Minerais de la RDC : un rapport accable les entreprises américaines

Vendredi 24 avril 2015 - 14:04

Selon un document publié par Amnesty International et Global Witness, plus de trois quarts des sociétés américaines exploitant les minerais en RD Congo ne respectent pas les obligations de la loi Dodd-Frank

Un rapport conjoint publié le mercredi 22 avril 2015 par Amnesty International et Global Witness indique que près de 80 % des sociétés cotées en bourse aux États-Unis ne vérifient pas correctement si leurs produits contiennent des minerais provenant de zones de conflit en Afrique centrale et ne donnent pas d’informations suffisantes à ce sujet.

Ce rapport, intitulé » Une mine de transparence ? « , analyse 100 rapports sur les minerais en provenance des zones de conflit établis par des entreprises telles que Apple, Boeing et Tiffany & Co au titre de l’article 1502 de la loi Dodd-Frank, ou loi relative aux minerais provenant des zones de conflit. Les conclusions de ce rapport dénoncent des lacunes inquiétantes dans le déficit de transparence dont font preuve les entreprises aux États-Unis.

L’analyse relevée dans ce rapport est fondée sur l’examen de seuls Rapports sur les minerais provenant des zones de conflit soumis à la SEC par les entreprises choisies, et non sur d’autres documents publiés.

En vertu de la loi Dodd-Frank, plus d’un millier d’entreprises cotées en bourse aux États-Unis susceptibles de s’approvisionner en minerais provenant d’Afrique centrale ont remis en 2014 un rapport à Securities and Exchange Commission (SEC), l’autorité américaine de contrôle des marchés.

L’article 1502 de la loi Dodd-Frank vise à réduire le risque que les achats de minerais d’Afrique centrale ne contribuent pas à alimenter des conflits ou des atteintes aux droits humains.

» La loi relative aux minerais provenant des zones de conflit est une bonne occasion pour assainir les chaînes d’approvisionnement mondiales en minerais.

Toutefois, les recherches de deux organisations montrent que la plupart des entreprises semblent préférer poursuivre leurs affaires comme si de rien n’était plutôt que de se préoccuper du risque que leurs achats de minerais financent des groupes armés à l’étranger « , a déclaré Carly Oboth, conseillère stratégique à Global Witness.

» C’est très inquiétant. De riches groupes industriels ont combattu à chaque étape la loi relative aux minerais provenant des zones de conflit. Si elles avaient plutôt mis tous ces moyens dans des enquêtes et des rapports approfondis sur leurs chaînes d’approvisionnement, leurs clients auraient davantage confiance en leurs produits et en l’absence de liens entre ceux-ci et le conflit « , regrette-t-elle.

La RDC et la loi Dodd-Frank

La République démocratique du Congo (RDC) est une origine importante concernant l’approvisionnement en minerais notamment l’or, l’étain, le tungstène et le tantale pour les entreprises du monde entier. Ces minerais sont indispensables à la fabrication d’appareils électroniques, tels que les Smartphones et les ordinateurs portables.

Depuis plus de 15 ans, les groupes armés de la RDC ont aussi jeté leur dévolu sur le secteur minier pour financer leurs opérations, avec des conséquences dévastatrices, notamment de graves atteintes aux droits humains, note ce rapport.

En vertu de l’article 1502 de la loi Dodd-Frank, toutes les entreprises cotées en bourse aux États-Unis visées par la loi ont l’obligation de déterminer si leurs produits qui contiennent certains minerais tels que l’étain, le tungstène, le tantale et l’or contribuent à alimenter le conflit ou des atteintes aux droits humains en RDC et dans les pays limitrophes, puis de rendre compte de leurs conclusions.

Au total, 1 321 entreprises ont remis à la SEC un Rapport sur les minerais provenant des zones de conflit. Les appréciations du rapport » Une mine de transparence ? » concernant le respect par les entreprises de la législation des États-Unis sur les minerais provenant des zones de conflit sont fondées sur l’ opinion d’Amnesty International et Global Witness en tant qu’organisations expertes qui mènent depuis plusieurs années des recherches sur les chaînes d’approvisionnement, les conflits et les atteintes aux droits humains, et qui avaient contribué aux côtés des entreprises à l’élaboration du Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant des zones de conflit ou à haut risque.

Les principales conclusions du rapport

Les conclusions du rapport découlent d’une analyse détaillée des Rapports sur les minerais provenant des zones de conflit réalisée en fonction de 12 critères établis à partir du Guide de l’OCDE et de la Règlementation de la SEC concernant l’application de l’article 1502 de la loi Dodd-Frank.

Parmi les entreprises dont les rapports ont été analysés, 79 % ne remplissent pas les obligations minimales de la loi américaine relative aux minerais provenant des zones de conflit. La plupart d’entreprises de cet échantillon ne prennent pas de mesures suffisantes pour établir clairement la chaîne d’approvisionnement des minerais qu’elles achètent.

Seules 16 % ne se sont pas contentées des démarches auprès de leurs fournisseurs directs et ont pris contact, ou tenté de prendre contact, avec les fonderies ou les affineries qui transforment les minerais qu’elles utilisent.

A en croire ces deux organisations, plus de la moitié des entreprises examinées ne signalent même pas aux cadres supérieurs de la société les risques qu’elles identifient dans leur chaîne d’approvisionnement.

L’analyse de Global Witness et d’Amnesty International montre également qu’une entreprise de l’échantillon sur cinq a bien respecté les obligations de la loi, ce qui écarte l’argument selon lequel la mise en œuvre de ce texte est trop compliquée et trop coûteuse. Les entreprises n’ont aucune excuse pour ne pas enquêter correctement sur leurs chaînes d’approvisionnement.

Les entreprises qui font toute la lumière sur leurs chaînes d’approvisionnement contribuent à empêcher un commerce néfaste des minerais qui alimente un conflit dévastateur pour l’Afrique centrale.

» Les consommateurs veulent savoir ce qui se cache derrière les logos. Les entreprises sont soumises à une forte pression : elles doivent montrer qu’elles font tout leur possible pour garantir qu’aucune histoire terrible de conflit ou d’atteintes aux droits humains ne se cache derrière les produits qu’elles mettent en rayon.

Il ne suffira pas de cocher des cases pour faire retomber cette pression « , a déclaré James Lynch, responsable de l’équipe Responsabilité des entreprises en matière de droits humains à Amnesty International.

» Les entreprises qui font toute la lumière sur leurs chaînes d’approvisionnement contribuent à empêcher un commerce néfaste des minerais qui alimente un conflit dévastateur pour l’Afrique centrale « , dit-il.

Vote au Parlement Européen

En mai 2015, le Parlement européen votera une loi européenne sur les minerais provenant des zones de conflit. Amnesty International et Global Witness souhaitent à ce sujet que le texte final de cette loi comprenne une obligation de diligence et de compte rendu pour toutes les entreprises qui commercialisent de l’étain, du tungstène, du tantale, de l’or ou des produits contenant ces minerais sur le marché européen.

Par ailleurs, la cour fédérale d’appel du circuit du District de Columbia, aux États-Unis, est en train de réexaminer sa décision d’avril 2014 jugeant anticonstitutionnelle l’obligation pour les entreprises d’indiquer que leurs produits n’ont » pas été identifiés comme non liés au conflit en RDC « .

Il est essentiel que cette cour fasse en sorte que l’argument de la liberté d’expression ne soit pas utilisé abusivement pour entraver l’obligation de rendre des comptes sur les minerais provenant des zones de conflit ni pour empêcher la transparence en ce qui concerne d’autres informations sur les entreprises qui intéressent les consommateurs, les investisseurs et les défenseurs des droits humains, font remarquer Amnesty International et Global Witness.

Par Godé Kalonji Mukendi