Pétrole du parc des Virunga : Kinshasa hésite

Lundi 9 juin 2014 - 08:03

Image retirée.

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Kinshasa ne donne pas l’air de s’opposer à une exploitation du pétrole dans la concession du parc national des Virunga. Il doit cependant faire face à une forte pression internationale qui le pousse à renier le contrat signé avec la Britannique Soco.

Pour l’instant, le gouvernement vient de commander une étude environnementale stratégique auprès d’un cabinet international. Mais, Crispin Atama Tabe, ministre des Hydrocarbures, prévient : au cas où, le potentiel pétrolier s’avérait important, Kinshasa est prêt à se lancer dans la production.

Soco International, entreprise pétrolière britannique, qui a obtenu de la République démocratique du Congo l’autorisation d’explorer le pétrole dans la concession du parc national des Virunga, fait face à une vigoureuse opposition d’ONG internationales. Greenpeace et Human Rights Watch (HRW) se sont particulièrement lancés sur le front pour décourager toute tentative d’exploitation pétrolière dans ce plus vieux parc de l’Afrique.

Au-delà des ONG, l’Unesco s’est également montré réticente sur le sujet, estimant que la biodiversité du parc des Virunga, classée patrimoine commun de l’humanité, devait être protégée à tout prix.

Tout récemment, HRW est revenu à la charge, mettant ouvertement en cause Soco International dans le regain d’insécurité au sein du parc des Virunga. L’on se rappelle que le directeur du parc national des Virunga, le Belge Philippe Mérode, avait été victime d’une agression. Des témoignages les plus concordants, dont ceux recueillis par HRW, ont directement fait un lien avec Soco.

Si la pression pour l’arrêt de toute activité pétrolière s’accentue à l’échelle mondiale, à Kinshasa, le gouvernement de la RDC se montre plutôt hésitant.

UN REVIREMENT N’EST PAS EXCLU

    Devant les participants réunis dernièrement à la première édition de la Semaine française à Kinshasa, Crispin Atama Tabe a, une fois de plus, ravivé le suspense. Selon lui, Kinshasa n’a pas encore levé définitivement une option sur l’exploitation dans le parc national des Virunga.

    Pour le ministre des Hydrocarbures, Kinshasa attendrait les conclusions d’une étude environnementale stratégique qu’il a confiée auprès d’un cabinet international spécialisé. Ce n’est qu’au regard des recommandations contenues dans cette étude que Kinshasa, a indiqué le ministre, pourrait finalement se décider.

    Toutefois, Crispin Atama a prévenu que Kinshasa ne se gênerait pas de reconsidérer sa position si le potentiel pétrolier du parc s’avérait important. Autrement dit, au cas où l’étude rendrait compte d’importantes réserves de pétrole dans le parc des Virunga, Kinshasa est prêt à sacrifier la biodiversité au profit du pétrole.

    « C’est à l’issue de cette étude que le gouvernement va se prononcer », a dit Crispin Atama, soulignant que « s’il s’avère que le potentiel est important, le gouvernement sera obligé de faire un arbitrage et engager des négociations avec des partenaires extérieurs ».

    Dans les couloirs du gouvernement, l’hypothèse est prise au sérieux. Ainsi, au ministère de l’Environnement, Conservation de la nature et Tourisme, des sources proches du dossier renseignent que Kinshasa reste suspendu à des conclusions d’experts sur la question. Entre-temps, Kinshasa doit se frotter à ses partenaires extérieurs. Et, ils sont nombreux à s’opposer à toute activité pétrolière dans le parc des Virunga. WWF (Fonds mondial pour la nature) a lancé une grande campagne de mobilisation au niveau européen en vue de détourner la firme Soco de son objectif d’exploration pétrolière dans le parc des Virunga. Sans compter, l’Unesco et d’autres ONG qui s’activent chacun dans son coin pour obtenir gain de cause.

    Kinshasa doit évidemment faire un choix. Entre la production pétrolière et la biodiversité. Doit-il se conformer aux engagements internationaux qui le lient, notamment, à l’Unesco ? A Kinshasa, on semble se plier. Mais, pour combien de temps encore ? C’est le premier scénario. Le deuxième l’obligerait, notamment, à ouvrir le parc des Virunga à l’exploitation pétrolière, tout en sacrifiant, par conséquent, la protection de sa biodiversité. C’est tout le dilemme pour le gouvernement.

    Pour l’instant, Kinshasa a autorisé Soco à se limiter à une exploration aérienne, en attendant les conclusions de l’étude environnementale sur le parc. Mais, le retrait des permis accordés n’est pas encore à l’ordre du jour. C’est sur quoi Soco s’accroche pour s’activer sur le terrain. Autant dire qu’à Kinshasa, un revirement n’est jamais exclu.

    En effet, le site d’exploitation pétrolière querellé couvre une superficie de 7 mille km², allant de Rumangabo, en territoire de Rutshuru jusqu’à Kasindi-port au Nord en territoire de Beni, en longeant le lac Edouard au cœur du parc national des Virunga.

Parc national des Virunga : un patrimoine en danger

Le parc national des Virunga est le plus ancien parc d’Afrique. Il fait partie du patrimoine mondial de l’UNESCO. On y trouve des forêts, des savanes, des fleuves, des lacs, des marais, des volcans et des glaciers. Le parc abrite près de 200 gorilles de montagne.

    Les scientifiques y ont identifié plus de 2000 plantes. 10% sont endémiques au Rift Albertin, dont font partie les Virunga. On y trouve aussi 218 espèces de mammifères, 706 espèces d’oiseaux, 109 espèces de reptiles et 78 d’amphibiens. Il s’agit du seul parc national qui abrite 3 espèces de grands singes : des gorilles de montagne, des gorilles de plaine orientaux et des chimpanzés.

    Aux alentours du parc des Virunga, la densité de population est l’une des plus élevées d’Afrique (400 habitants/km²). La grande majorité de cette population utilise du charbon de bois pour cuisiner et se chauffer. Malheureusement, le bois à brûler disponible n’est pas suffisant. Les habitants achètent du charbon de bois produit illégalement à l’intérieur du parc. Cela engendre de fortes pressions sur le parc et les espèces qui y vivent.

    Le braconnage et le commerce de viande de brousse sont une réelle menace pour la biodiversité des forêts du Bassin du Congo. Le parc des Virunga est victime de ces agissements qui déciment beaucoup d’espèces, du majestueux éléphant au petit singe.

    Aujourd’hui, le parc national des Virunga a un nouvel ennemi : les entreprises pétrolières.

    La loi congolaise interdit la présence d’industries extractives dans les parcs nationaux. Pourtant, environ 85% du parc ont été répertoriés comme concessions pétrolières. Deux concessions ont déjà été attribuées : l’une à Total, entreprise française et l’autre à SOCO, entreprise britannique.

    Pour identifier l’ampleur des ressources pétrolières sous le parc, le gouvernement congolais autorise pour l’instant SOCO à faire de l’exploration pétrolière par voie aérienne.

    En mai 2013, Total s’est engagé publiquement à ne pas pratiquer d’activité pétrolière au sein des frontières actuelles du parc. Toutefois, l’entreprise prévoit des activités d’extraction en bordure du parc, ce qui peut aussi constituer une menace. SOCO n’a encore pris aucun engagement de ce genre.

    Les activités pétrolières seraient une grande menace pour le parc. Il est pourtant un formidable atout de développement durable pour les populations locales. Pour le démontrer, nous avons récemment fait évaluer la valeur économique de ses écosystèmes. Elle a été estimée à 48,9 millions de dollars (plus de 38 millions d’euros) par an. Ce chiffre pourrait grimper à 1,1 milliard de dollars (plus de 855 millions d’euros) par an, si la région devient stable et que le Parc est bien géré.

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