Prof André Mbata craint une matinée politique du PPRD dans la Salle des Promotions de l’Université de Kinshasa se terminant par l’octroi d’un doctorat avec mention « la plus grande distinction » à Ramazani Shadary !
Personne ne devrait s’étonner que les universités du Congo fassent la honte de la Nation et qu’aucune d’elles ne figure parmi les 200 premières universités du continent. Années académiques qui durent plus de 24 mois, enseignements basés sur un matériel désuet, absence d’une culture de recherche au sein du corps académique et scientifique, points sexuellement transmissibles, monnayage des diplômes et diplômes politiquement obtenus, telles sont les « performances » réalisées.
Diplômes Politiquement Obtenus (DPO)
Les détenteurs des DPO de ces dernières années se ressemblent sur plusieurs points. De prime abord, ils appartiennent tous au Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) et/ou au Front commun pour le Congo (FCC), la famille politique de l’ancien Président de la République, Joseph Kabila Kabange (JKK).
Ensuite, ils ont obtenu leurs diplômes de licence ou de doctorat pendant qu’ils exerçaient des fonctions politiques ou au terme de celles-ci. Ainsi que l’écrivait le Prof Matthieu Kalele de la Faculté des sciences sociales, politiques et administratives (FSSAP), « ils profitent de leurs positions dans la politique pour s’octroyer des diplômes ». Enfin, l’octroi de ces diplômes a été rendu possible par les professeurs membres du PPRD que le gouvernement avait fait nommer comme autorités académiques à travers le ministère de l’Enseignement supérieur et universitaire. Tous ou presque ont attendu d’avoir plus d’un demi-siècle (50 ans) pour se faire décerner ces diplômes.
L’on connaissait déjà les cas de Henri Mova Sakanya, Ngoyi Kasanji, Aubin Minaku, Néhémie Mwilanya, et Matata Ponyo pour ne citer que ces membres du PPRD/FCC. Il ne restait plus qu’Emmanuel Ramazani Shadary, dauphin de l’Autorité morale (JKK) lors de l’élection présidentielle de décembre 2018 et Secrétaire permanent du PPRD dont la défense de la thèse doctorale intervient ce vendredi 19 février 2021.
Les problèmes posés par la thèse du Chef de Travaux Ramazani Shadary
Le constitutionnaliste André Mbata Mangu, Professeur ordinaire à la Faculté de Droit de l’UNIKIN, Professeur de recherche au Collège de Droit de l’Université d’Afrique du Sud (UNISA) et membre du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA) était l’un des premiers scientifiques à se faire entendre sur la thèse de Ramazani Shadary.
Prof André Mbata tenait d’abord à savoir comment Ramazani Shadary, un Assistant de l’Institut Supérieur de Développement Rural (ISDR) et de l’Institut Supérieur de Commerce (ISC) Kindu avait pu obtenir une autre nomination comme Assistant à l’UNIKIN un quart de siècle après l’obtention de sa licence à l’Université de Lubumbashi en 1987. Il était aussi intéressant de se demander comment le candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2018 avait été nommé Chef de Travaux sans aucune publication dans une revue scientifique internationale et quand il avait eu le temps de se consacrer à la recherche. Le risque est bien grand que quelqu’un surgisse demain pour se présenter comme le véritable rédacteur de la thèse !
Le problème n’était pas tant l’appartenance politique ni l’âge du candidat qui aura attendu 51 ans pour se faire nommer Assistant à l’UNIKIN et 60 ans pour présenter une thèse doctorale, mais plutôt la qualité de la thèse et la composition de son jury.
Le ridicule ne tuant pas, Prof André Mata avait été « recadré » selon le jargon en usage dans les médias congolais par des deux professeurs de la FSSAP qui auraient pu se taire pour raisons d’éthique ou de moralité à cause de leurs accointances avec le doctorant Ramazani Shadary. Prof Célestin Musao Kalombo Mbuyu était intervenu pour louer ce qu’il avait appelé la « méritocratie » (!) de la thèse. Prof Célestin Musao est membre du FCC qui l’avait fait nommer Secrétaire général académique à l’UNIKIN. C’est également grâce au FCC et à Ramazani Shadary, son Secrétaire permanent, qu’il s’était retrouvé au Bureau de l’Assemblée nationale comme Rapporteur, fonction dont il vient d’être déchu pour incompétence notoire et caractérisée selon les termes de la pétition dirigée contre lui. Il avait donc une énorme dette de gratitude à payer au doctorant Ramazani Shadary. Il en est de même du Prof Emile Bongeli Yeikelo Ato, un autre membre éminent du PPRD qui avait jugé bon de retracer son passage à l’Université de Lubumbashi où il aurait obtenu cinq distinctions en guise d’argument de défense de sa thèse.
Un jury irrégulièrement constitué pour le bradage politique du Diplôme de doctorat
Le vendredi 19 février 2021, Ramazani Shadary défendra sa thèse intitulée Régionalisme politique et développement des provinces. Plaidoyer pour la promotion d’un « Etat-Moyen en Republique Démocratique du Congo » devant un jury constitué en majorité ou en totalité des professeurs membres du FCC avec à leur tête Prof Albert Mulume Munanga, Doyen de la FSSAP, avec Prof Célestin Musao comme co-promoteur.
Il n’est pas clair quand, comment et pourquoi ce dernier avait été nommé co-promoteur ni comment et pourquoi le Département de Droit public avait été exclu du jury après le décès du Prof Ambroise Kamukuny qui avait été désigné auparavant comme membre du comité d’encadrement de cette thèse qui touchait également au droit constitutionnel.
L’exclusion des constitutionnalistes était une irrégularité d’autant plus que la FSSAP avait elle-même décidé au départ de l’inclusion d’un professeur de droit constitutionnel dans l’encadrement et l’examen de cette thèse qui fait le plaidoyer pour un « Moyen-Etat ».
Un passé d’usage et d’abus de la fonction de Doyen de la FSSAP par le Président du Jury
Le monde entier se souvient comment Prof Albert Mulume Munanga avait usé et abusé de sa fonction de Doyen de la Faculté après la désignation de Ramazani Shadary comme dauphin de l’ancien président et candidat du FCC à l’élection présidentielle de 2018.
S’adressant à Emmanuel Shadary par sa lettre no FSSAP/DEC/AMM/BB/123/018 du 13 août 2018 avec en-tête de l’UNIKIN (!), Prof Albert Mulume écrivait ce qui suit :
La Faculté des Sciences sociales, administratives et politiques …a l’insigne honneur de vous informer qu’elle se réjouit et jubile à l’occasion de votre désignation par le président de la République comme candidat de la grande plate-forme politique FCC à l’élection présidentielle de décembre 2018…
Ainsi réunie autour de son doyen, elle vous présente ses sincères félicitations et ses encouragements et vous rassure qu’elle vous soutiendra jusqu’à l’aboutissement heureux du processus électoral…
Ainsi, pour l’éternel Doyen kabiliste de la FSSAP qui écrivait non pas seulement en son nom propre, mais en celui et pour le compte de sa Faculté, le processus électoral de 2018 ne pouvait connaitre un « aboutissement heureux » qu’avec l’élection de Ramazani Shadary comme Président de la République ! Au lieu de rester neutre et digne de l’université, la FSSAP de l’UNIKIN agissait comme une section du PPRD ou un parti membre du FCC ! Aucun professeur ni aucun membre du corps scientifique de la FSSAP n’avait réagi contre cette dérive ou cette prostitution politique de la Faculté.
L’engagement officiel de la FSSAP à soutenir le FCC et son candidat à la présidence avait plutôt suscité la colère des non-universitaires comme l’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ). Dans sa lettre no 79/ACAJ/PN/GK/2018 du 29 août 2018 adressée en copie au Recteur de l’UNIKIN (Prof Daniel Ngoma) et à son Secrétaire général académique de l’époque (Prof Célestin Musao), Me Georges Kapiamba, le président de l’ACAJ écrivait que son organisation était « vivement préoccupée » par la lettre que Prof Albert Mulume Munanga avait écrite au nom et pour le compte de la FSSAP « en violation du caractère apolitique de l’Université de Kinshasa ».
Pour l’ACAJ, Prof Albert Mulume comme tout citoyen avait le droit de choisir et de soutenir son candidat, mais il devait le faire en dehors de la Faculté dont il était le Doyen et sans utiliser les moyens de la Faculté, encore moins ses fonctions académiques. Selon cette organisation de défense des droits humains, « En tant que service public, la Faculté ne devrait pas être transformée en une branche d’un parti ou d’un regroupement politique en faveur d’un candidat présidentiel, fut-il Emmanuel Shadary ».
L’ACAJ espérait également que le Recteur et le Comité de gestion prendraient une action disciplinaire contre le Doyen de la FSSAP d’autant plus que certains étudiants avaient été sanctionnés dans le passé pour avoir « exercé des activités politiques sur le site de l’UNIKIN » et qu’il ne devrait pas y avoir deux poids deux mesures. Malheureusement, aucune action n’avait été prise, ce qui tendait à confirmer la thèse selon laquelle ils soutenaient la position du Doyen de la FSSAP et la caporalisation de l’UNIKIN par le FCC.
Quid de la qualité scientifique de la thèse de Ramazani Shadary ?
Contrairement aux prétentions de certains tambourinaires et thuriféraires du FCC, Prof André Mbata suivait et avait lu la thèse de Ramazani Shadary à travers Prof Ambroise Kamukuny de la Faculté de Droit qui avait été nommé membre du comité d’encadrement.
La thèse de Ramazani Shadary aura été le travail scientifique auquel Prof Ambroise Kamukunyi aura le plus consacré les derniers jours de sa vie. Sa maladie et son hospitalisation ne l’avaient nullement empêché de la lire ni de la commenter. Au terme de cet exercice, il avait conclu que l’intitulé de la dissertation doctorale de l’ancien Assistant de l’ISDR et de l’ISC de Kindu au Maniema devait être amendé et que la thèse elle-même ne présentait pas d’originalité et ne pouvait donc pas être défendue en l’état. Il importe de souligner que ce qui fait effectivement une thèse doctorale, ce n’est ni la qualité du doctorant, ni son statut, ni son âge, ni le nombre de pages.
Une thèse doctorale doit être un travail scientifique original. Elle doit être bien documentée et constituer une contribution à l’avancement de la science dans un domaine précis du savoir au lieu de reprendre ce qui a été écrit par d’autres chercheurs ou ce qui est connu du commun des mortels. Tel n’est cependant pas le cas de la thèse de Ramazani Shadary qui n’apporte pas grand-chose à ce que l’on sait déjà sur la décentralisation et les défis du développement de la RDC. Le doctorant n’arrive même pas à convaincre sur son usage d’un concept comme celui de « Moyen-Etat » qui constituerait sa principale trouvaille !
L’intitulé de la thèse recourt également aux termes généralement utilisés par la société civile mais peu adaptés au langage châtié du monde universitaire comme le terme de « Plaidoyer ». L’on ne sent pas non plus ce niveau élevé de sophistication intellectuelle qui caractérise les thèses doctorales en sciences politiques.
Un autre problème de la thèse de Ramazani Shadary est que pour l’essentiel, elle ne fait que reprendre les grandes idées contenues dans son mémoire de DEA et surtout dans son livre intitulé Les Institutions provinciales face au défi du développement en RDC (publié par l’Harmattan en 2018) et qui n’avait pas fait l’objet d’une évaluation rigoureuse par les experts dans le domaine de la décentralisation. Il s’arrange parfois pour ne pas citer ses travaux antérieurs afin de donner un vernis d’originalité à sa thèse. L’on se trouve devant un cas d’auto-plagiat ou de plagiat de soi-même qui est tout aussi condamnable que le plagiat des autres.
Pour revenir au cas du Prof Ambroise Kamukunyi, l’on comprendra que Ramazani Shadary ait profité de son décès pour jeter à la poubelle ses remarques qui l’auraient freiné dans son élan pour revêtir la toge doctorale. Rejeter purement et simplement les remarques sévères d’un membre du Comité d’encadrement, remuer ciel et terre pour qu’il soit exclu du jury ou changer d’institutions pour défendre sa thèse doctorale sont des pratiques bien connues dans les universités congolaises comme l’atteste la jurisprudence Augustin Matata Ponyo.
Voulant à tout prix obtenir un doctorat et se faire proclamer professeur d’université, l’ancien premier ministre avait préféré fuir la rigueur de la Faculté des Sciences économiques de l’UNIKIN pour défendre sa thèse à l’Université protestante du Congo. A la Faculté des sciences économiques au moins, contrairement à celles de Droit et des Sciences sociales, administratives et politiques, des professeurs avaient osé dire non et choisi de se démettre au lieu de se soumettre à un pouvoir autoritaire qui après avoir clochardisé les universitaires et tué le corps de notre Alma Mater, s’en prenait finalement à son âme en tentant d’injecter ses éléments au sein du corps professoral.
Le décès du Prof Ambroise Kamukuny dont le nom risque de ne même pas être prononcé dans la Salle des Promotions lors de la défense de la thèse de Ramazani Shadary à cause de sévères remarques qu’il avait formulées, aura néanmoins balisé le chemin vers sa consécration comme docteur en sciences politiques.
Devrait-on se taire devant la médiocrité ambiante par complaisance ?
Un autre reproche fait au Prof André Mbata est de ne pas se taire et de manquer au devoir de solidarité qui consisterait pour les professeurs à se soutenir mutuellement comme membres du corps académique comme ce serait le cas pour les médecins, les policiers, les soldats, les avocats et les membres d’autres corps professionnels qui seraient capables de se taire pour couvrir un crime commis par l’un des leurs et sauvegarder ainsi l’image de la profession.
Cependant, un intellectuel digne de ce nom et un universitaire respectable ne peut pas être complaisant et se taire lorsque l’université qui l’a formé et où il œuvre s’enfonce chaque jour dans la médiocrité. Dans ces conditions, le silence pour « rester politiquement correct » ou plaire à certains serait condamnable comme un acte de haute trahison envers la Nation qui a tant investi et placé d’énormes dans cette université pour le développement du pays et le mieux-être de sa population.
A ce sujet, il n’est pas vain de rappeler aux universitaires et à tous les intellectuels congolais en général la sagesse du savant allemand Albert Einstein et du pasteur noir américain Martin Luther King Jr. Selon Einstein « le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais ceux qui les regardent sans rien faire ». Pour Martin Luther King Jr, « Notre vie commence à s’arrêter le jour où nous gardons le silence sur les choses graves ». Nous devrions donc refuser d’être complices de l’inanition de la Nation et nous devrions choisir la vie au lieu du silence et de de la mort.
La messe ayant été dite en dehors de l’UNIKIN au sujet de la thèse de Ramazani Shadary avec la politisation à outrance de l’université, en présence du Recteur et du Comité de gestion et devant le jury dirigé par le Doyen Albert Mulume et composé majoritairement de professeurs membres du PPRD/FCC qui auraient depuis longtemps choisi de sacrifier les valeurs universitaires sur l’autel de leur allégeance et du pouvoir politique, la défense de la thèse de Ramazani Shadary s’annonce comme une simple formalité et une scène théâtrale dont le dénouement est connu à l’avance. Malgré les mesures barrières dictées pour protéger notre peuple contre le Covid-19, l’on devrait s’attendre à une grande matinée politique du PPRD/FCC qui se terminera par la remise d’un diplôme de docteur en sciences politiques avec mention « la plus grande distinction » au Chef de Travaux Ramazani Shadary.
Après son cuisant échec lors de l’élection présidentielle de 2018, le Secrétaire permanent du PPRD en a terriblement besoin pour se recycler ou commencer une nouvelle vie au moment où son leadership n’a jamais été autant contesté et dès lors que l’université peut s’offrir comme le dernier refuge des politiciens en détresse ou à la recherche d’un nouveau souffle. En attendant, même si on ne pourra pas communier aux hosties distribuées au cours de la messe ni y prendre part, nous ne pouvons que féliciter Mr « Coup sur Coup » pour ce coup réussi infligé à l’Université (de Kinshasa) et qui pourrait être le plus magistral de toute sa carrière !
Dr Jean-Michel Bang Bau
Assistant de Recherche