Après avoir attentivement suivi la saga de l'affaire Kamerhe et consorts, qui du reste se poursuit par plusieurs interpellations, il est évident qu'il s'agit d'un tournant non négligeable pour le Congo et sa justice. Il faut être animé d’une particulière mauvaise foi pour ne pas voir la marque du nouveau régime dans sa quête de l'instauration d'un Etat de droit.
Chapeau bas à la justice congolaise qui suscite, au travers de cette affaire, un réel espoir!
Cependant, après l'euphorie provoquée par ces multiples interpellations de ce qu'on l'on appelle communément des "gros poissons", l'heure est venue pour faire une analyse objective à l’aune de ce qui se passe sous d’autres cieux dans des affaires similaires.
En tant que praticien du droit, avec ma double casquette d'avocat aux Barreaux de Bruxelles et de Kinshasa, j'éprouve malgré tout quelques inquiétudes. En effet, étant membre dans ce que l'on appelle la "section pénale" du Barreau, je suis appelé à traiter énormément d'affaires pénales (Trafics de stupéfiants, meurtres, assassinats, escroqueries, faux et usage de faux, fraude informatique, fraude à la carte bancaire,...) je reste toujours fasciné par la manière dont les parquets déclenchent et mènent les enquêtes.
Il m’est évident de voir que systématiquement, même dans de petites affaires, non seulement, des saisies sont effectuées (PC, Gsm, véhicules,...) mais également des perquisitions surprises sont opérées (domiciles, bureaux et autres lieux suspects). Et dans des affaires financières comme celle qui retient notre attention, les juges d'instructions procèdent systématiquement à des gels des avoirs financiers.
Souvenons-nous de l'affaire Bemba, alors qu'il ne s'agissait pas d'un délit financier, ses avoirs avaient pourtant été gelés. Les bruxellois se souviendront que même son épouse a été interpellée au volant de son véhicule pour saisir celui-ci. Dans une autre affaire, un congolais (actuellement décédé) surnommé "le millionnaire congolais", durant toutes les années qu'a duré son procès pour blanchiment, ses multiples comptes avaient été gelés.
Dans ce types d'affaires où le délit a été commis en "association", qui du reste est une circonstance aggravante, il est également impérieux de procéder par un "gros coup de filet", technique imparable qui permet aux enquêteurs de neutraliser le réseau des présumés malfaiteurs avec une certaine efficacité. Au courant de l’année 2019, j’ai été appelé à intervenir dans une affaire qui impliquait 35 suspects d’origine maghrébines et congolaises pour faux et usages de faux. Après la phase de l’ « information », les enquêteurs ont amorcé la phase de l’ « instruction » par un gros coup filet qui a neutralisé l’association.
C’est progressivement que les différents protagonistes ont été libérés, en fonction de l’implication plus ou moins grande des uns et des autres. En passant, je tiens à épingler une nouvelle technique qui s’impose de plus en plus - qui n’existe pas encore au Congo- celle de la détention à domicile avec la pose d’un bracelet au bas de la jambe (c’est une forme de surveillance électronique qui est particulièrement efficace. On peut également la poser après la condamnation, elle prend alors la forme d’une peine avec des heures de sortie et rentrée. Ce qui n’est pas le cas lorsqu’elle est posée pendant l’instruction, car le suspect est confiné chez lui sans droit de sortie). Et c’est seulement après huit mois que les derniers suspects ont été libérés sous condition ou non.
Les interpellations à compte goutte comme c’est le cas dans l’affaire Kamerhe, me laissent perplexe. Certes, elles suscitent beaucoup de satisfaction dans l’opinion publique. Cependant, avec mon regard de praticien, je grince des dents parce que dans une affaire d’une telle ampleur, interpeller de cette manière est dépourvu d’efficacité. L’impression qui est la mienne c’est que le parquet attend qu’une personne préalablement interpellée cite une autre pour finalement se décider, le cas échant, de l’interpeller à son tour.
C’est ainsi que les interpellations s’éternisent et rendent laborieuse et inefficace l’enquête. Le parquet possède un large pouvoir d’appréciation des profils des suspects dans ce type d’affaire. Il aurait donc été judicieux de décrire préalablement et en secret le profil des personnes à interpeller, puis d’établir une longue liste et ensuite leur délivrer des mandats d’amener, quitte à les libérer progressivement. Cela peut paraitre cruel et traumatisant, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une technique d’enquête imparable.
Quelle est réellement le bien-fondé de telles pratiques (perquisitions, saisies, coups de filet à grande échelle, écoutes téléphoniques encadrées bien-sûr,…), pourtant intrusives et déstabilisantes pour les concernés et leurs proches?
Elles permettent sans nul doute d’éviter, sinon de réduire considérablement les risques de déperdition de preuves et de collusion des témoins. En effet, dès lors que le mandat d’arrêt provisoire a été émis, marquant le passage du statut de renseignant à celui de suspect, le parquet de Matete avait la latitude d’émettre séance tenante, des mandats de perquisition (à domicile ainsi que dans les locaux professionnels) afin d’éviter que des probables complices prennent la poudre d’escampette et/ou fasses mains basses sur les éléments de preuves.
Les pénalistes ont pu constater qu’hormis la saisie classique des documents probants, celle des appareils (smartphones, PC portables ou non, des codes d’accès aux comptes Facebook et autres) sont devenues monnaie courante et d’une efficacité inouïe, dans la mesure où une grande partie de nos conversations passent désormais par ces moyens de communications, qui se révèlent des réservoirs importants d’informations pour la justice.
J’en veux pour preuve, mon intervention dans une récente affaire ouverte au parquet de Charleroi où le GPS a permis de tracer le parcours exact d’une personne suspectée de trafic de stupéfiants en association. Alors que ce suspect niait formellement s’être rendu dans plusieurs villes où les faits avaient été perpétrés, sans la saisie préalable du véhicule, les enquêteurs n’auraient pas accédé à une information aussi capitale qui n’a pas manqué de le confondre.
Force est de constater qu’en RDC, ce genre d’affaires très spectaculaires portant sur des sommes astronomiques, reste sur le plan du symbole. L’Etat congolais ne récupère (en numéraire ou en nature) quasi jamais les sommes dilapidées. Or, la finalité et le caractère exemplaire repose, non seulement dans la condamnation pénale des malfaiteurs, mais également et surtout dans la récupération des sommes spoliées afin de renflouer les caisses de l’Etat et de relancer les projets en souffrances.
Au regard de l’importance des sommes prétendument détournées, il est donc indiqué et opportun que l’Etat congolais se constitue partie-civile. Et à sa suite, les entreprises lésées voire même des particuliers qui estiment avoir été préjudiciées par les actes délictueux. D’où, l’importance d’opérer systématiquement, comme il a été dit ci-avant, des saisies des avoirs, d’une grande envergure, et ce proportionnellement à l’enjeu du litige. De la sorte, les parties lésées peuvent aisément récupérer, en tout ou en partie les sommes perdues.
Ainsi, il est impératif que les nouvelles autorités en place mettent un point d’honneur à équiper et organiser des formations afin de mettre à jour les techniques d’enquêtes des parquets. Mais également créer des cellules spécialisées en leur sein. Au courant de l’année 2010, alors que j’assurai la défense d’une star de musique congolaise devant le tribunal correctionnel de Bruxelles, j’ai découvert que le parquet avait, suite à la recrudescence du phénomène Ngulu, crée une énième cellule dénommée « cellule Papa Wemba ».
En effet, il sied de rappeler que la phase juridictionnelle est tributaire de la phase pré juridictionnelle. En d’autres termes, lorsque l’information et l’instruction sont diligentées de la manière la plus efficace, les juges du fond sont beaucoup plus à l’aise pour condamner et prononcer les peines idoines. Il ne faut jamais perdre de vue que le sacro saint principe de la « présomption d’innocence » qui prévaut pendant l’instruction se poursuit jusque devant le juge du fond. Et ce principe a un pendant, c’est celui du « doute qui profite à l’accusé » lequel permet avec une cetaines efficacité, aux avocats de faire acquitter leur client, quand-bien même celui-ci serait le parfait coupable. Et tout cela, à la faveur d’une instruction mal ficelée ! Il ne faut donc pas crier victoire trop tôt, la logique juridique et la réalité judiciaire sont parfois implacables. Dura lex sed lex ! Cet adage vaut dans les deux sens, tant pour les inculpés, mais également pour les victimes et l’opinion qui doivent quelques fois souffrir de voir un parfait coupable acquitté.
La crainte, c’est que ce genre d’affaires qui portent sur des sommes mirobolantes risque de n’ « accoucher que d’une souris ». Au grand damne des populations déjà meurtris par les multiples affaires de détournement, blanchiment et spoliation non élucidées. Ma crainte est d’autant plus grande qu’au moment où je couche les dernières lignes, j’apprends que le prévenu Kamerhe est déjà déféré devant la juridiction du fond pour certains volets de l’affaire. Cela est plus qu’étonnant, car l’instruction d’une telle affaire peut s’étendre sur plusieurs mois, voire plusieurs années. L’opinion se souviendra de l’affaire FILLON en France dont l’enjeu portait sur des sommes cent fois moins importantes (détournements de fonds publics, abus de biens sociaux, recel, emplois fictifs, manquement de la déclaration à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique).
En l’espèce, elle a débuté lors de la campagne électorale de février 2017. Et ce n’est qu’en février 2020 que l’affaire a été plaidée au Tribunal correctionnel de Paris. Le jugement sera quant à lui prononcé en juin prochain. Et les exemples sont légions !
Claude Kayembe-Mbayi
Avocat au barreau de Kinshasa/Gombe
Avocat au Barreau de Bruxelles et Charleroi