko tout comme dans les environs, les brasseurs ont saisi l’occasion pour faire de bonnes affaires. On pouvait voir ci-et-là des tentes et parasoleil portant l’effigie des sociétés brassicoles les plus en vogue au pays. Et dans les nombreuses buvettes de la place, la bière et autres boissons ne cessaient de couler à flots.
L’une de ces sociétés d’ailleurs, qui a longtemps été le sponsor officiel de Papa Wemba de son vivant, a installé un podium au coin de l’avenue Kanda-Kanda dès l’annonce du décès de la méga star congolaise.
Dans la soirée comme pendant la nuit, des orchestres de la place défilaient pour chanter en mémoire de l’illustre disparu.
Terrasses et buvettes ont également fait de bonnes affaires à Matongé, vu la forte affluence de la clientèle. Tout le long du couloir Madiakoko, des centaines de chaises bleues en plastiques étaient déployées devant le podium, bourrant carrément le passage aux véhicules, au grand plaisir des ’’wewa’’ (conducteurs des taxi-moto) qui ont trouvé là un marché propice.

PROLIFERATION DES BANDEROLES
Il en est de même des vendeurs ambulants qui proposaient à la clientèle cigarettes, ’’makasu’’, bonbons, chicklets, arachides… Et devant les parcelles environnantes, d’autres marchands écoulaient avec succès des brochettes, des ’’mpiodi’’ (chinchards) des chikwange… voire des macarons plastifiés à l’effigie de Papa Wemba.
Sur le mur des parcelles ou au dessus de différentes avenues de la place, planaient des dizaines, voire des centaines de banderoles où plusieurs notabilités ou inconnus en quête de célébrité gravaient en grand ’’X pleure Papa Wemba’’. Très sollicités, les sérigraphes ont sauté sur l’occasion pour gagner le plus de marché possible, une banderole se négociant à 30 dollars, voire 50 dollars.
Habitant l’avenue Kanda-Kanda, le jeune sérigraphe Elese Kevin a été aussi sollicité pour immortaliser le ’’Foridoles’’, cet aîné du quartier qui est décédé le jour où il fêtait ses 24 ans d’âge. "J’ai décidé de vendre au rabais mes services pour honorer la mémoire de Papa Wemba, mon vieux qui me conseillait souvent et n’hésitait jamais à prendre le téléphone, même quand des jeunes comme moi l’appelaient", se souvient ce fils de Sweet Elese, un ancien musicien d’Emeneya Kester, désormais installé en Angola.

PAPA WEMBA AU PARADIS ?
Comme Kevin Elese, les nombreux admirateurs et sympathisans de Papa Wemba se montrent nostalgiques quand ils pensent à ses beaux jours à leur côté. "Papa Wemba aimait beaucoup s’intéresser aux voisins et se plaisaient à prodiguer des conseils. C’était un homme simple, humble, abordable… Il nous disait toujours qu’il allait mourir sur scène comme un soldat, avec son arme : le micro. Aujourd’hui, sa prophétie s’est réalisée", commente une de ses vieilles connaissances.
A la tombée de la soirée, après l’enterrement, les nombreux admirateurs qui s’étaient rendus au cimetière ont sauté de joie en voyant, dans le ciel, des dizaines d’oiseaux blancs en train de survoler le ciel. "C’est un signe que Papa Wemba est aux anges, au ciel ! Nous n’avons donc plus à nous inquiéter".

 

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