Ce n‟est plus un secret pour personne, un groupe de Congolais tient à modifier ou à chambarder le pacte républicain grâce auquel ils sont pourtant au pouvoir, non pas pour consolider la démocratie mais plutôt pour préserver les privilèges acquis. Après avoir vanté les vertus de la constitution du 18 février 2006, présentée comme acte fondateur de la troisième République censée libérer une fois pour toutes le peuple congolais de la dictature mobutienne, ce sont curieusement les bénéficiaires de ce nouveau système qui découvrent subitement qu‟il n‟est plus compatible avec la réalité politique et qu‟il mérite d‟être adapté à celle-ci. Mais que reproche-t-on réellement à cette constitution jusqu‟à vouloir lui substituer une autre avant même qu‟elle soit entièrement appliquée? Pareille démarche, est-elle de nature à contribuer à consolider la démocratie et la cohésion nationale ou au contraire à exacerber la bipolarité et la crise de légitimité? Dans les lignes qui suivent, nous tenterons d‟examiner ces questions en recourant à l‟histoire récente de notre pays. Quelles sont les innovations apportées par la Constitution de février 2006 ?
Il n‟est pas du tout aisé de répondre à cette question dans la mesure où ce qui fait réellement la force de tout texte constitutionnel ou légal ce n‟est pas tant le contenu de ses dispositions mais bien ce que les différents acteurs en font. A ce sujet, il est utile de rappeler que même sous le régime du MPR, Parti-Etat, la constitution plusieurs fois révisée affirmait notamment le principe de la séparation des pouvoirs, l'indépendance du pouvoir judiciaire, les libertés fondamentales, etc. Non seulement que le principal acteur et bénéficiaire de ce régime s‟était finalement rendu compte du contraire lors des consultations populaires organisées par et malgré lui, son entêtement à en tirer toutes les conséquences avait amené un groupe de compatriotes à s‟allier aux étrangers pour le renverser « en vue d‟instaurer la démocratie ». Depuis, le pays est toujours en proie à des rébellions chroniques qui menacent gravement son intégrité territoriale et empêchent son décollage économique. Vue sous cet angle, la Constitution de février 2006 n‟a pas beaucoup innové dans les faits, à l‟exception du pluralisme politique, de la création (non encore effective) des nouvelles provinces et de la limitation du nombre et de la durée des mandats du Président de la République, devenue aujourd‟hui un cauchemar pour les détenteurs du pouvoir. En effet, vouloir à tout prix évacuer l‟article 220 de la Constitution par la modification ou par le changement de celle-ci ne signifie ni plus ni moins que restaurer le régime de la pensée unique à cause duquel le sang continue de couler à l‟Est, avec toutes les conséquences que l‟on connaît sur l‟intégrité du territoire national. Le Congo peut-il se permettre le luxe de créer de nouvelles frustrations alors qu‟il peine à gérer les conséquences de la guerre dite de « libération » et des rébellions consécutives à la dictature et à la mauvaise gouvernance? A moins de vouloir provoquer délibérément une nouvelle crise de légitimité qui risque d‟emporter tout le monde, l‟article 220 inutilement redouté n‟empêche nullement les révisionnistes de conserver le pouvoir le plus longtemps qu‟ils le peuvent, il suffit de respecter les règles du jeu tracées par le constituant de 2006. Possibilité de conserver le pouvoir Il est d‟abord important de rappeler que le préambule de la présente Constitution se termine par la phrase suivante : « Conscients de nos responsabilités devant Dieu, la Nation, l‟Afrique et le Monde ; Déclarons solennellement adopter la présente Constitution» Bien avant ce préambule, l‟exposé des motifs dit clairement ceci au sujet de la révision constitutionnelle : « Pour préserver les principes démocratiques contenus dans la présente Constitution contre les aléas de la vie politique et les révisions intempestives, les dispositions relatives à la forme républicaine de l‟Etat, au principe du suffrage universel, à la forme représentative du Gouvernement, au nombre et à la durée des mandats du Président de la République, à l‟indépendance du pouvoir judiciaire, au pluralisme politique et syndical ne peuvent faire l‟objet d‟aucune révision constitutionnelle. Telles sont les lignes maîtresses qui caractérisent la présente Constitution.» Cette volonté et ses engagements se trouvent matérialisés dans le serment présidentiel prévu à l‟article 74 de la Constitution en ces termes: «Le Président de la République élu entre en fonction dans les dix jours qui suivent la proclamation des résultats définitifs de l‟élection présidentielle. Avant son entrée en fonction, le Président de la République prête, devant la Cour Constitutionnelle, le serment ci-après: « Moi .... élu Président de la République Démocratique du Congo, je jure solennellement devant Dieu et la nation: - d‟observer et de défendre la Constitution et les lois de la République; - de maintenir son indépendance et l‟intégrité de son territoire; - de sauvegarder l‟unité nationale; - de ne me laisser guider que par l‟intérêt général et le respect des droits de la personnehumaine; - de consacrer toutes mes forces à la promotion du bien commun et de la paix; - de remplir, loyalement et en fidèle serviteur du peuple, les hautes fonctions qui me sont confiées. ». Comme en témoignent les déclarations des membres de la Majorité présidentielle qui ont pris part à la réunion tenue le 25 août 2014 à Kingakati sous la direction du Président de la République, la solennité de cette volonté et de ses engagements n‟a de valeur que folklorique et pour la consommation extérieure étant donné que dans l‟entendement de cette famille politique, la conservation du pouvoir a primauté sur la Constitution et passe désormais par le changement pur et simple de celle-ci. Il se dégage ainsi que depuis 2006, la famille politique au pouvoir ne s‟est pas préoccupée d‟organiser un moindre débat démocratique interne qui lui aurait permis de procéder à l‟identification des ambitions et à la désignation du meilleur candidat à présenter aux élections de 2016 pour conserver démocratiquement le pouvoir. A court d‟arguments juridiques pertinents pour déverrouiller l‟article 220, les stratèges de la MP, sous prétexte de poursuivre l‟exécution de « leurs réalisations », comme s‟ils étaient les seuls Congolais valeureux et doués, ont carrément et sans scrupule levé l‟option de proposer au référendum populaire une nouvelle Constitution alors que par leur faute, celle en vigueur depuis 2006 n‟a jamais été suffisamment appliquée et est d‟ailleurs constamment violée. C‟est le cas des élections municipales qui n‟ont jamais été organisées, des 40% de recettes qui n‟ont jamais été rétrocédés aux provinces, du découpage provincial lui-même qui n‟a jamais eu lieu, du Sénat et des Assemblées provinciales ainsi que des Gouverneurs des provinces totalement hors mandat, de la Cour constitutionnelle et du Conseil d‟Etat qui n‟ont jamais été installés, de l‟indépendance du pouvoir judiciaire qui demeure un slogan, des droits fondamentaux des citoyens toujours bafoués, etc. Mais puisque les mêmes acteurs veulent mourir au pouvoir, quelle garantie donnent-ils de pouvoir respecter la future constitution qu‟ils cherchent encore à griffonner et qu‟ils s‟apprêtent à imposer non pas dans l‟intérêt de la nation mais pour leur survie politique et matérielle? A moins de vouloir ramener le pays à l‟époque de la pensée unique et à la dérive dictatoriale en écrasant par la force des armes quiconque se mettrait au travers de ce projet, le changement de la Constitution est susceptible d‟entraîner des conséquences imprévisibles pour tout le monde et pendant longtemps. Les conséquences pouvant résulter du changement de la Constitution. Ces conséquences peuvent être d‟ordre juridique, politique et social. Conséquences d‟ordre juridique et politique : -S‟il est vrai qu‟un gouvernement de cohésion nationale sera bientôt formé pour conduire le peuple au référendum, nous avons déjà eu à rappeler que ce serait une violation pure et simple de la Constitution en vigueur, qui ne prévoit cela dans aucune de ses dispositions : Article 78 « Le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Si une telle majorité n‟existe pas, le Président de la République confie une mission d‟information à une personnalité en vue d‟identifier une coalition. La mission d‟information est de trente jours renouvelable une seule fois. Le Président de la République nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions sur proposition du Premier ministre. » Jusqu‟à preuve du contraire, il existe « une majorité parlementaire », dont les rangs sont toujours serrés autour de son chef et qui s‟est réunie récemment pour faire la démonstration de sa force. -Cette majorité présidentielle détient et exerce le pouvoir en vertu des élections qu‟elle est fière « d‟avoir gagnées en 2006 et en 2011 ». Contrairement à la période post-guerre de 2006, nous nous trouvons en temps de paix où le parlement actuel n‟a reçu aucun mandat pour s‟arroger le pouvoir de se muer en une constituante ayant compétence de changer la constitution. -La Constitution, loi fondamentale, n‟est pas une loi ordinaire qu‟on peut abroger pour la remplacer par une autre. Dans celle en vigueur, qui est l‟arbre sur lequel sont confortablement assis les dirigeants actuels, il n‟est prévu que les mécanismes de sa révision, en excluant de ce champ, pour des raisons historiques et de démocratie, certaines dispositions tel que l‟article 220 :« La forme républicaine de l‟Etat, le principe du suffrage universel, la forme représentative du Gouvernement, le nombre et la durée des mandats du Président de la République, l‟indépendance du pouvoir judiciaire, le pluralisme politique et syndical, ne peuvent faire l‟objet d‟aucune révision constitutionnelle. Est formellement interdite toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne ou de réduire les prérogatives des provinces et desentités territoriales décentralisées. »
Dans les circonstances actuelles, former un gouvernement en dehors de ce cadre clairement tracé, de même qu‟organiser un référendum en vue de renverser l‟ordre constitutionnel en vigueur est non seulement un coup d‟Etat contre les concepteurs mêmes de ce projet mais constituent des infractions imprescriptibles contre la nation et l‟Etat, dont répondront tôt ou tard les auteurs survivants qui seront poursuivis pour haute trahison. L‟histoire récente de notre pays nous rappelle, comme si c‟était hier, ces puissants et intouchables mobutistes qui se sont agenouillés, en chambre du conseil, devant des juges jadis méprisés pour solliciter leur mise en liberté provisoire. C‟est en ce moment-là seulement qu‟ils se sont rendu compte de l‟importance de la justice et qu‟ils ont su que mieux vaut être pauvre en liberté que riche en détention. Pour que nul n‟en prétexte l‟ignorance, l‟article 64 de la Constitution dispose : «Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d‟individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l‟exerce en violation des dispositions de la présente Constitution.Toute tentative de renversement du régime constitutionnel constitue une infractionimprescriptible contre la nation et l‟Etat. Elle est punie conformément à la loi.Ce qui est donc à craindre présentement, c‟est que le changement de la Constitution restaure le régime dictatorial revu et corrigé qui modifierait la forme républicaine, supprimerait le suffrage universel sous prétexte de son coût, élargirait le nombre et rendrait à durée indéterminée les mandats du Président sortant, réduirait l‟indépendance du pouvoir judiciaire et les droits et libertés de la personne. -Les pro-changements doivent par conséquent avoir à l‟esprit qu‟une nouvelle constitution remettrait les pendules à zéro en vidant de toute sa substance la légitimité du pouvoir dont sont investies toutes les institutions actuelles, parmi lesquelles le Président de la République. En effet, de quel droit et en vertu de quelle Constitution, le Président actuel pourra se maintenir au pouvoir, même pour une courte durée de transition, si l‟arbre sur lequel il présentement assis est scié ? Ce ne sont pas des négociations avec quelques débauchés de l‟opposition, soit-elle radicale ou républicaine, qui viendraient légitimer un mode d‟accès au pouvoir autre que celui des élections libres, démocratiques et transparentes. Dans quel système démocratique les instincts de survie d‟un groupe d‟individus doivent-ils être placés au-dessus de la Constitution et des lois de la République ? Conséquences d’ordre social Il sied de rappeler que la barre avait déjà été placée très haut avec l‟apparition de l‟ouvrage intitulé « Entre la révision constitutionnelle et l‟inanition de la nation », rédigé par le secrétaire général du PPRD, agissant plus comme propagandiste que comme professeur de droit constitutionnel. Des rumeurs aux démentis, les intentions réelles de la majorité au pouvoir ont fini par être dévoilées lors de la réunion de cette plate-forme politique tenue le 25 août 2014 à Kingakati et présidée par son autorité morale en personne.
A l‟exception du MSR, parti dont le délégué a eu le courage patriotique de s‟opposer de manière assez claire à la révision ou au changement de la Constitution, des faucons de cette famille politique s‟en foutent du pacte républicain obtenu difficilement « entre belligérants » après des années de guerre, de transition et de négociations et qu‟ils n‟ont d‟ailleurs jamais respecté. Anciens belligérants eux-mêmes, certains d‟entre les intervenants à cette rencontre n‟ont eu dans leurs bouches que le langage d‟arrogance et de la force, seuls moyens qu‟ils connaissent pour accéder au pouvoir et pour le conserver. Avec le sang des Congolais sur leurs mains, point n‟est besoin de comprendre qu‟ils craignent de répondre un jour de leurs actes s‟ils perdent le pouvoir. La conservation du pouvoir étant pour eux une question de survie comme ils l‟ont clamé haut et fort, il faut s‟attendre, d‟ici 2015 et 2016, audétournement de l‟armée et de la police pour écraser tout mouvement de contestation ayant pour objet de faire échec à l‟antidémocratique projet d‟imposer un Président de la République qui a épuisé ses mandats afin de le laisser régner jusqu‟à ce que Dieu en décide autrement comme à l‟époque de l‟indissoluble mariage « Mobutu-Peuple ». Mais comme les contestations sont d‟ores et déjà prévisibles, il y a fort à craindre qu‟un autre cycle de violences et de répressions vienne perturber l‟apparente paix sociale et l‟hypothétique cohésion nationale, nécessaires pour rebâtir le pays. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ce cycle de violences et de répressions risque surtout de réveiller de vieux démons internes et externes, les uns ne pouvant nullement tolérer qu‟un groupe d‟individus s‟empare du pouvoir par la force et les autres pouvant profiter des troubles inévitables pour matérialiser leur projet de morcellement du pays. A qui finalement cela va profiter? Conclusion Malgré ses imperfections, nombreuses d‟ailleurs et inhérentes à toute oeuvre humaine, la Constitution en vigueur en République Démocratique du Congo a eu le mérite de tracer un cadre dans lequel tous les fils et toutes les filles du pays peuvent, dans le respect du pluralisme politique, conquérir le pouvoir et même l‟exercer le plus longtemps possible grâce à la bonne gouvernance, à l‟actualisation et à la perfection du projet de société. Conserver le pouvoir ne signifie donc pas faire le culte de la personnalité, de triste mémoire, en présentant le même candidat au-delà du temps qui lui a été imparti, sous prétexte qu‟il est le seul valable à l‟échelle nationale, capable de réaliser tous les projets de reconstruction et de développement du pays. N‟est-ce pas là une insulte à l‟élite congolaise que de faire croire à la face du monde que durant toute une génération, sinon plus, notre pays ne peut produire qu‟un seul de ses fils ou une seule de ses filles capable de le diriger? Si dans leurs rangs, les pro-changements de la Constitution n‟ont trouvé aucun autre candidat méritant, il n‟y a pas de honte à attendre un autre tour pour le préparer pendant qu‟ils observeront et critiqueront la gouvernance des autres. Se désolidariser de ceux qui complotent contre l‟Etat de droit et contre la démocratie, uniquement pour leur survie politique et matérielle, est présentement le seul acte que tout Congolais épris de paix et de justice peut poser devant Dieu, les hommes et l‟histoire.