Ray Lema, le chant uni de tous les Congo

Lundi 30 mars 2015 - 07:48

Ray Lema, insatiable touche-à-tout. Ce grand artiste n’en finit pas d’explorer les riches sonorités de son continent, poursuivant son rêve de musique panafricaine

Depuis qu’il mène ses wagons sur tous les rails de la terre, Ray Lema, le fils de chef de gare venu au monde le 30 mars 1946 dans un train à Lukala, à l’ouest de cette vaste terre qui ne s’appelait pas encore Zaïre, s’est arrêté dans toutes sortes de stations.

D’Afrique, subtropicale ou sahélienne, du Maroc, d’Europe de l’Est ou scandinave, des États-Unis, du Brésil ou de France. Quantité d’étapes que racontent ses quatorze albums depuis 1982, qui explorent mille sonorités.

Des voix bulgares aux Gnawas, de la musique de chambre au quintet. Inlassablement, l’insatiable touche-à-tout invente une chanson, un jazz, une musique classique d’Afrique. Et même de « Panafrique », tant ces jalons ont pour points communs son goût de la pérégrination, et son attrait du partage.

L’Amadeus africain

Témoin son dernier-né, Nzimbu, que Ray Lema aime plus que tout. « C’est mon projet le plus riche culturellement », confie même le chanteur. Nzimbu : « la fortune » ou « le chant », en kikongo, la langue que parlaient autrefois ses parents, que lui n’a jamais pratiquée en raison de son histoire si particulière.

Elle débute quand il a 11 ans : il est alors envoyé au petit séminaire après des tests où l’on décèle ses dons d’Amadeus africain : « On m’a mis sur l’orgue, se souvient-il. De six mois en six mois, je progressais si vite que ceux qui se chargeaient de mon apprentissage ont fait venir pour moi un piano de Belgique ».

Enfant, il déchiffre Bach, Mozart, le grégorien, devient accompagnateur des messes, sans réaliser qu’il est en train d’épouser sa vie. « Je suis venu à la musique parce qu’on me trouvait bon et qu’on me demandait de travailler, plus que par choix véritable. Par la suite, je me suis mis à aimer ce métier plus que tout. Il m’a fait découvrir ce que nous sommes, notre état vibratoire… »

Le besoin d’un retour sur soi

Il deviendra étudiant en chimie dans ces années 1960 synonymes d’indépendances, jouant parallèlement dans les bars de Kinshasa des airs de Jimi Hendrix ou des ­Beatles, intégrant un orchestre rock ou accompagnant les stars zaïroises.

Puis, à 26 ans, Ray Lema éprouve le besoin d’un retour sur soi. S’improvisant ethnomusicologue, micro et magnéto en main, il part à la découverte des musiques traditionnelles de son immense pays.

Il récolte mille sonorités, comme d’autres les cauris, le minerai ou les graines. Des musiques, des chants, qu’il prélève et stocke sur ses bandes. Le gouvernement lui confie la mission de constituer ce qui deviendra le Ballet national du Zaïre.

Cette fois, il va chercher musiciens et danseurs villageois pour les ramener à Kinshasa. Moins de trois ans plus tard, l’aventure tourne court, faute d’argent. En désaccord avec Mobutu sur ce que doit être la culture dans un pays neuf comme le sien, il part pour un long exil vers les États-Unis puis la France.

Une université musicale africaine ?

Des décennies plus tard, le revoici, qui a construit sa vie à Paris. Il reste des traces de cet âge d’or avec lequel il cherche à renouer. Comme ce rêve de créer une université musicale africaine : « Il s’agit de mettre en place une éducation musicale véritablement africaine, partant de nos racines et qui commence par la collecte de toutes les cultures musicales du continent. »

Nzimbu constitue à sa manière une première étape vers ce nouvel enracinement. Il faut écouter ce bel album qui passe d’une rive à l’autre du grand fleuve, voyage de l’Atlantique jusqu’aux terres les plus profondes, passe de la rumba kinoise aux polyphonies pygmées, du rap aux harmonies des Lubas, l’ethnie du Sud. Et qui parle le kikongo.

À quasiment 69 ans, Ray Lema redécouvre ces sonorités lointaines qu’il s’est mis à apprendre, portées ici par ses compagnons d’enregistrement : Fredy Massamba, star du hip-hop à Brazzaville, et Ballou Canta, roi de la rumba à Kinshasa. Avec lui, le représentant de la diaspora, Nzimbu réalise un autre rêve : rassembler tous les Congo.

Tous, y compris Les Oubliés du Kivu, chanson essentielle à la sublime douceur, qui braque en français les projecteurs sur une région riche « pour son malheur », meurtrie par une guerre si loin de nos yeux. « Le silence autour de ce qui s’y passe me déchire », commente le chanteur.

 

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