Nord-Kivu : encadrement réussi des 10.000 enfants issus des forces et groupes armés

Mardi 29 décembre 2015 - 12:00

Le recrutement des enfants dans les forces et groupes armés est un véritable fléau et une des conséquences les plus néfastes de l’insécurité qui sévit depuis deux décennies à l’Est de la République Démocratique du Congo, particulièrement au Nord-Kivu, au Sud-Kivu et en Ituri.

Lors de notre récent passage à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, nous avons visité le Centre du Concert d’Actions pour Jeunes et Enfants Défavorisés (CAJED) qui a procédé entre 2005 et 2015 à la réinsertion sociale de plus ou moins 10.000 enfants issus des forces et groupes armés.

Le centre d’hébergement d’enfants de l’ONG CAJED, qui est appuyé par le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF), est situé au quartier Kyeshero de Goma, à 7 km du centre de la ville. Près d’une centaine d’enfants qui viennent d’échapper à l’univers cruel et violent des groupes armés s’y trouvent.

Selon Faustin Lyabahinduka, directeur du centre du CAJED, ces enfants sortis des groupes armés sont amenés auprès de cette ONG par des partenaires dont la MONUSCO, l’UNICEF, le HCR, le CICR,….Ils y passent en principe 3 mois, pendant lesquels ils sont sensibilisés à la cohabitation pacifique et bénéficient d’un accompagnement psycho-social : écoute individuelle de chaque enfant pour l’amener à s’ouvrir ; initiation aux petits métiers comme la vannerie, le dessin et la décoration, la formation sur le maniement de la guitare.

Il ya toutefois des enfants qui font plus de 3 mois au centre, lorsque leur retour dans leurs milieux d’origine n’est pas possible à cause notamment de l’insécurité.

Kiana Boyomba est un adolescent de 13 ans issu du groupe armé  » Mai-Mai Kifuafua  » du seigneur de guerre Delphin, dans les territoires de Walikale et Masisi. Cet enfant nous explique sa situation :  » J’avais 12 ans quand j’ai été forcé d’intégrer le groupe Mai-Mai Kifuafua.

Les combattants Mai-Mai avaient attaqué notre école pendant que nous étions en classe.Alors que j’étais élève en 5ème primaire, j’ai été enlevé avec 11 autres enfants en présence du directeur de l’école et des enseignants impuissants « .Kiana était chargé de garder les fétiches pour la protection des combattants.

C’est au cours d’une nuit qu’il réussit à s’évader avec un autre enfant ,jusqu’à atteindre un village. Des habitants de ce village les orientent alors vers un poste des casques bleus de la MONUSCO qui les recueillent, avant de les confier à l’ONG CAJED. Il garde un très mauvais souvenir d’une année passée dans ce groupe armé. Sa famille, nous a dit un encadreur, est déjà identifiée et localisée dans le territoire de Walikale.

Chance Baluku, 16 ans, est un enfant ougandais sorti du groupe armé ADF-Nalu. Il a été recruté contre sa volonté à Kasese, en Ouganda et s’est retrouvé en RDC dans le territoire de Beni. Lors d’une attaque des FARDC, raconte-t-il, des combattants ADF fuient et l’abandonnent dans une forêt.

Il marche seul pendant 5 jours, affamé et fatigué, jusqu’à la localité de Kisima dans le territoire de Beni, où il est recueilli par un pasteur dans une Eglise. Transféré à Mutuanga, il y est détenu pendant 7 jours par un service de sécurité. Déféré à l’auditorat, il y est gardé pendant 4 jours. Se rendant compte qu’il s’agit d’un enfant, l’auditorat militaire le confie à l’agence ACOP de protection de l’enfance, qui le placedans une famille d’accueil à Beni. Chance Baluku est ensuite transféré à Butembo, puis à Goma, où il est remis à l’ONG CAJED.

L’initiation à la capoeira très appréciée par des enfants sortis des groupes armés

La capoeira est une danse traditionnelle brésilienne d’origine africaine, couplée d’activités culturelle, corporelle et éducative. Le projet  » Capoeira pour la paix  » a été lancé en RDC en août 2014 par l’UNICEF, en collaboration avec le gouvernement brésilien pour développer le respect mutuel et le dialogue chez les enfants sortis des forces et groupes armés, en vue d’une meilleure intégration dans leurs communautés.

L’UNICEF a dépêché de Kinshasa un encadreur chargé d’initier à la capoeira les enfants sortis des groupes armés hébergés par le CAJED. Deux fois par semaine, M. Dieudonné Mosiki Kongo Nkoy, appelé  » Ninja Kalimba  » par les enfants qu’il encadre, se rend au centre du CAJED de Kyeshero, pour les entrainer dans la pratique de la Capoeira.

L’ampleur du phénomène  » Enfants soldats  » en RDC

Selon André Moussa Kalekanya, spécialiste en protection des enfants à l’UNICEF dans la zone Est de la RDC, le phénomène  » Enfants associés aux forces et aux groupes armés  » est intimement lié à l’existence des groupes armés. Ce phénomène ne prendra fin qu’avec la disparition des groupes armés. M. Moussa estime à 55.000 les enfants sortis des forces et groupes armés en RDC depuis le début du processus DDR (Démobilisation, Désarmement, Réinsertion) en 2001. Il arrive parfois que des enfants déjà démobilisés soient récupérés par les mêmes groupes ou d’autres pour redevenir combattants.

André Moussa précise :  » De 2008 à 2015, 32.113 enfants ont été sortis des groupes armés dans la partie Est de la RDC dont 4.613 filles et 27.500 garçons « . Il reconnait que des efforts sont fournis pour sortir ces enfants des groupes armés, mais la dynamique des conflits à l’Est du pays pose énormément des problèmes. De nouveaux mouvements naissent et recrutent même des enfants. Plus de 56 groupes armés sont actifs à l’Est de la RDC dont 52% au Nord-Kivu considérés comme l’épicentre des conflits armés dans ce pays, a indiqué André Moussa.

Le plus grand défi à relever reste la réintégration des enfants sortis des groupes armés dans leurs communautés d’origine. Il n’est pas facile de ramener ces enfants dans les communautés où ils ont pillé, volé, violé ou tué.

Pour André Moussa, la première condition de la réintégration de ces enfants est la restauration de la paix. Sans la paix, soutient-il, des enfants sont recrutés et réintégrés plusieurs fois.

Les Nations Unies et des ONG de défense des droits de l’homme dont Human Right Wacth reconnaissent que les Forces Armées de la RDC (FARDC) ont effectivement mis fin au recrutement des enfants dans leurs rangs.

Selon l’ONU, du 1er janvier au 30 septembre 2015, plus de 1500 enfants ont été séparés des groupes armés au Nord-Kivu, au Sud-Kivu, au Tanganyika et en Ituri par la MONUSCO et ses partenaires locaux. La moitié de ces enfants ont été soustraits des groupes armés relevant des rebelles Hutu rwandais des FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda).

Un reportage de Norbert Tambwe Wediambulu