Carton rouge aux poulets !

Vendredi 10 juillet 2015 - 14:53

D’habitude distraits et «je m’enfaitistes» lorsque survient une alerte au sujet de la circulation d’un produit alimentaire impropre à la consommation, les consommateurs kinois se sont dressés, comme un seul homme, contre la viande de poulets surgelés. Ce type de menu a été totalement rayé, jusqu’à nouvel ordre, de la carte alimentaire kinoise. Désormais, les « invités » aux fêtes de mariage, de « collation » de grades académiques ou des brevets de la maternelle, de première communication, d’anniversaire, de retrait de deuil, d’installation de nouveaux mandataires publics.., commencent par s’assurer qu’une cuisse ou une aile de poulet ne se serait pas glissée dans le tas de morceaux de viande, de dinde, de poisson de mer ou de poisson salé leur proposés par un service traiteur ou les ménagères locales. Il faut désormais apporter aux gourmets la preuve formelle du recours à un coq ou une poule sur pied pour espérer trouver des « clients » pour la volaille.
La peur de la mort certaine a rendu sage plus d’un friand de la bonne viande. Dans le contexte actuel, la file des végétariens est en train de s’allonger à vue d’œil. Les « nganda » de poulets rotis ont pratiquement fermé boutique. Importateurs et vendeuses des poulets surgelés sont en « deuil », pour une durée indéterminée.

Le « carton rouge » infligé à l volaille surgelée voici plus d’un mois parait sans appel. Personne, visiblement, ne veut prendre le moindre risque, en dépit des appels au calme des membres du gouvernement, dont le dernier en date remonte au samedi 4 juillet 2015, dans le cadre, d’une conférence de presse co-animée par les ministres du Commerce, Ngudianza Bayokisa, de la Santé Publique, Félix Kabange Numbi, et de l’Agriculture Kabwe

A en croire les trois ministres, l’exécutif national avait pris l’affaire en mains dès qu’il avait été mis au courant, le 29 mai 2015, par l’Ambassade de Turquie, du mouvement d’une cargaison suspecte de 25. 100 kg de viande poulet nue présumée infectée de grippe aviaire, lot n° CGMU 4844-18-9, vers le port de Matadi. Ils ont rappelé, d’une seule voix, la mise sur pied d’une Commission interministérielle Sanitaire et Phytosanitaire (Commerce, Santé, Agriculture), avec la participation de l’OCC (Office Congolais de Contrôle), chargée d’évaluer les risques et de proposer des mesures de protection de la santé humaine et animale.

Ils ont souligné, comme autre mesure préventive du gouvernement, annoncée le 14 juin 2015, l’interdiction d’importation et de commercialisation de la viande de volaille produite en Turquie non seulement à Kinshasa mais également sur l’ensemble du territoire congolais.

La ministre Ngudianza du Commerce, principale animatrice de là conférence de presse sus évoquée, a révélé qu’à ce jour, une centaine de containers porteurs de viande de volaille sont consignés aux différents postes frontaliers de la République. Ils ont martelé qu’aucun poulet infecté de grippe aviaire (peste animale) n’a jusque-là franchi les frontières congolaises car 10CC, la Police Nationale Congolaise et l’Interpol veillent au grain. Elle a souligné que toutes les dispositions sont prises, avec la collaboration de la Direction Générale de Concurrence et Fraudes Commerciales du Congo Brazzaville pour que la cargaison de la société turque Okan Takukalluk, soit réexpédiée vers son port d’origine. L’autre précision fournie par la ministre du Commerce est que trois provinces seulement de Turquie étaient touchées, à savoir Kastamonu, Balikesir et Manisa et que l’épidémie de grippe aviaire serait déjà maîtrisée par les autorités sanitaires de Turquie. Toutefois, la centaine de containers bloqués aux frontières restent en l’état, en dépit du flot des recours qui proviennent de leurs importateurs.

La bataille la plus difficile à gagner par les autorités nationales et provinciales reste la restauration de la confiance chez les consommateurs, plus que jamais convaincus que la chaîne de contrôle des produits alimentaires ne fonctionnerait pas correctement. Ils n’ont pas oublié que l’OCC (Office Congolais de Contrôle), la DGDA (Direction Générale des Douanes et Accises), le Service d’Hygiène aux Frontières et la DGM (Direction Générale de Migration), les quatre services officiels autorisés à opérer aux postes frontaliers, sont souvent victimes d’obstruction de tous ordres. Combien de fois n’a-t-on pas appris qu’un produit alimentaire importé déclaré impropre à la consommation et destiné à l’incinération a finalement été reversé dans le circuit normal de vente, à la suite d’une contre- expertise de complaisance effectuée au mépris de celle de l’OCC ou tout simplement d’une décision d’autorité?
C’est pareil pour les médicaments, les friperies, les électroménagers, les téléphones, les véhicules, les cigarettes... en provenance de l’étranger, contrefaits ou dont les dates de péremption sont tripatouillées qui circulent en toute impunité à travers le territoire congolais, mettent chaque jour en danger la vie des milliers de citoyens. La mauvaise réputation de poubelle universelle qui colle désormais à la peau du grand Congo n’est pas pour apaiser des consommateurs qui ont le sentiment qu’on les a trop floués et qu’il serait temps qu’ils se prennent en charge. La confiance ne peut revenir que si toutes les structures qui devraient concourir aux contrôles de la qualité des biens de consommation courante, importés ou produits localement, retrouvent leur indépendance de travail et font montre d’une expertise à même de faire échec, au jour le jour, à l’industrie de la mort.

Consommons congolais : aller au-delà du slogan

Les producteurs locaux de la volaille vont-ils saisir leur chance pour supplanter définitivement les poulets surgelés ? Cela est possible, si les consommateurs leur restent fidèles, comme c’est le cas actuellement. Cela est possible, s’ils arrivent à produire suffisamment pour répondre aux besoins du marché intérieur et surtout, si les poulets sur pied cessent d’être une viande de luxe. Il faut à la fois qu’ils soient capables de s’équiper et de moderniser leurs techniques d’élevage, en solo ou avec le concours de l’Etat.
C’est le moment ou jamais de déclencher la « révolution alimentaire », par la multiplication des fermes avicoles et agricoles. Mais si les mauvaises habitudes reviennent après le passage de la vague de la grippe aviaire, le slogan « Consommons congolais » risque de connaître le sort de son prédécesseur, entendez « consommons Zaïrois ». La leçon de la grippe aviaire devrait être capitaliste pour matérialiser la « révolution de la modernité » dans le secteur de l’élevage de volaille.

Par Kimp