Tribune : alerte le gouvernement des juges est en route ( A. Mampuya, Pr Ordinaire Émérite)

Samedi 13 juin 2020 - 09:19
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ALERTE ! LE GOUVERNEMENT DES JUGES EST EN ROUTE
Décidément, cette période, la Justice, les magistrats, ministère public et juridictions aussi bien judiciaires que constitutionnelle et administrative, ont le vent en poupe. Il n’y a pas que les procès vedettes des divers détournements qui ont appauvri la République et ses populations, mais que l’on pense à la succession des requêtes tombant sur le bureau de la Cour constitutionnelle et sur celui du Conseil d’Etat, donnant lieu à des procédures qui sont toujours spectaculaires en raison des personnes concernées.
Juridictionalisation et judiciarisation : d’un bon esprit à la dérive de privatisation
Il faut se réjouir que nos juridictions soient comme s’étant réveillées, et c’est pour la bonne cause de l’Etat de droit qui, en passant, ne se réduit pas qu’à la soumission au droit à tout prix ou à des condamnations à tourne mains. C’est un bon signe que les citoyens recourent de plus en plus à la justice pour faire respecter leurs droits et libertés, cette tendance à la juridictionnalisation est heureuse, assurément.
Pour autant, les esprits avertis constatent comme une sorte de dérive dans cette frénésie judiciaire, avec la volonté de faire des procès judiciaires à propos de toute querelle, une volonté de judiciarisation, c’est-à-dire cette volonté de régler selon les procédures judiciaires ordinaires l’ensemble des relations sociales, y compris le fonctionnement et les prérogatives régaliennes des institutions représentatives. J’ose à peine y penser, mais avec effroi ! C’est pourtant ce qui est en train de se passer sous nos yeux !
Qu’un citoyen dont les droits fondamentaux sont violés, que ce soit par des particuliers ou par les autorités publiques, saisisse les juridictions c’est tout à fait normal. Il est bon que, victime de la violation de ses droits, tout citoyen prenne en mains sa défense et fasse respecter ses droits par le recours aux juridictions compétentes. Ainsi, pourrait-on promouvoir la culture des droits de l’homme, mais il faut convenir que c’est cela le statut des droits subjectifs, réels ou personnels.
Les droits subjectifs, c’est élémentaire mais utile à rappeler dans ce cadre, connaissent une autre classification en droits patrimoniaux et droits extrapatrimoniaux. La nature et le contenu des premiers étant facilement perceptibles de tous, je me permets de résumer ici le contenu des seuls droits extrapatrimoniaux, dont la défense peut être poursuivie juridictionnellement.
Les droits extrapatrimoniaux sont les droits subjectifs qui ne sont pas évaluables en argent, même si  leur violation peut être, au simple titre de réparation, sanctionnée par des dommages et intérêts. Ils ne font pas partie du patrimoine de la personne concernée. Les droits extrapatrimoniaux sont intransmissibles, incessibles, ils sont insaisissables et imprescriptibles. A ce titre, aucun sujet de droit ne peut en aucun cas ni par aucun moyen perdre ses droits qu’il s’agisse des droits de la personnalité, des droits familiaux ou des droits publics, civils et civiques (généralement connus sous la désignation de « droits de l’homme ». Et à ce titre chacun a le droit de les faire respecter par la Justice, garante des droits de l’homme.
 
Pour autant, face à cela, on a le droit de s’étonner que donnent lieu à procès judiciaire les « violations » de certaines prérogatives qu’on ne peut situer dans les droits subjectifs et qui ont leur existence dans le domaine politique et, plus précisément encore, dans le fonctionnement interne des institutions politiques, étatiques. Pour faire court et rapide, c’est le cas lorsqu’un membre d’une institution politique, membre du gouvernement, membre de l’institution parlementaire, gouverneur de province, « victime » d’une motion de censure ou d’une destitution, alors qu’il ne s’agit pas d’un fait de procédure électorale. Ce sont des situations qui se sont multipliées, certes dans le fonctionnement normal des institutions mais aussi du fait de balbutiements dus à l’ignorance des uns et des autres ou à la soif qui appartient à la même famille que le positionnement ou l’inculture politique qui font que nombre de « politiciens » entrent en politique pour l’enrichissement et autres intérêts et avantages matériels et sociaux. 
Dans toutes ces affaires, les intéressés, leurs défenseurs et la juridiction ont pris tels des droits subjectifs, certes extrapatrimoniaux, le fait d’être devenu gouverneur, député, sénateur, membre du bureau d’une chambre parlementaire. Cette privatisation des prérogatives et situations liées à l’accession à des statuts électifs ou institutionnels, entraînant celle du droit public lui-même, introduisent le juge dans des litiges qui ne sont pas de la nature de ceux qui lui sont naturellement soumis. J’ai toujours dit que ces pratiques précipitent le juge dans la sphère politique, dans des controverses et querelles politiques, dans des litiges qui ne le regardent pas et qui, en fait, n’ont pas de caractère juridique et ne se prêtent pas à un règlement judiciaire.
De fait, une motion de censure, une résolution, une pétition ou une destitution sont des procédures normales prévues soit par la Constitution soit par les Règlements des assemblées pour asseoir le pouvoir de contrôle des assemblées sur les exécutifs, réguler les relations liées au fonctionnement interne normal de l’institution, concernant la composition de ses structures organiques, le statut et le mandat de ses membres. Certaines sont le contenu même des prérogatives, attributions et pouvoirs que la Constitution attache à la fonction ou mission de l’organe dans ses rapports avec d’autres institutions ou dans son fonctionnement interne. Je citerai spécialement, à ce titre d’exemple, le pouvoir de contrôle de l’institution parlementaire, d’une assemblée provinciale,  qui se traduit par des motions de censure ou de défiance, ou par l’application de dispositions disciplinaires au sein d’une institution, ou encore l’attribution et le retrait de responsabilités dans l’institution (membre du bureau, par exemple). Demain va-t-on voir un gouvernement destitué par motion de censure de l’Assemblée nationale saisir la Cour pour qu’elle annule la décision et le rétablisse dans « ses droits » comme on dit pince sans rire ? Un magistrat, me regardant droit dans les yeux, m’a répondu que « Oui, c’est normal ». J’en ai eu froid dans le dos. Tout récemment, on a vu une requête devant la Cour constitutionnelle contre l’ordonnance présidentielle portant formation du gouvernement de la République, rien moins que ça. Il n’y a plus de limite. 
Je voudrais immédiatement régler cette nouvelle problématique aventureuse de demande de l’annulation juridictionnelle de l’ordonnance portant formation du gouvernement. Le prétexte est que le Président n’aurait pas respecté la procédure de l’article 78 de la Constitution qui prévoirait la nomination d’un « informateur ». Si d’aventure les auteurs de cette initiativen en ont entendu parler, ils n’ont certainement pas lu l’article 78, qui n’impose nulle part la formalité de nommer un « informateur », le terme n’y est même pas, où l’on parle d’une « mission d’information » qui ne vient qu’à l’alinéa 2. Cet article, ainsi parle celui qui l’a écrit, n’évoque cette possibilité que « Si une telle majorité n'existe pas », alors seulement « le président de la République confie une mission d'information à une personnalité en vue d'identifier une coalition. ». Or, dans le cas d’espèce la majorité existe et avait déjà été constatée, en vertu du Règlement intérieur dont l’article 26 alinéa 3 arrête que « Au début de chaque législature les partis et les regroupements politiques déposent au bureau une déclaration d’appartenance à la majorité ou à l’opposition politique… ». Justement, dans ce cas le Président de la République n’a pas à désigner une mission d’information, le Président Tshisekedi qui connaît la situation, n’a donc pas nommé le fameux informateur, malgré les ridicules pressions de ceux qui croyaient que la mission de l’informateur est de fabriquer une majorité qui soutiendrait le Président. Il faut arrêter l’ignorance et la bêtise avant qu’elles nous anéantissent !   
 On s’ingère, là, véritablement dans la vie et les prérogatives de l’institution, c’est véritablement la vie de la Constitution et le cœur du régime constitutionnel, notamment du parlementarisme, c’est véritablement la vie et le fonctionnement de la démocratie. Introduire avec autant de légèreté le juge dans la régulation de ces situations, ce qui est devenu trop courant et ordinaire aujourd’hui, est une dangereuse dérive qui fait du juge, sans mandat populaire démocratique, le censeur incontournable du fonctionnement et des attributions constitutionnelles des institutions de la République au mépris de leurs instruments constitutionnels internes, c’est, à l’initiative et sous l’influence des privatistes professionnels de certains parquets et juridictions, bouleverser et dénaturer totalement le droit constitutionnel et lui tordre le cou au profit du droit privé, assimilant ces « positions » institutionnelles à des droits subjectifs privés.
En quoi devenir gouverneur ou membre du bureau d’une assemblée, dans les deux cas par le vote des organes constitutionnellement attitrés et sur des candidatures présentées par les partis ou les regroupements politiques, est un droit subjectif, même personnel et extrapatrimonial, intransmissible, incessible, insaisissable et imprescriptible, que son bénéficiaire ne peut en aucun cas ni par aucun moyen perdre ? En quoi la formation du gouvernement, prérogative présidentielle en vertu de l’article 78 de la Constitution, peut-elle traduire ou couvrir un droit subjectif à défendre devant les juridictions ?
Certes, refusant de s’engager dans ce débat juridique et scientifique substantiel ou n’en en ayant pas perçu le sens et l’utilité, suivant en cela le demandeur et ses conseils, le juge recourt le plus souvent à des normes procédurales, compétence, recevabilité, respect des droits de la défense, et autres détournements de procédure.

Le « péché originel »

Ayant suivi de très près cette évolution, j’ai pu constater que tout est parti d’un raisonnement fallacieux et méconnaissant le droit positif ainsi que sa logique. La dérive part d’une décision de la Cour suprême de justice dans une affaire, la première du genre, relative justement à ces situations issues de positions institutionnelles dont je viens de parler, notamment le vote d’une motion de censure par une assemblée provinciale contre un gouverneur de province. Pour à tout prix fonder sa compétence en cette matière constitutionnelle et y intervenir on ne sait pour quelle raison, alors qu’en absence de la Cour constitutionnelle non encore créée, la Cour suprême, a voulu interpréter les dispositions de l’article 162 de la Constitution sur la compétence de la Cour constitutionnelle en dehors de sa fonction de « juge pénal » qui elle, est à l’article 163. L’article 162 stipule que 
« La Cour constitutionnelle est juge de l'exception d'inconstitutionnalité soulevée devant ou par une juridiction.                                           Toute personne peut saisir la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité de tout acte législatif ou réglementaire.                                          Elle peut, en outre, saisir la Cour constitutionnelle, par la procédure de l'exception d'inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui la concerne devant une juridiction.     Etc. ». 

Voulant à tout prix briller dans cette affaire, on ne sait pour quelle raison avouable, la Cour suprême a affirmé, avec sérieux, qu’une motion de censure est un « acte législatif » ; mais paradoxalement c’est après avoir défini correctement ce qu’est un « acte législatif », qu’elle trouve malgré tout que la motion de censure correspond à cette définition correcte de l’acte législatif ! A l’époque, dans un article de presse, je m’étais écrié : « Non Messieurs de la Cour, la motion de mesure n’est pas un acte législatif ». Ce faisant, la Cour suprême change le droit constitutionnel et ses définitions séculaires apprises par les étudiants dès leur première année de droit, troublant la conscience des jeunes gens qui commençaient à se demander qui, entre la science juridique séculaire et les  membres de la  Cour, avait raison.
Depuis cette première bourde, comme le péché originel, le contentieux des gouverneurs contestant leur destitution par l’Assemblée provinciale, comme le péché du reste, a centuplé de volume. La bourde a fait, comme on dit incorrectement, « jurisprudence » dans cet entendement erroné. Par ailleurs, tout juriste précautionneux devrait s’opposer à « une jurisprudence » fondée sur la méconnaissance du véritable droit, et appeler à l’abandon de cette faute dans la pratique ultérieure de la Cour.

A examiner froidement les choses, en dehors de tout intérêt politique personnel de l’intéressé, on se rend compte que le contentieux d’inconstitutionnalité est essentiellement le contentieux des normes, lois, actes ayant force de loi, actes réglementaires, etc., par rapport à leur conformité à la constitution. De ce point de vue, en sont logiquement et par nature exclues les questions institutionnelles, élection ou censure d’un gouverneur, élection ou déchéance d’un membre de bureau, qui sont réglées par la Constitution et les Règlements intérieurs des institutions concernées.

L’argument passe-partout : « non-respect des droits de la défense »

Ayant fondé sa compétence en préalable, le juge, le plus souvent, et c’est le moyen le plus couramment utilisé par les demandeurs se révoltant contre les décisions institutionnelles les sanctionnant, vérifie la régularité de la procédure appliquée lors de la prise de la décision, les conditions du vote intervenu, le respect des « droits de la défense » lorsque l’intéressé prétend n’avoir pas été mis en situation de se défendre devant l’institution sanctionnatrice.
Généralement, aujourd’hui comme hier, ce moyen est fondé sur l’article 19 de la Constitution ; il faut reconnaître que c’est également le prescrit de presque tous les instruments internationaux des droits de l’homme. L’article 19 de notre Constitution stipule : 

 « Nul ne peut être ni soustrait ni distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne.                      Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable par le juge compétent.                                                                                           Le droit de la défense est organisé et garanti.                                          Toute personne a le droit de se défendre elle-même ou de se faire assister d'un défenseur de son choix et ce, à tous les niveaux de la procédure pénale, y compris l'enquête policière et l'instruction préjuridictionnelle.                                                                              Elle peut se faire assister également devant les services de sécurité. » 

Il faut, en complément à notre Constitution, dire que les préoccupations semblables sinon identiques sont reprises par l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, points 2 à 5, et l’article 7  de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
La première remarque qui saute aux yeux d’un averti c’est le constat que tous ces droits sont, dans les trois instruments juridiques cités, retenus pour être appliqués et respectés lors ou au cours d’un procès devant une juridiction ; il faut vraiment avoir un esprit tordu pour les étendre au fonctionnement interne d’une institution. Certes, on peut raisonner en faveur de l’existence, à partir de ces pratiques, d’un principe général mais là encore cela ne peut concerner que le déroulement d’un procès juridictionnel. On peut aussi penser que cela soit évoqué en cours de procédure disciplinaire, organisée par le statut ou par la loi ou le règlement intérieur de l’institution. 
Par contre, les procédures de vote soit pour l’élection ou la censure des gouverneurs, soit lors d’attribution de responsabilités dans une assemblée, soit de l’élection ou de la destitution d’un poste au bureau de cette assemblée, soit encore pour le déclenchement et l’application du régime disciplinaire, soit enfin pour des éventuels recours contre la décision sont réglées par la Constitution ou par celle-ci et le Règlement intérieur.
« Droit public » vs « Droit privé » : Malheureuse confusion 
Il est abusif et dangereux de recourir aux procédures de droit privé, lequel sous l’influence des privatistes et des professionnels des juridictions ordinaires, domine si malheureusement le prétoire de la Cour constitutionnelle (sous la supériorité numérique des professionnels du droit privé, magistrats et avocats) et, par mimétisme ou contagion, le prétoire du Conseil. Tous les bons juristes savent que la première distinction des branches du droit qu’apprend tout étudiant de première année c’est celle entre « droit public » et « droit privé », que si cette distinction existe c’est qu’elle est fondée et a sa raison d’être et que chacun a sa logique et son…mode de « fonctionnement » ainsi que ses spécificités procédurales. Il faut donc connaître et respecter toute cette logique et toutes ces procédures. Il y a la vie publique et la vie des institutions de l’Etat, et il y a l’intérêt public, de la Nation et de l’Etat, au profit desquels s’est développé le droit public ; il n’est pas sain que leur soient privilégiés la vie et les intérêts particuliers, privés, qu’organise le droit privé au profit des individus, souvent des puissants. 
Oui, les postes et mandats politiques concernés par mes propos sont attribués dans une sorte de contrat de confiance entre la majorité de l’institution et l’élu, la candidature à ces postes étant d’ailleurs présentée par les partis ou les regroupements politiques qui pensent réunir la majorité pour faire élire leurs candidats. A titre d’exemple, l’élection aux postes du bureau de la Chambre (basse dans le cas d’espèce) est organisée par le règlement intérieur dont l’article 27 alinéa 2 dispose que « les candidatures aux différents postes du bureau définitif sont présentées par les partis ou les regroupements politiques… » Déjà à ce niveau, on comprend facilement que l’élection ou le maintien à ce genre de postes dépend de la qualité des relations de confiance entre la majorité et son candidat et qu’il ne s’agit pas, au profit de ce dernier, d’un droit subjectif. Une fois que cette confiance a disparu, l’institution vote une motion de censure ou de défiance ou encore une pétition de déchéance, l’élu perdra ainsi le mandat sans subir aucune espèce de préjudice personnel de nature privée. La motion de censure par exemple ou la déchéance, à la limite, n’est pas à obligatoirement motiver juridiquement, elle est voulue par le mandant, c’est tout, les explications de vote sont entièrement politiques et ne doivent pas argumenter juridiquement. Comment voulez-vous imposer la réhabilitation d’un élu ayant perdu la confiance de ses mandants, dans quel climat, une fois rétabli par le juge, pourrait-il travailler, avec une majorité devenue défavorable. Dans le cas particuliers de la destitution survenue à l’Assemblée nationale, le regroupement politique ayant présenté la candidature de l’intéressé, a montré qu’il avait changé le bénéficiaire de sa confiance pour la donner à un nouveau candidat nommément et régulièrement présenté. Rien n’est juridique dans une telle problématique, tout y est politique.
Concernant l’Assemblée nationale, pour un exemple concret et actuel, il faut se référer aux articles 25 à 31 de son Règlement intérieur et spécialement, concernant la déchéance, aux articles 30 et 31. Je dis, par bienveillante concession pour le débat, que l’on peut concevoir que l’intéressé se plaigne de la manière dont ces dispositions ont été appliquées, respectées ou non ; et à supposer qu’une juridiction soit intéressée, ce devrait être sur la base du respect ou non de ces dispositions spécifiques, et non en vertu des règles judiciaires citées ci-haut. Je recommande que ceux qui parlent de ces choses lisent, afin de les connaître et comprendre, les dispositions pertinentes de la Constitution et du Règlement intérieur, ils verront que tout y est, sans besoin d’étendre abusivement le champ du droit privé.
Le juge dénature le régime constitutionnel : le dangereux « gouvernement des juges » 
Or, aujourd’hui, des juges pratiquent allégrement des immixtions dans le domaine des autres pouvoirs, y compris dans le domaine interne de leur fonctionnement et de leurs prérogatives constitutionnelles exclusives. Des décisions de justice annihilent les prérogatives d’institutions politiques, vident de leur substance les prérogatives de contrôle des assemblées représentatives démocratiques, méconnaissent les règles constitutionnelles ou règlementaires internes des institutions, les juges ont tendance à privilégier leur interprétation personnelle au détriment de la lettre et de l'esprit de la loi ou de l’institution. 
Ce sont exactement les manifestations de ce qu’on appelle « le gouvernement des juges ». L'expression est utilisée pour dénoncer la dérive des juges et aujourd’hui en RDC de plus en plus nettement du juge constitutionnel et du juge administratif ; ils s'arrogent un trop grand pouvoir d'interprétation et d’interprétations trop larges des textes, inventant des raisonnements et se permettant des emprunts qui aboutissent à la création du droit par les juges à la place des institutions démocratiquement élues ou émanant de ces dernières. Tel n’est pas le rôle ni la mission des juges, le droit étant créé, selon ses différentes composantes, par le Parlement ou par l’Exécutif, dont les pouvoirs émanent démocratiquement directement ou indirectement du peuple et qui sont responsables, qui assument une responsabilité politique, devant ce dernier. On voit même le juge, pour satisfaire un individu sans titre juridique, méconnaissant l’inviolabilité du siège de l’institution parlementaire, neutralisant par conséquent le siège de la souveraineté nationale, user de la force juste pour empêcher le fonctionnement de l’institution parlementaire et prétendant imposer la réhabilitation d’un membre destitué. Qu’est-ce qui alimente une telle volonté alors que l’on a connaissance d’un nombre incalculable de décisions judiciaires non appliquées et pour lesquelles les juridictions n’ont pas recouru à la force, y compris celles du Conseil d’Etat prétendant réhabiliter une direction d’entreprise, sans que ce dernier ait mis en place une exécution forcée. Décidément, les jugent « gouvernent ».
Cette pratique qui tend à faire régler par le juge des affaires et prendre des décisions qui relèvent du politique, sape l’intérêt bien compris du juge lui-même. Autrement dit, les politiciens réussissent à noircir le juge par les affaires devant lesquelles ils sont impuissants, et le juge, au détriment du droit, s’empêtre dans des querelles et conflits politiques qui le dépassent et ne relèvent pas de sa mission et de ses responsabilités, dans un domaine où les politiques n’ont pas réussi à imposer l’unanimité, l’opinion étant divisée entre les soutiens à des camps politiques opposés et les juges facilement assimilés à ces derniers, dans le climat manichéen de ce qu’on appelle abusivement la politique, se voyant confier la sale besogne, la patate chaude abandonnée par les politiques. Le juge sera finalement entre deux feux, entre le marteau et l’enclume, rendu responsable, comme en ce moment, de la crise qui naîtrait entre les institutions ou en leur sein, alors même que les acteurs politiques ont déjà vidé le litige, comme dans ce cas où le parti politique concerné a déjà remplacé régulièrement le cadre en question, mais visiblement ne voulant pas assumer les conséquences de ce règlement. Voit-on comment le juge pourra, lui, le régler sans, épuisé et impuissant, se briser sur la muraille en béton des manœuvres politiciennes ? 
A  cause de tous les risques présentés ici et à cause de sa nocivité, le « gouvernement des juges » est combattu partout, aux Etats-Unis où il a véritablement commencé à menacer la démocratie, notamment par le contrôle de constitutionnalité dont la Cour suprême s’était octroyé le pouvoir (Arrêt Marbury v. Madison), alors que la Cour utilisera plus tard ce pouvoir pour combattre les réformes présidentielles (le New Deal de Roosevelt), en France où, pour lui fermer la porte, la Constitution n’érige pas un « pouvoir judiciaire » mais une simple « autorité judiciaire », au Royaume-Uni où n’existe pas le contrôle de constitutionnalité, jusqu’aux Pays-Bas où non seulement ce contrôle n’existe pas mais où il est même explicitement interdit par la constitution, etc.
Moi, j’ai une trop haute idée de la Justice et des juges pour les laisser malmener par les politiques. Dans l’intérêt même des juges et du droit, ne laissons pas instaurer le « gouvernement des juges », en encourageant le juge à refuser son instrumentalisation maligne et camouflée par les politiciens.
                Auguste MAMPUYA KANUNK’a-TSHIABO                            Professeur Ordinaire Emérite