RDC : « Le régime politique congolais est-il réellement primo-ministériel ? » (Tribune du Pr Auguste Mpiana) 

Dimanche 29 novembre 2020 - 09:31
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Affirmer que la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée par la loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 (textes coordonnés, JORDC, Kinshasa, n° 3, 1er février 2011, col. 1 à 5) a instauré un régime primo-ministériel c’est, en d’autres termes, laisser entendre que le Président de la république n’a qu’un rôle essentiellement symbolique. C’est aussi dire que, dans l’entendement du constituant congolais, l’architecture horizontale des pouvoirs publics repose indubitablement sur la prédominance du Premier Ministre et sur son rôle déterminant dans la direction politique de l’Etat (….), le Chef de l’Etat n’ayant qu’une place protocolaire en pareille circonstance. Sur le plan strictement sémantique, allusion est faite à ce type de régime où le Premier Ministre est le cerveau moteur, la cheville ouvrière, la clef de voûte, mieux,  l’élément dominant du fonctionnement de l’appareil étatique. Il est l’organisateur du jeu politique, la colonne vertébrale et l’autorité la plus visible du pouvoir exécutif. Son influence est déterminante. Rien d’étonnant qu’il soit considéré comme l’incarnation pérenne de la Nation et de la République. De ce fait, il est censé avoir « des pouvoirs énormes que le Président de la République n’a pas » (Claude MANGULI, Congo-Kinshasa : polémique sur le régime primo-ministériel- une faute de méthodologie ! la prospérité, Kinshasa, 24 novembre 2020).
Apparu au Royaume Uni en 1721 avec Sir WALPOLE, le rôle du Premier Ministre a évolué en même temps que les institutions britanniques jusqu’à devenir, dans la configuration monarchique, le poste le plus important. (HAMON F. et TROPERM, Droit Constitutionnel, 21ème éd., Paris, LGDJ, 2003, p. 269). Le Premier Ministre détient le pouvoir exécutif ; il nomme les membres du gouvernement et peut les révoquer. Dans ce sens, écrit Dominique ROUSSEAU, le seul programme politiquement légitime sera celui sorti des élections législatives et le Chef de l’Etat devra naturellement désigner et laisser gouverner le Chef de la Majorité Parlementaire […]. C’est au Premier Ministre de présider le Conseil des Ministres, et il garde, comme au Portugal, la possibilité d’y convier le Chef de l’Etat (Dominique ROUSSEAU, la République sans fétichisme, le monde, publié le 20 mai 2002). Évoquant la prépondérance du Premier Ministre dans le régime constitutionnel britannique, Bernard CHANTEBOUT indique à juste titre que ce dernier a sur les autres membres du cabinet une autorité qui fait de lui un véritable chef (…). Ce faisant,  il dispose d’une liberté quasi-totale dans la direction des travaux du cabinet. Il est le seul à pouvoir le convoquer, et c’est lui qui fixe l’ordre du jour de ses réunions (B. CHANTEBOUT, Droit Constitutionnel, 23ème éd., mise à jour le 1er août 2006, Paris, Dalloz, p. 318). A la lumière du panorama du régime primo- ministériel dont quelques indicateurs viennent d’être évoqués ci-haut, et suivant le rôle ainsi que les attributions du Président de la République dans le fonctionnement à la fois normatif et réel des institutions politiques du pouvoir central sous l’égide de la Constitution du 18 février 2006, il serait hasardeux, pour nous, d’accorder le suffrage à la thèse qui fait du « Chef de gouvernement » l’épicentre de la charpente organisationnelle des pouvoirs publics en RDC.

D’emblée, si l’on s’en tient strictement à la Constitution, et comme le soulignent clairement Félix VUNDUAWE te PEMAKO et Jean-Marie MBOKO Dj’ANDIMA […] le Président de la République est le Chef de l’Etat, le Chef de l’exécutif et le Chef Suprême de l’Administration d’Etat, civile et militaire […], il est le Représentant de la Nation, le Symbole de l’unité nationale et le Garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la souveraineté nationale et du respect des traités et accords internationaux. Il négocie et ratifie les traités et accords internationaux. Comme en France, le Président de la République a une fonction arbitrale pour assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions ainsi que la continuité de l’Etat. 

Il a le droit d’adresser des messages à la Nation (article 77), le droit de dissoudre l’Assemblée nationale (article 148), celui de dissoudre l’Assemblée Provinciale (article 197), le droit de révoquer le gouverneur (article 198). Il a le droit de conférer des grades dans les ordres nationaux et les décorations (article 84) ; il a le droit de grâce, il peut remettre, commuer ou réduire les peines, en tant que Magistrat suprême des forces armées (article 83) ; il peut proclamer l’état d’urgence ou de siège,  selon le cas (article 85) ; il a le droit de déclarer la guerre (article 86) ; il  accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des Etats étrangers et des organisations internationales (article 88). Il investit les gouverneurs et les vice-gouverneurs élus (article 198) ; il a un pouvoir de nomination aux emplois supérieurs de l’armée, de la police nationale, de l’Administration publique,, des services et autres établissements publics (article 81). Enfin, on doit pouvoir le souligner, le Président de la République est le garant de l’ordre juridique ou de l’Etat de droit, car il a comme attribution de « veiller au respect de la constitution (article 69, alinéa 2) ». Ainsi, dans son serment, il prend l’engagement solennel d’observer lui-même et de défendre la Constitution et les lois de la République (article 74). (Félix VUNDUAWE te PEMAKO et Jean-Marie BOMBOKO Dj’ANDIMA, Droit Constitutionnel du Congo. Textes et documents fondamentaux, Vol. 2, Louvain-la-Neuve, harmattan-Academia, 2012, pp. 1025-1031).

Sans avoir besoin d’éplucher les pouvoirs sus indiqués, il convient  de relever que suivant l’esprit et la lettre de la Constitution du 18 février 2006, le Président de la République est le « nec plus ultra » du tissu institutionnel congolais. C’est lui la figure de proue, la charnière substantielle, l’éthos central du pouvoir exécutif. Loin d’être exorbitants (ce qui du reste ne se conçoit pas dans un Etat de droit), les pouvoirs qu’il détient justifient la primauté à lui devoir. Les limites érigées à son encontre (le caractère résiduel de son pouvoir règlementaire : articles 91, alinéa 6, et 92, alinéa 1er in fine de la Constitution ; le contreseing de certaines de ses ordonnances par le Premier Ministre : article 79, in fine de la Constitution, les avis auxquels il est astreint : article 81, alinéa 1er, tirets 2 et 3, articles 148,  152, alinéa 5, 197 et 198) s’inscrivent dans la logique de l’instauration d’un véritable Etat de droit, avec en toile de fond « l’autolimitation des pouvoirs ».   

Dans un Etat de droit, la soumission de l’Etat au droit est le principe. Le propre de celui-ci étant de créer l’ordre, l’arbitraire aboutit, quasi inéluctablement, au chaos. Il va de soi que l’action du Président de la République, comme celle de toutes les autres institutions étatiques, soit soumise au droit. Le respect des textes s’impose à tous. Il serait de lors inadéquat d’admettre que l’Etat puisse violer les lois qu’il crée. Sa puissance demeure soumise à l’ordre juridique qu’il met en place (CARRE DE MALBERG R., Contribution à la théorie générale de l’Etat, Tome 1, Paris, Sirey, 1920, p. 72). Etre assujetti au droit implique de la part de l’Etat, la soumission au droit qu’il produit lui-même (M. TROPER, Pour une théorie juridique de l’Etat, Paris, P.U.F, 1994, p. 102). C’est ce qu’exprime  le vieil adage latin « patere legem quem ipsefecisti », qui signifie « respecte la règle que tu as faite ». Une fois édictés, les droits s’imposent à tous, même aux dirigeants, personne n’est au-dessus des lois, dit-on. L’Etat reste, à travers ses institutions politiques et administratives, soumis à leur respect (MUYABO NKULU KALENGA, « La femme et les droits de l’Homme », Acte du colloque, Kinshasa, n°3,2003, p. 56). Il n’y a pas d’autorité supérieure à celle de la loi (Ph. RAYNAUD, Le Juge et le Philosophe, Paris, Armand Colin, 2008, p. 158). Les gouvernants ne règnent que par elle et ce n’est qu’au nom de la loi qu’ils peuvent exiger l’obéissance. C’est ici le lieu de souligner que la qualification systémique du régime politique en régime primo-ministérialiste, présidentialiste ou parlementariste ne saurait être faite en fonction des pouvoirs exorbitants que détiendrait, sur base de la Constitution, tel ou tel autre acteur du jeu politique. Elle est plutôt tributaire du rôle qu’une institution ou un acteur est censé jouer dans le fonctionnement réel de l’Etat.

Sauf à vouloir revivre les tares dictatoriales ou à vouloir fabriquer des  despotes, il nous semble mal indiqué de rechercher les clauses exorbitantes dans une Constitution appelée à régir un Etat de droit. A cet effet, l’exercice qui consiste à fouiner les pans d’une quelconque prérogative exagérée du Président de la République dans la Constitution est, d’après nous, aux antipodes de l’article 1er alinéa 1 de la Constitution qui dispose que : «  la République Démocratique du Congo est,  dans ses frontières du 30 juin 1960, un Etat de droit […] ». Ainsi, la place primordiale accordée à la Construction de l’Etat de droit ne saurait justifier, sous un quelconque prétexte, la consécration d’un pouvoir exorbitant au profit d’une institution de la république. Autrement, le constituant dirait une chose et son contraire à la fois. Ce qui serait un non-sens.  Au-delà de tout, et sans avaler la pilule du primo-ministérialisme, il est important de reconnaitre que le Premier Ministre, Chef du gouvernement, est un acteur majeur du système politique tel qu’institué par la Constitution du 18 février 2006. Les prérogatives lui dévolues sont d’un contenu non négligeable, mais  elles ne font pas de lui le maillon le plus décisif de la chaine. 

Au nom du bicéphalisme du pouvoir exécutif congolais, en sa qualité de chef du gouvernement, il a des attributions précises, fixées et limitées notamment par la Constitution. Il propose la nomination des autres membres du gouvernement (art.78 al.4 ); il convoque et préside, en cas d’empêchement et sur délégation du président de la république, le conseil des ministres (art.79 al.4 al.1) ; il contresigne les ordonnances du président de la république (art.79 al.4, et 81 al.2) ; il présente à l’assemblée nationale le programme du gouvernement, avant l’entrée de celui-ci en fonction (art. 90 al. 4 ); il peut engager la responsabilité du gouvernement devant l’assemblée nationale (art .146) ; il assure l’exécution des lois et dispose du pouvoir réglementaire général de l’Etat (art.92 al.1er).  Est-ce suffisant pour faire pencher la balance du bicéphalisme congolais vers le primo-ministérialisme ? 

A notre avis, la pratique du pouvoir en RDC fait trôner le Président de la République. En dépit de la subdivision constitutionnelle des pouvoirs entre lui et le premier ministre, il reste la pièce maîtresse du jeu politique. En RDC, comme dans beaucoup d’Etats africains, le Président de la République est le nœud du fonctionnement réel des institutions politiques. Il est rare de voir un Chef d’Etat accepter de ne pas être celui autour duquel gravitent les intérêts vitaux de la Nation. Tout ou presque tout repose sur lui. Il définit le tempo  et contrôle le rythme de la température institutionnelle. Sans encourager certaines dérives dictatoriales, on connait  en Afrique, des Présidents qui, devenus physiquement, intellectuellement et physionomiquement  inaptes, mais continuent à tenir le bâton de commandement. Il y en a aussi qui, suivant la configuration monarchique de leurs entités, sont censés régner  sans gouverner, mais on les voit au four et au moulin, renvoyant dans l’ombre la plus obscure leurs Premiers Ministres.
L’expérience de l’actualité politique de la RDC reste, à notre avis, très éloquente et illustrative. A la suite des élections du 30 décembre 2018, le Président élu s’est vu dépourvu de toute majorité tant au niveau de l’Assemblée Nationale, du Sénat, qu’au niveau des Assemblées provinciales. En pareil contexte, il est quasi impossible d’assoir sa notoriété, d’imposer sa vision et de matérialiser ses promesses. Cependant, cette réalité factuelle, et même normative, n’a pas fait de lui un Chef protocolaire ou symbolique. Quoique minoritaire numériquement parlant, il arrive presque toujours à tirer son épingle du jeu. D’ailleurs, s’il faut revenir aux textes,  l’exégèse de l’article 78 de la Constitution laisse transparaître clairement que le Premier Ministre doit sa nomination au Chef de l’Etat. En effet, ce dernier a la faculté de nommer son Premier Ministre, pourvu qu’il choisisse une personnalité « au sein de la majorité parlementaire ». c’est ce qui fait dire à VUNDUAWE te PEMAKO et à Jean Marie BOMBOKO Dj’AMBA que « […] Par mimétisme du système français où le Président de la république est libre de nommer son Premier Ministre, surtout en cas de concordance politique entre le Président et la majorité à l’Assemblée nationale, la Constitution du 18 février 2006 semble s’orienter, sur ce point, vers la pérennisation du pouvoir personnel du Président de la République (F. VUNDUAWE te PEMAKO et à J-M  MBOKO Dj’ANDIMA, op.cit,  p. 1031). Et à MAMPUYA KANUNK’A TSHIABO d’indiquer que « le Président de la République demeure, dans tous les cas, l’unique maître absolu dans le processus de désignation du Premier Ministre (A. MAMPUYA KANUNK’A-TSHIABO, espoirs et déception de la quête Constitutionnelle congolaise…, pp. 101-104).

Cette assertion recèle une portion de vérité quasi irréfutable, et peut se vérifier à travers l’histoire récente de notre pays. En effet, à l’issue des élections de 2006 et de 2011, et au nom de la coïncidence des majorités présidentielles et parlementaire, le Président de la République s’est montré très incisif dans la désignation et la nomination du Premier Ministre, étant en réalité le Chef de ces deux majorités. A ces jours, les élections du 30 décembre 2018 n’ont pu amoindrir l’influence quasi incontournable du Président de la République sur cette question précise. La non-coïncidence de deux majorités n’a pas empêché le Chef de l’Eta à réfuter quelques noms lui proposés par la famille politique majoritaire à l’Assemblée nationale. L’actuel Premier Ministre est, sans conteste, le fruit d’un consensus qui s’inscrit dans le cadre de la coalition entre le FCC et le CACH, sur base d’un accord particulier,  qui serait signé respectivement par les deux autorités morales de ces plates-formes politiques, et dont le contenu est loin de livrer son verdict.

Dès l’instant où, in fine, le Chef de l’Etat influe ostensiblement dans le choix du Premier Ministre, nous sommes tentés de ne pas gober la thèse du primo-ministérialisme et ce, quel que soit le cas de figure. La coïncidence des majorités présidentielle et parlementaire, ayant caractérisé les deux dernières législatures, a révélé à quel point le Premier Ministre était sous l’œil paternaliste du Président de la République, devenant de fois moins influent que le Directeur du Cabinet de ce dernier. De nos jours, le Président de la République conserve son droit de regard, de surveillance et d’impulsion Sur l’action gouvernementale et ce, en dépit de la coexistence de deux majorités. Si les partisans de la coalition FCC-CACH ont toujours soutenu que cet accord est salutaire, et épargne le pays des affres de la cohabitation, il sied de révéler qu’au regard de la Constitution, le Conseil des Ministres, symbolisant l’unité du pouvoir exécutif, est convoqué et présidé par le Président de la République. Il s’agit, en effet, d’une prérogative exclusive et non conjointe. Le Premier Ministre ne peut s’en prévaloir que si le Président de la République la lui délègue (article 79 de la Constitution). Par ailleurs, la politique du gouvernement est définie en concertation avec le Président de la république (article 90), et tous les projets de loi et les décrets de nomination aux emplois supérieurs de l’Etat sont délibérés et adoptés en Conseil des Ministres. Il reste que même dans l’hypothèse de la cohabitation, le Chef de l’Etat ne se verrait pas dépouiller de ses prérogatives quant à l’action du gouvernement, encore moins de son influence quant au choix du Premier Ministre. En véritable patron de l’Exécutif, c’est le Président de la République qui, par ordonnance délibérée en conseil des ministres, fixe l’organisation, le fonctionnement du Gouvernement et les modalités de collaboration entre lui et le Gouvernement ainsi qu’entre les membres du Gouvernement (Ordonnance n°20/016 du 27 mars 2020, JORDC, 61ème année). Les attributions des ministères sont également fixées par lui suivant les mêmes procédures et forme que ci-dessus (Ordonnance n°20/017 du 27 mars 2020, JORDC, 61ème année). Un régime primo-ministériel ne saurait admettre que le Président de la République ait autant de prérogatives tant dans l’âme que dans l’esprit du Gouvernement.

L’on note, à la suite de tout ce développement, qu’au-delà des textes, l’enracinement et l’ancrage de la primauté due au président de la République découlent de l’intériorisation de la place primordiale qu’il occupe dans l’échiquier  institutionnel. En règle générale, les congolais réfutent la thèse d’un quelconque rétrécissement de l’impact de celui qu’ils considèrent comme le premier d’entre eux. En effet, indique Kouassigan Guy adjete, la valeur d’une règle de droit ne dépend pas seulement de sa perfection technique formelle mais surtout de son adéquation au réel (G-A. KOUASSIGAN, Quelle est ma loi ? Tradition et modernisme dans le droit privé de la famille en Afrique noire francophone, Paris, Pédone, 1974, p. 290).

Bien au-delà de la vision formelle de l’Etat de droit, l’efficacité d’une règle de droit n’est pas à rechercher uniquement dans son contenu, riche soit-il,  encore moins dans la charpente institutionnelle mise en place pour en assurer le respect et l’application, mais aussi et surtout dans la capacité de répondre aux besoins de la société où elle est censée s’appliquer (Lire, à cet effet, S. MAPPA, Le savoir occidental au défi des cultures africaines : Former pour changer ?, Paris, Karthala, 2005, p. 27.). Le droit, loin de s’enfermer dans un modèle figuratif des normes assorties des sanctions, se définit aussi comme un outil du système culturel car, en réalité, son impact sur ses destinataires reste quasi tributaire de sa conformité avec le fondement mythologique d’une société. D’après Emile Durkheim, le droit s’élabore dans les entrailles de la société, et le juriste ne fait que réglementer un travail réalisé en dehors de lui (J-C. FILLOUX, « Émile Durkheim », Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée, vol. XXIII, no 1-2, ‎ 1993, p. 305-322). 
Jacques  Djoli eseng’Ekeli écrit à juste titre que « le droit n’est ni les règles, ni les institutions mais ce qu’on en fait. Et cette pratique est le reflet d’une centralité sotériologique. Le droit ne peut prospérer sans fondement mythologique ou axiologique l’imprégnant des valeurs qui fertilisent l’imaginaire collectif […] Mieux le droit apparaît plutôt comme un ensemble des pratiques qui reçoivent l’accord général, le texte n’étant que l’expression ou le moyen, souvent incomplet de discerner cet accord » (J. DJOLI  ESENG’EKELI , « Etiologie et histologie de l’anomie du droit constitutionnel en Afrique », Revue Africaine de la Démocratie et de la Gouvernance, IDGPA, vol. 3, n° 3 et 4, 2016, p.43).

L’histoire constitutionnelle et politique de la RDC révèle que les tiraillements entre les deux acteurs majeurs de l’exécutif ont souvent tourné en faveur du Président de la République, le Chef de l’Etat et le Chef de l’exécutif. Patrice-Emery LUMUMBA et Etienne TSHISEKEDI, quoi qu’ayant une assise populaire indiscutable, n’ont su remporter les batailles institutionnelles respectivement face à Joseph KASA-VUBU et Joseph-Désiré MOBUTU.
Une norme juridique, de nature constitutionnelle soit-elle, est vouée à l’échec dès l’instant où l’orbite sociologique dans les limites de laquelle elle doit s’appliquer lui est hostile. En effet, précise Gbago, la norme juridique doit aller plus loin, au-delà d’une abstraction presque vide et combattre l’universalisme bâti, hâtivement, sans dialogue par l’immersion dans la pensée proprement endogène, qui n’est pas consignée dans les livres mais peut-être appréhendée à travers la coutume et les modèles de conduite et de comportement et qui enrichit la théorie des droits (B-G. GBAGO, Contributions béninoises à la théorie des droits de l’homme, Thèse de doctorat, Paris I, Sorbonne, 1997, p. 93).

Cependant, pour réussir sa mission de régulateur des rapports sociaux, le droit doit non seulement rencontrer les préoccupations de la communauté où il est censé opérer, mais aussi et surtout répondre à une logique socioculturelle sans laquelle il va être confronté à des résistances et son rejet va s’en suivre automatiquement. Ne pas tenir compte de cette approche, indique Norbert Rouland, c’est s’enfermer dans un positivisme enfoncé dans des lois trop nombreuses, violenté dans des changements rapides à l’excès, enlaidi par les rédactions où le langage cède au jargon (N. ROULAND, L’anthropologie juridique, Paris, PUF, 1990, p. 7). Le droit ne consiste pas essentiellement en un certain nombre des normes explicites et écrites, souvent codifiées, dont la sanction repose sur l’usage de la contrainte, ou sa menace exercée par un individu ou un groupe mandaté par la société. Bien au contraire, outre le fait d’être lié à l’existence d’une sanction émanant d’un appareil judiciaire et répressif, le droit doit être défini par sa fonction, sans toutefois méconnaître les modalités de ses manifestations. On doit le chercher davantage, d’après les termes de Jacques Vanderlinden, dans le champ des relations sociales que dans les normes censées l’exprimer (J. VANDERLINDEN, « Le pluralisme juridique, Essai de synthèse », in J. GILISSEN (sous la direction de),  Le pluralisme juridique, Bruxelles, éd. Univ, 1972, p.3). Dès lors, tout aménagement textuel allant dans le sens de ne pas faire du Président de la République l’acteur et l’enjeu principal du système politique paraît non conforme à l’environnement congolais. Exiger du Chef  le respect des textes n’est pas un mal en soi, l’Etat de droit oblige. Seulement, vouloir méconnaître son « aura » et prétendre diminuer son « influence » ne rentre  pas dans l’ordre de l’« acceptable ».
C’est lui le chef, le trône est à lui, il faut éviter  de se superposer à lui, de lui faire ombrage. A notre avis, et pour conclure, le régime congolais a presque toujours été présidentialiste.

L’existence d’un corps de règles n’est pas suffisante afin d’en garantir l’efficacité.  Au-delà de la production normative, adaptée ou non adaptée au contexte socio-environnemental de son application, il y a lieu de procéder à un précieux modelage, à un réel ancrage sociologique, à une asynchronie mythologique ( J-D MOLEKA LIAMBI, La poétique de la liberté dans la réflexion éthique de Paul RICOEUR, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 15) et enfin à une acceptation du droit comme un outil de construction d’une destinée commune (J. DJOLI ESENG’EKELI, « Etiologie et histologie de l’anomie du droit constitutionnel en Afrique », op. cit., p. 41). Outre la création de la règle juridique, il faut un travail au niveau des représentations.

Au positivisme formel, il convient d’associer le positivisme sociologique et anthropologique ; au visible, il importe d’ajouter la dimension invisible, celle qui prend en compte l’adéquation entre la consécration d’une règle et la nécessité de son ancrage sociétal. 
Un tel effort aura le mérite de nous épargner de l’illusionnisme normatif, résultat d’un conformisme folklorique aux exigences de la modernité juridique, et ayant pour incidence immédiate, le rejet du droit non issu des entrailles sociologiques. Loin de s’enfermer dans une sphère scripturale, le droit est considéré comme la manière dont une culture, une société réunit les outils nécessaires pour prévenir ou traiter les conflits survenant en son sein au nom d’une référence partagée.

Si les rédacteurs de la Constitution du 18 février 2006 ont cru donner au Premier Ministre des prérogatives énormes, il nous est difficile, à la lumière du même texte et surtout de la pratique, de nier au Président de la République, la place de régulateur du fonctionnement des institutions politiques, encore moins  son rôle incontestable et incontournable dans la marche du pays. Ce n’est donc pas aujourd’hui qu’il faudra chercher à changer une donnée devenue quasi intangible dans le vécu quotidien des congolais.

Par :

Pascal – Auguste MPIANA KABEYA
Professeur Docteur 
Constitutionnaliste 

Coordonnateur de l’École d’Initiation à l’Exercice des Professions Juridiques
« WIN – WIN Juridique ASBL »