Le 26 juillet 2018, quelques jours avant la fin de son mandat, Joseph Kabila promulguait la loi no 18/021 portant statut des anciens Présidents de la République élus et fixant les avantages accordés aux anciens Chefs de corps constitués. Il s’agissait d’une loi sur mesure et inconstitutionnelle qui avait été adoptée par un Parlement largement dominé par ses partisans ou tambourinaires.
Même si elle n’avait pas été attaquée en justice et ne pouvait pas être déclarée inconstitutionnelle par une Cour constitutionnelle également dominée par les juges recrutés dans les rangs du PPRD ou de la Majorité présidentielle et dépourvue d’indépendance, cette loi n’était pas nécessaire dans la mesure où l’ancien Président de la République était déjà protégé par la Constitution qui lui accorde la qualité de Sénateur à vie (Article 104) avec les immunités (Article 107), les droits et avantages reconnus aux Sénateurs (Articles 109).
Qui pis est, la loi est allée plus loin en accordant des droits et avantages exceptionnels à vie aux personnes autres que les anciens Chefs d’Etats élus comme les anciens Premiers ministres, les anciens Présidents du Conseil supérieur de la magistrature, les anciens Procureurs généraux près la Cour constitutionnelle, les anciens Présidents de la Cour suprême de justice, de la Cour de cassation, du Conseil d’Etat, de la Haute Cour militaire, des anciens Procureurs généraux de la République, Procureurs généraux et Auditeurs généraux près ces juridictions, anciens Présidents du Conseil économique et social, de la Commission électorale nationale indépendante, du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la Communication et de la Commission nationale des droits de l’homme, des anciens Chefs d’Etat-Major des Forces armées et anciens Commissaires généraux de la police nationale congolaise, anciens Administrateurs généraux de l’Agence nationale de Renseignement et anciens Directeurs généraux de migration et aux anciens Chefs d’Etat-Major des Forces Terrestre, Aérienne et Navale.
Au terme de l’article 22 de la Loi, dans un délai de trois mois à dater de sa publication au Journal officiel, un décret du Premier ministre délibéré enConseil des ministres devait déterminer les avantages et devoirs visés àl’article 21 pour les anciens Chefs de corps autres que les Présidents des deux chambres du parlement régis par des textes particuliers. Plus préoccupés par ses propres droits et avantages, Le Premier ministre Bruno Tshibala avait préféré voir ce délai expiré pour ne prendre qu’un Décret déterminant les droits et avantages des anciens Premiers ministres dont il allait aussi bénéficier, abandonnant les autres Chefs de corps constitués à leur triste sort.
Avant de parler du projet de décret contesté, il convient d’examiner l’économie de la loi dont Honorable Député national Jacques Djoli a exigé l’abrogation à travers une proposition de loi récemment soumise au Bureau de l’Assemblée nationale.
La Loi portant statut des anciens Présidents de la République élus et ses sept péchés
Premièrement, cette loi pouvait se limiter aux anciens Présidents de la République élus, mais embrasse plusieurs responsables d’institutions qui ne rentrent même pas dans cette catégorie.
Deuxièmement, cette loi fait prévaloir la qualité d’ancien Président de la République élu la loi au à celui de « Sénateur à vie »pourtant déterminé par la Constitution (Article 104).
Troisièmement, et ce n’est pas moins grave, la loi constitue une fraude à la constitution car elle tend à créer une institution non prévue par celle-ci, l’institution « Ancien Président de la République élu ». Loin d’être un titre honorifique, l’« ancien Président de la République » devient une fonction même titre que celle le Président de la République (Article 68 de la Constitution), ce qui traduit la volonté du Front Commun pour le Congo (FCC) dont il est l’Autorité morale de placer l’ancien Président Joseph Kabila au-dessus des institutions constitutionnelles pour en faire l’égal ou presque du président Felix Tshisekedi alors que dans les pays comme le Benin qui a également une loi portant statut des anciens chefs de l’Etat, l’ordre protocolaire les place après les chefs des institutions politiques.
Les articles 7 et 8 de la loi qui font de l’ancien Président de la République ont de quoi étonner plus d’un constitutionnaliste. Selon l’article 7, « Toul ancien Président de la République élu jouit de l’immunité despoursuites pénales pour les actes posés dans l’exercice de sesfonctions ». L’article 8 se réfère également aux actes posés par l’ancien Président de la République « en dehors de l’exercice de ses fonctions ». Dans les deux cas, l’on peut bien se demander de quelles fonctions il s’agit.
Quatrièmement, la loi confère à l’ancien président de la République des droits qui sont plus nombreux et qui s’ajoutent à ceux dont il jouit déjà constitutionnellement en sa qualité de Sénateur à vie (Article 109). Un décret du Premier ministre délibéré en Conseil des ministresest même prévu pour déterminer les conditions dans lesquelles des honneurs officiels peuvent lui être rendus (Article 3 in fine).
Cinquièmement, l’ancien Président de la République élu est soumis plusieurs devoirs et obligations (Articles 4 et 5), mais aucune sanction n’est prévue en cas de leur violation.
Sixièmement, l’ancien Président de la République est revêtu d’immunités exceptionnelles sans commune mesure avec celles de Sénateurs ou même du Président de la République en fonction. Puisque les articles 7 et 8 ne permettent pas de trouver les actes qui peuvent être posés en dehors de ses « fonctions d’ancien Président de la République élu », ses immunités sont quasi absolues et il ne peut pas être poursuivi.
Si l’on admet que l’article 8 laisse la voie à l’ouverture des poursuites, le premier problème est qu’il est place sous le même pied d’égalité que le Président de la République et le Premier ministre en fonction parce que comme pour ces derniers (Article 166 de la Constitution), les poursuites doivent être autorisées par un vote à la majorité des deux tiers des membres des deux Chambres du Parlement réunies en Congrès.
Alors que la Constitution établit la Cour constitutionnelle comme le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre (Articles 163-166), la loi ne dit pas qui est le juge pénal de l’ancien Président de la République élu. L’on suppose que c’est la Cour de cassation qui devra le juger en sa qualité de membre du Senat (Sénateur a vie) (Article 153).
Aussi, dans l’esprit des parlementaires kabilistes, l’ancien Président de la République ne pouvait être ni jugé ni condamné. C’est pourquoi la loi ne prévoit pas son juge pénal ni de sanctions en cas de condamnation. Alors que la Constitution prévoit qu’en cas de condamnation, le Président de la République et le Premier ministre sont déchus de leurs charges (Article 167), rien n’est prévu en cas de condamnation de l’ancien Président de la République élu alors que l’on pouvait concevoir aussi une déchéance de ses « fonctions » ou une perte de tous les droits et avantages ! Pour les infractions commises en dehors de leurs fonctions, les poursuites contre le président de la République sont soutenues jusqu’à l’expiration de son mandat (Article 167 in fine). De telles poursuites n’auraient jamais lieu car à l’expiration de son mandat, il devient « Ancien Président de la République élu » devant jouir des immunités prévues par les articles 7 et 8 de la Loi qui est ainsi inconstitutionnelle.
Septièmement, les avantages reconnus à l’ancien Président de la République sont révoltants pour le peuple congolais. La loi distingue ce que l’on pourrait appeler « avantages ordinaires » et « avantages complémentaires ou exceptionnels ». L’ancien Président de la République élu cumule ses avantages ordinaires (pension spéciale, allocation annuelle pour services rendus, soins de santé, la rente de survie et la rente d’orphelin) (Articles 10-17). A l’exception de la pension spéciale, il bénéficie de tous les autres avantages en même temps que ceux auxquels il a droit comme Sénateur (à vie) (Article 109) car aucune disposition de la loi n’interdit le cumul et tous ces avantages sont déterminés annuellement par le Parlement lors du vote de loi des Finances sur proposition du gouvernement.
Tout ancien Président de la République élu bénéficie de plusieurs avantages complémentaires (Article 18) qui comprennent:
une habitation décente fournie par l’Etat ou une indemnité de logement ;
un passeport diplomatique pour lui-même, son conjoint et ses enfants mineurs;
un titre de voyage en business class pour lui-même, son conjoint etses enfants mineurs ;
cinq Véhicules pour la fonction et pour usage domestique, après cinq ans deux fois renouvelables;
un service de sécurité doté de moyens logistiques conséquentscomprenant au moins deux gardes du corps, trois éléments de sa suite et une section chargée de la garde de sa résidence;
un personnel domestique dont le nombre ne peut dépasser dix personnes ;
des locaux faisant office de bureaux pour lui-même et pour sonsecrétariat dont le nombre ne peut dépasser six personnes ;
une dotation mensuelle en carburant;
une indemnité mensuelle pour les frais de consommation d’eau, d’électricité et de téléphone.
Au regard de ce qui précède, l’ancien Président de la République élu
dont les avantages dépassent de loin ceux des Présidents de la République en fonction dans des pays développés comme la France devient une énorme charge financière (habitation décente, titres de voyages en business ; nombre indéterminé de locaux, six véhicules renouvelables deux fois après cinq ans …) pour les maigres ressources de l’Etat et en même temps une menace sécuritaire (un service de sécurité doté de moyens logistiques conséquents non définis et une section de la garde de la résidence avec un nombre indéfini de soldats qui peut en faire une armée dans l’armée ou un véritable camp militaire).
Pour peu qu’ils pourraient encore avoir le sens de l’honneur, les membres du gouvernement et les parlementaires qui avaient voté la Loi portant Statut des Anciens Présidents de la République élus sur mesure de leur Autorité morale ne se regarderaient jamais dans le miroir de l’histoire sans frémir. Avec ses nombreux péchés, cette loi n’a pas sa place dans un Etat de droit démocratique et social que le peuple congolais avait décidé de bâtir en adoptant la Constitution du 18 février 2006. Il en est de même du décret actuellement en discussion au gouvernement de la République.
Le Projet de décret portant création, organisation et fonctionnement du Secrétariat d’un ancien Président de la République : le « Décret Merci Raïs » et se quatre « péchés cardinaux » !
Après le décret no 18/037 déterminant les modalités d’octroi des honneurs et des avantages complémentaires aux anciens Présidents de la République élus signé par le Premier ministre Bruno Tshibala en date du 24 novembre 2018, ce projet est du Premier Ministre Sylvestre Ilunga qui l’a fait endosser par le Vice-Premier ministre, Ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Célestin Tunda ya Kasende, pour le présenter au Conseil des ministres. Il devrait constituer le premier acte de gratitude du Premier ministre envers le « Raïs », son Autorité morale.
Malgré les quelques corrections y apportées par le Vice-Premier ministre, Ministre de la Justice et son Cabinet, le projet de décret commet quatre péchés cardinaux et contient donc plusieurs irrégularités qui justifient son rejet.
Le premier péché réside dans l’intitulé. Le projet se réfère simplement au secrétariat d’«un ancien Président de la République» sans la précision qu’il doit s’agir des anciens Présidents de la République élus. Le pluriel devrait être également employé pour se conformer à la Loi portant Statut des anciens Présidents de la République élus. Aussi, en se référant au secrétariat d’« un ancien Président de la République », le Premier ministre Sylvestre Ilunga n’entend laisser planer aucun doute sur l’identité du bienfaiteur et de l’ancien Président de la République à il doit sa gratitude pour l’avoir « fait » !
Le second péché du « Décret Merci Raïs » est qu’il manque de fondement légal ou repose sur une base légale inexacte. Le préambule se invoque l’article 18, point 7 de la Loi portant Statut des Anciens Présidents de la République élus.
Il est triste que malgré la présence dans leurs Cabinets de nombreux Conseillers juridiques recrutés au sein du PPRD/FCC, et le Premier ministre et son Vice-premier ministre qui est aussi un avocat, ne se soient pas rendus compte de l’inexactitude de ce «vu » ou de ce « considérant ». En effet, l’article 18, point 7, inclut dans les avantages complémentaires dus aux anciens Présidents de la République élus les « locaux faisant office de bureaux » pour l’ancien Président de la République élu et pour son secrétariat. Il ne fait aucune allusion à l’organisation et au fonctionnement de ce secrétariat ni à un quelconque décret délibéré en Conseil des ministres devant être pris par le Premier ministre pour le régir.
Le troisième péché porte sur le nombre de personnes devant composer le secrétariat d’un ancien Président de la République. Alors que l’article 18, point 7 de la Loi évoque un « secrétariat dont le nombre ne peut dépasser six personnes », le projet du Premier ministre Sylvestre Ilunga qui est professeur d’économie appliquée à l’Université de Kinshasa entend faire davantage contre les finances publiques malgré les contraintes budgétaires et nos maigres ressources en portant ce nombre de 6 à 20 (Article 3 du projet).
Ainsi que le révèle sa première mission qui est d’« Etudier, analyser, évaluer toute question touchant aux domaines politique, juridique, économique, sociale et culturel de la vie nationale et faire des propositions à l’ancien Président de la République ») (Article 2, point 1 du projet), on n’est plus en présence d’un simple secrétariat, mais d’un véritable Cabinet présidentiel avec un directeur, des assistants (en réalité des conseillers) et de trois secrétaires particuliers (Article 3 du projet) ou plutôt d’un gouvernement fantôme sous l’égide du Directeur du Secrétariat agissant comme un Premier ministre bis qui pourra engager et superviser les activités des fidèles de l’ancien Président de la République (Articles 5 et 6) qui seraient chargés de certains missions particulières et à qui il délivrerait plus facilement des ordres de mission. Le Directeur est l’ordonnateur des dépenses et surveille la compatibilité du secrétariat dont le budget émarge au budget de l’Etat (Articles 5 in fine et 15). Comme les membres d’un cabinet politique, du gouvernement ou du Parlement, les membres du Secrétariat ont droit à une indemnité de sortie équivalente à six mois de leur dernier traitement, à charge du trésor public (Article 8 du projet).
Le quatrième péché du projet se dégage des pouvoirs reconnus à l’ancien Président de la République et qu’aucun texte de loi ne prévoit jusque-là. La Constitution fait de lui un Sénateur et donc un parlementaire à vie. Les Règlements intérieurs du Sénat et de l’Assemblée nationale donnent à chaque parlementaire le droit d’avoir un Assistant, mais pas un secrétariat ni des locaux pour l’abriter. Les parlementaires ne posent aucun acte administratif de nomination ou de révocation de leurs Assistants dont les rémunérations sont fixées par le Sénat ou l’Assemblée nationale.
Cependant, le projet de décret confère à l’ancien Président de la République le pouvoir de nommer, relever de leurs fonctions et, le cas échéant, révoquer les membres du secrétariat (Articles 4 et 6) comme pour en faire l’égal du Président de la République en fonction qui fait de même pour les membres de son Cabinet.
Comme le Président de la République en fonction, l’ancien Président de la République fixe leurs rémunérations et autres avantages des membres du Secrétariat (Article 7). Toutefois, le Président de la République est aussi une autorité administrative, la plus haute au niveau central, et statue par voie d’ordonnances (Article 79 de la Constitution) qui peuvent être attaquées devant le Conseil d’Etat pour violation de la loi (Article 155 alinéa 1er). Dans son projet de Décret Merci Raïs, le Premier ministre Sylvestre Ilunga devait pousser la logique plus loin et dire clairement si l’ancien Président de la République pourra aussi statuer par voie d’«ordonnances » et si celles-ci pourront être attaquables devant le Conseil d’Etat comme celles du Président de la République en fonction dont le PPRD/FCC a toujours cherché abusivement à faire son collègue.
Au regard de ce qui précède et de ses nombreux « péchés », la loi no 18/021 portant statut des anciens Présidents de la République élus et fixant les avantages accordés aux anciens Chefs de corps constitués devrait être abrogée parce qu’elle viole la Constitution et constitue une injustifiable charge pour le trésor public en accordant d’énormes avantages matériels et financiers à un individu qui en a déjà en sa qualité de Sénateur à vie en plus d’autres avantages acquis quand il exerçait les fonctions de Président de la République.
Par ailleurs, l’article 99 de la Constitution stipule qu’à l’expiration de ses fonctions, le Président de la République est tenu de déposer devant la Cour constitutionnelle une déclaration écrite de son patrimoine familial, énumérant les biens meubles, y compris les actions, parts sociales, obligations, autres valeurs, comptes en banque, biens immeubles, y compris terrains non bâtis, forêts, plantations et terres agricoles, mines et tous autres immeubles, avec indication des titres pertinents. Le patrimoine familial inclut les biens du conjoint selon le régime matrimonial, des enfants mineurs et des enfants, même majeurs, à charge du couple. L’ancien Président de la République qui ne se serait pas soumis à cette obligation constitutionnelle à la fin de ses fonctions dispose des moyens matériels et financiers colossaux acquis légalement ou illégalement pendant ses 18 ans de règne.
Le Sénateur à vie peut aussi compter sur un nombreux personnel et d’un impressionnant dispositif sécuritaire et ne devrait pas être demandeur d’un secrétariat. Il n’y a aucune nécessité ni urgence. Insécurité, famine, misère, chômage, non-paiement ou modicité des salaires à la base des grèves, corruption, détournement des deniers publics, enrichissement illicite des dirigeants par le jeu des commissions et rétro-commissions et Coronavirus qui vient de procéder à une « transition pacifique et civilisée » avec le virus d’Ebola …la RD Congo et soin peuple sont confrontés à de nombreux et graves problèmes qui devraient préoccuper son gouvernement. Un décret portant création, organisation et fonctionnement d’un secrétariat de l’ancien Président de la République ne saurait être la solution d’un gouvernement responsable. Le Premier ministre Sylvestre Ilunga est invité à retirer son brouillon d’autant plus que ce projet mal rédigé qui ne se préoccupe que des intérêts d’un individu énerve la Constitution de la République et n’a pas de base légale.
André Mbata Mangu
Professeur des Universités
Directeur exécutif de l’IDGPA