L’ARRET AVANT-DIRE DROIT RP09/CR DE LA COUR DE CASSATION DANS « L’AFFAIRE MATATA » OU LE MIRACLE DES NOCES DE CANA, la transformation de l’eau en vin (Evangile de Jésus-Christ selon Saint Jean, 2 : 7 et 8)

Mardi 2 août 2022 - 09:00
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Chronique, Prof Auguste MAMPUYA KANUNK’a-TSHIABO

Comme quelques décisions de justice rendues depuis un certain temps par nos juridictions, l’arrêt avant-dire droit rendu le 22 juillet 2022 par la Cour de cassation dans l’affaire mettant en cause l’ancien Premier ministre Augustin MATATA P. devrait attirer l’attention des juristes au-delà de ce qui intéresse les politiciens. C’est-à-dire avec de sérieuses préoccupations quant au sort que subit de plus en plus dans notre pays leur discipline favorite, celle à laquelle ils ont consacré les meilleures années de leur jeunesse, pour certains jusqu’à dix ans, celle qui est à la base de la carrière et, donc, de la vie de nombreux d’entre eux, alors qu’on assiste à la discréditation et de la science juridique et des professionnels du droit, au point où de nombreux Congolais raillent le droit et se demandent à quoi il sert. Cette problématique m’a toujours ébranlé et, étant sauf tout le respect que je dois au droit, aux juridictions et à notre haute magistrature dont je connais et apprécie la majorité des membres, quand je l’ai pu, j’ai toujours réagi à certaines décisions, surtout quand elles interviennent dans un secteur « politique congolais» dangereux et compromettant pour la justice, les juridictions et les magistrats. J’étais le seul déjà à réagir à l’arrêt dit « Kapuku » rendu en 2007 par la Cour suprême et à propos duquel j’avertissais contre le danger de mêler le juge aux querelles politiciennes au détriment, comme c’était dans cette affaire-là, du droit et de certaines de ses notions élémentaires mais fondamentales comme celle d’acte « législatif ». La dérive débutait ainsi et, depuis, n’a fait que s’amplifier pour atteindre des zones proches de dangereuses cascades et de la noyade des magistrats. 

L’affaire actuelle n’est certes pas de même nature mais elle côtoie tout aussi bien la zone politique et le danger d’une exploitation « politicienne » ; de fait, on n’a pas manqué d’apprécier cet arrêt en voyant en gros et en gras la qualité de la personne concernée, celle d’un ancien Premier ministre, chef d’un parti récemment créé et candidat à la présidentielle de 2023, la défense l’a bien exploité en affirmant qu’il s’agissait d’un « procès politique ». Autre cause de grossissement, le fait que cet arrêt a été précédé d’un autre, celui rendu par la Cour constitutionnelle dans la même cause et où elle se déclarait incompétente pour juger un « ancien Premier ministre », affirmant que sa compétence ne concerne que le Premier ministre « en fonction » (RP0001). 

La Cour de cassation fut saisie pour, malgré tout, et à cause de l’incompétence déclarée du juge constitutionnel, juger l’ancien Premier. Ce qui nous intéresse ici c’est uniquement la circonstance que par son arrêt RP09/CR, la Cour de cassation ne s’est prononcée que sur les exceptions soulevées par l’inculpé contestant la compétence de la Cour à le juger, ainsi que la recevabilité de l’action du Ministère public. Pour ce faire, je n’ai pas besoin de tenir compte de l’arrêt d’incompétence de la Cour constitutionnelle ni, encore moins, des faits reprochés à MATATA PONYO, faits que du reste j’ignore et dont je n’ai pas le moindre besoin pour examiner et apprécier cet arrêt de la Cour de cassation ; je ne m’y référerai donc pas.

Que dit cet arrêt ?

​J’avoue la peine qu’éprouve le juriste ou tout lecteur à lire, pour le comprendre, cet arrêt. Sans doute, pour bien comprendre cette analyse d’une décision portant non sur le fond et les faits de l’affaire mais sur les « exceptions préliminaires », un petit mot sur la nature et les conséquences d’une « exception préliminaires » est nécessaire.

L’exception préliminaire est cette question ou problématique qu’une partie, généralement le défendeur, pose en préalable à tout débat et à plus forte raison à toute décision sur le fond des faits reprochés, avec la conséquence que le juge ne peut aucunement continuer le procès sur lequel il planche avant de résoudre ce préalable posé par la partie. La majorité des nombreuses exceptions possibles se regroupent en « exceptions d’incompétence » et « exceptions d’irrecevabilité », les plus fréquentes, celles auxquelles le juge fait le plus souvent face. Les défenseurs de M. Matata avaient effectivement formulé, fondées sur plusieurs moyens juridiques, des exceptions d’incompétence (incompétence personnelle et matérielle), pour contester que la Cour de cassation soit compétente pour juger un ancien Premier ministre quant à la qualité de ce dernier ou quant à la nature des infractions alors qu’il les avait commises en tant que Premier ministre et à l’époque où il exerçait ces fonctions mais aussi comme le sénateur qu’il est devenu parce qu’il n’est pas poursuivi pour les actes commis dans ses fonctions de  sénateur mais pour ceux posés pendant qu’il était Premier ministre Ils avaient également formulé l’exception d’irrecevabilité, fondée sur plusieurs moyens juridiques. 

La conséquence est que lorsque l’une de ces exceptions est soulevée, en début du procès par une partie, le juge ne pourra examiner les faits ou infractions reprochés à la partie concernée qu’après avoir répondu aux questions présentées comme préalables par la partie ; on dit qu’il sursoit de statuer et suspend le procès, pour avant toute chose répondre à la question préalable, dans une décision, jugement ou arrêt dit « avant-dire-droit », en liminaire au fond ; il faut préciser que si l’exception soulevée par la partie est une exception d’inconstitutionnelle la juridiction sursoit et saisit la Cour de cassation qui est le juge de la constitutionnalité des normes. La décision avant-dire droit consiste soit à recevoir comme justifiée l’exception formulée, soit à la rejeter, soit, rarement, à la joindre au fond pour l’examiner ensemble avec les faits en reprenant l’affaire.

Dans son arrêt, la Cour, comme c’est son pouvoir, s’est limitée aux seules exceptions d’incompétence, jugeant sans doute qu’elles étaient les plus substantielles et les plus déterminantes, je l’affirme ainsi sans du tout attribuer à la haute juridiction la volonté d’expédier rapidement l’examen des moyens du défenseur.

Il est difficile de comprendre la décision de la Cour, dont l’unique point du dispositif dit qu’elle « sursoit de statuer danscette cause et saisit la Cour constitutionnelle ». Normalement, les paragraphes qui précèdent le dispositif devraient expliquer la démarche du juge qui le conduit à la ou aux décisions figurant dans le dispositif ; ils doivent exposer la motivation du dispositif, consistant à analyser juridiquement les moyens juridiques avancés par les parties, le Ministère public et le défendeur et fondant pourquoi le juge rejette tels arguments en retenant tels autres et construit son propre raisonnement et justifie sa propre décision. Ici, la Cour aurait dû examiner l’exception telle que l’a formulée la défense et expliqué pourquoi elle accepte ou rejette cette exception ; avec la conséquence qu’en cas de rejet, le procès reprendrait pour alors examiner l’affaire dans le fond les faits reprochés à M. Matata, les infractions alléguées contre lui, tandis qu’en cas d’acceptation que l’exception est fondée, la Cour aurait dû mettre fin au procès engagé devant elle contre l’ancien Premier ministre. 

Mais, tout lecteur trouvera que la motivation de la Cour dans cette affaire est soit inexistante soit insuffisante, la totalité du texte de l’arrêt, en caractères et interlignes normaux, se limitant à peine à une seule page. En fait on n’y trouve rien qui conduise une motivation, cette pièce de doctrine et de jurisprudence qui doit soutenir le raisonnement de la juridiction pour répondre à l’exception, argumentation de la Cour esquive soigneusement d’aborder, sans doute parce qu’elle se serait trouvée devant l’obligation de reconnaître que l’exception est fondée et en conséquence de se déclarer incompétente. Ceci explique peut-être cela.

Quand la Bible vient à la rescousse : le double miracle. ​     ​     
Au lieu de lire et d’analyser l’exception d’incompétence dans les termes et moyens juridiques du défenseur, la Cour se livre à un exercice incompréhensible, sauf à renoncer à le comprendre parce qu’il s’agirait alors d’un véritable miracle dans le sens de la Sainte Bible, donc un véritable mystère auquel il faut croire sans chercher à comprendre. De fait,le seul paragraphe où la Cour examine l’exception d’incompétence est celui où elle dit « La Cour de cassation retient que cette exception, mieux cette fin de non-recevoir est en réalité, mieux implicitement, une exception d’inconstitutionnalité réclamant l’application de l’article 162 de la Constitution ». 

L’exception déclinatoire de compétence, qui a pour objet la contestation de la compétence d’une juridiction, est-elle une exception d’inconstitutionnalité ? La Cour de cassation considère que l’exception d’incompétence soulevée par les parties, qu’ellequalifie de « fin de non-recevoir », est « en réalité, ou implicitement » une exception d’inconstitutionnalité. Une telle assimilation est malencontreusement dangereuse puisque non seulement la Cour de cassation n’indique pas la disposition de la loi ou d’un acte législatif ou encore d’un acte réglementaire qui serait contraire à la constitution, mais aussi, elle estime que l’exception d’incompétence qui n’est pas la contestation de l’application d’une loi mais plutôt la contestation de la juridiction d’une instance donnée, peut implicitement constituer une exception d’inconstitutionnalité. Il est vrai que la Cour de cassation peut elle-même soulever une exception d’inconstitutionnalité d’un acte législatif ou réglementaire en vertu de l’article 162 de la constitution dont l’alinéa 1 dispose que « 1. La Cour constitutionnelle est juge de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant ou  PAR une juridiction. » Le juge n’examine pas une soi-disant exception implicite, la partie intéressée formule et soumet explicitement son exception à la juridiction, celle-ci ne peut inventer une exception pour le compte du défendeur.

Mais on ne voit vraiment pas, parce que la Cour ne le dit pas, comment une exception d’incompétence clairement exprimée et voulue telle par son auteur peut se confondre ou être confondue avec une autre, distincte et différente, celle d’inconstitutionnalité ou, mieux se transformer en cette autre, que le défenseur n’a pas évoquée. La Cour utilise un langage qui n’est pas de sa profession, elle assimile l’exception à une « fin de non-recevoir », expression qui n’a aucun contenu juridique, et croit mieux faire en  substituant « implicitement » à « en réalité », affirmant ainsi que l’exception « d’incompétence » serait « implicitement » une exception « d’inconstitutionnalité ». Difficile à comprendre comment les deux exceptions se confondent au point ou l’une se transforme en l’autre, tant il est connu que ce qui se conçoit clairement s’énonce aisément. Pourtant, la première exception concerne la compétence ou l’incompétence de la juridiction, tandis que la seconde amènerait la Cour à examiner la conformité à la constitution de telles normes attaquées par le défenseur, lois, actes législatifs ou règlementaires, tel que le stipule clairement l’article 162 qu’évoque la Cour. Or, ici, la défense n’attaque aucune norme en application de l’alinéa 2 de l’article 162 qui stipule que « 2.Toute personne « … peut en outre, saisir la Cour constitutionnelle par la procédure de  l’exception de l’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui la concerne devant une juridiction. ». Et, à supposer que la Cour ait voulu, comme c’est son droit ainsi que je l’ai dit, saisir la Cour constitutionnelle d’une telle exception, elle n’indique pas de quelle disposition inconstitutionnelle elle compte ainsi saisir le juge constitutionnel.

Alors, magie ? Non, miracle de la transformation de l’eau en vin, transformation de l’incompétence en inconstitutionnalité [Jn 2 : 7 et 8 (Miracle n° 1)]. 

La cour, réalisant sans doute l’impossibilité absolue de l’opération qu’elle engageait, se sent obligée d’engager une deuxième opération, un deuxième miracle. Elle dit en effet, se référant cette fois-ci aux dispositions procédurales des articles 80 de la loi organique relative à sa procédure, ainsi qu’à l’article 108 de la loi organique sur l’organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation s’arrête sur les expressions « dans l’exercice de ses fonctions » et « à l’occasion de l’exercice de ses fonctions » s’agissant des faits imputables au Premier ministre, tandis que la défense n’en fait nullement le fondement de ses exceptions. La Cour, sans doute trouvant ces expressions incompréhensibles, sent le besoin de demander « à cette haute juridiction de lui donner la portée exacte de ces deux expressions…en ce qui concerne les poursuites engagées actuellement contre le Sénateur Matata Ponyo Mapon Augustin pour les actes posés dans la période où il exerçait effectivement les fonctions de Premier ministre ou à l’occasion de l’exercice de ces fonctions ». La Cour manifeste ainsi son intention de saisir la Cour constitutionnelle pour que cette dernière interprète ces deux expressions utilisées par la Constitution. L’objet n’est plus de saisir la Cour constitutionnelle en inconstitutionnalité mais en interprétation. La deuxième opération est donc celle par laquelle l’inconstitutionnalité se mute en interprétation [Jn 2 : 7 et 8(Miracle n°2)]

Outre le fait qu’elle n’explique pas en quoi ceci rencontrerait l’exception d’incompétence soulevée par la défense, cette initiative pose la question du pouvoir de la Cour de cassation de saisir le juge constitutionnel en interprétation, en application de l’article 161 de la constitution.

La Cour de cassation ne peut pas saisir la Cour constitutionnelle en interprétation. S’il est vrai que, par les dispositions de l’alinéa 1er de l’article 161 de la constitution de la RDC, le constituant a conféré à la Cour constitutionnelle la compétence d’interpréter les dispositions de la Constitution, il est essentiel de se demander si cette demande est effectuée conformément à la lettre et à l’esprit de la constitution. A ce sujet, il convient de rappeler que l’alinéa 1er de l’article 161 de la constitution dispose que « La Cour constitutionnelle connaît des recours en interprétation de la Constitution sur saisine du Président de la République, du Gouvernement, du Président du Sénat, du Président de l’Assemblée nationale, d’un dixième des membres de chacune des Chambres parlementaires, des gouverneurs de Province et des présidents des Assemblées provinciales. »

Le Constituant a ainsi voulu « LIMITER » le cercle de ceux qui peuvent prendre l’initiative de saisir la Cour constitutionnelle dans cette matière. Aucun élément de ce paragraphe n’amène à ajouter la Cour de cassation sur la liste des autorités ayant qualité pour exercer la compétence prévue à l’alinéa 1er de l’article 161. Par conséquent, à mon avis, la Cour constitutionnelle devrait déclarer irrecevable pour défaut de qualité la demande en interprétation formulée par la Cour de cassation. Mieux, tout simplement, la Cour de cassation n’aurait pas dû tenter cette voie qui, clairement, lui est refusée.

La Cour de cassation invente de toutes pièces, ex nihilo, une nouvelle procédure

En essayant d’assimiler l’exception d’incompétence à une exception d’inconstitutionnalité, pour en réalité demander à la Cour constitutionnelle l’interprétation d’une disposition de la constitution, la Cour de cassation commet un détournement de pouvoir. La Cour constitutionnelle dira cette entreprise irrecevable pour défaut de qualité dans le chef de la Cour de cassation à demander l’interprétation.

Il y a en plus bel et bien un abus de procédure parce que la Cour de cassation essaye, malicieusement, d’obtenir, par l’exercice d’une prérogative qui lui est réellement confiée, un résultat qui n’est pas attachée à cette prérogative. Il y a clairement un détournement de la prérogative que l’article 162 alinéa 1er de la constitution confère à la Cour de cassation (possibilité de saisir pour inconstitutionnalité la Cour constitutionnelle par voie d’exception) pour obtenir les effets qui sont prévus à l’article 161 alinéa 1 concernant la saisine en interprétation qui ne lui est pas reconnue. Le juge constitutionnel, comme tout autre juge d’ailleurs, est appelé à « paralyser et, le cas échéant, à réprimer » les abus de droit ou le détournement de procédure. (Voir Laurent ECK, L’abus de droit en droit constitutionnel, Paris, L’Harmattan, 2010, p.22.) (Voir aussi : Conseil constitutionnel français, 25 juin  1986.). Le dernier alinéa de l’article 103 de la constitution du Pérou dispose que : « La constitution ne protège pas l’abus de droit. ».

Pour justifier cette surséance et sa requête devant la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation évoque l’article 80 de la loi relative à sa procédure et l’article 108 de la loi portant organisation et fonctionnement de la Cour  constitutionnelle. Ces deux disposition n’ont aucun rapport avec la matière devant parce que la première est relative aux infractions alléguées contre des membres du gouvernement autres que le Premier ministre, tandis que la seconde concerne les infractions commises par un Premier ministre en dehors de ses fonctions ; on ne voit ni ne comprend pas comment elles pourraient fonder le pouvoir pour la Cour de cassation de saisir la Cour constitutionnelle en interprétation au cours d’une procédure d’exception préjuridictionnelle.

Enfin, au lieu de se prononcer sur les exceptions du défendeur, la Cour institue un autre préalable aux exceptions préalables posées par ce dernier, une inédite « exception aux exceptions », et  sursoit donc l’instance des exceptions. C’est inouï et inédit, sorti d’une baguette magique ou d’un troisième miracle, celui de la création ex nihilo comme dans le Livre de la Genèse, pour la Cour de cassation, de renvoyer à la Cour constitutionnelle, en préalable, une prétendue exception revenant à une requête en interprétation à laquelle elle n’est pas admise ; on doit se demander si, si par l’impossible, la Cour constitutionnelle disait recevable sa requête en interprétation, la Cour de cassation reprendra l’examen des exceptions soulevées qu’elle a suspendu pour saisir le juge constitutionnel, parce que telle est la conséquence de la procédure d’exception, suspendant le procès au fond, lequel devrait reprendre si l’exception est rejetée, alors même que la Cour de cassation ne peut pas, par ces pirouettes, prétendre avoir examiné les exceptions soulevées par le défendeur.

D’ailleurs, dans ce fourre-tout, on ne sait pas sur quelle disposition la Cour de cassation fonde sa requête en interprétation. Ne pouvant évoquer explicitement se référer à l’article 161 et se trouvant dans l’impasse, elle ne précise même pas qu’elle désire une interprétation de dispositions constitutionnelles mais demande « la portée exacte des deux expressions… », et elle fonde sa demande sur l’article 162 alinéa 4 qui conclut que si une exception d’inconstitutionnalité est soulevée devant elle, la juridiction «… sursoit à statuer et saisit, toutes affaires cessantes, la Cour constitutionnelle ». Mais, en fait, de quoi la juridiction saisit-elle la Cour constitutionnelle ? Logiquement, de l’exception d’inconstitutionnalité qui serait soulevée devant elle, exception que le défendeur Matata n’a pas soulevée devant la Cour de cassation. ​      De plus, l’astuce consistant à ne pas citer « interprétation de dispositions de la constitution» ne sauve pas la situation ; en effet, de l’interprétation de quoi d’autre la Cour constitutionnelle est-elle chargée sinon de l’interprétation de la constitution, aussi il ne s’agit pas d’interpréter la grammaire ou la langue mais, même sans le mot, d’interpréter la constitution et de rien d’autre. Ainsi, en plus de l’argumentation soutenue plus haut fondant l’irrecevabilité de la requête de la Cour de cassation, je suis certain que la Cour constitutionnelle ne devrait pas examiner cette requête sur la base de l’article 162 qui traite des exceptions mais bel et bien sur celle de l’article 161 parce qu’il s’agit sans contestation possible d’une requête en interprétation et, à cause de cela, la déclarer irrecevable au motif que le demandeur, en l’occurrence la Cour de cassation, n’a pas qualité pour une telle requête. 

Impertinence de la prétendue théorie du « pouvoir régulateur ». La Cour peut-elle se cacher derrière un prétendu argument tiré de la notion de « pouvoir régulateur » de la Cour constitutionnelle pour voir cette juridiction recevoir la demande provenant d’une autorité non désignée par le constituant pour exercer les prérogatives prévues à l’alinéa 1er de la Constitution ? Peut-on, se fondant sur la notion de « pouvoir régulateur », accepter que la Cour constitutionnelle fasse fi de la liste limitative des autorités habilitées à la saisir en interprétation et recevoir une telle requête formulée par la Cour de cassation ? 

Je dois clairement dire « NON ». Car, la notion de «  pouvoir régulateur » n’a pas pour effet d’étendre les compétences de la Cour constitutionnelle, de déroger aux conditions que la constitution impose clairement à l’exercice de ses compétences. Je sais que, sur la base de cette même théorie, la Cour constitutionnelle avait déjà été amenée à consacrer ce détournement de procédure par son arrêt rendu en 2015 où elle a déclaré recevable et fondée la requête en interprétation de la CENI concernant le dépassement des délais du processus électoral, en particulier celui de l’article 73 «Le scrutin pour l’élection du Président de la République est convoqué par la Commission électorale nationale indépendante, quatre-vingt-dix jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice ». Or, la CENI n’a pas qualité pour cela, et recourant à cette théorie infondée du « pouvoir régulateur de la Cour constitutionnelle », celle-ci, sans doute effrayée par les immenses conséquences politiques et institutionnelles de ce dépassement, s’est empressée de combler ce vide abyssal que créerait l’absence des élections dans le délai constitutionnel, a cru bon de recevoir cette requête et interpréter très largement les dispositions constitutionnelles dont elle avait été saisie, pour en fait régulariser la situation. Il ne faudrait pas se servir de cette malencontreuse décision qui est encore un seul cas, pour en faire une sorte de « jurisprudence » dans une conception visiblement contra legem et qui est particulièrement contrindiquée dans le cas présent, en matière pénale où le principe est celui de l’interprétation stricte et où il s’agit singulièrement de protéger les droits du défendeur, qui sont d’ordre public. Il est temps d’arrêter le scandale et d’empêcher cette violation claire de la constitution de devenir une jurisprudence destinée à remplacer des dispositions constitutionnelles explicites clairement établies, sinon, sans pourtant aucune réforme constitutionnelle, il n’y aurait plus de constitution.

D’ailleurs, la notion de «  pouvoir régulateur » n’est pas une porte ouverte à l’élargissement sans limites des compétences de la Cour ni à l’extension du champ des personnes ou des autorités ayant qualité pour la saisir. En réalité, la notion de « pouvoir régulateur » renvoie à la mission et au rôle de la Cour constitutionnelle, mission ou rôle qu’elle réalise en exerçant les compétences constitutionnelles telles qu’elles lui ont été confiées par la constitution ; l’ensemble des compétences et attributions de la Cour constitutionnelle concourent à l’exercice par elle de sa « mission régulatrice ». En effet, il est aisé de vérifier à propos de chacune de ses compétences, que lorsque la Cour constitutionnelle les exerce telles que définies et circonscrites par la constitution, elle participe à la régulation de l’exercice du pouvoir d’Etat. Le « pouvoir régulateur », partout où il est institué, n’est pas un pouvoir nouveau, ni une compétence particulière conférée à la Cour constitutionnelle, mais il s’agit plutôt de la mission à laquelle doit parvenir son action lorsqu’elle est menée conformément aux limites imposées par la constitution. Tel est, en effet, le sens clair de ces dispositions de quelques constitutions africaines qui instituent ou reconnaissent en la Cour constitutionnelle de ces Etats non pas « un pouvoir » mais un « organe régulateur » et c’est en exerçant ses compétences constitutionnelles que la Cour joue son rôle d’organe régulateur : GABON : Article 83  « La Cour Constitutionnelle est la haute juridiction de l’État en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité des lois et de la régularité des élections. Elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics ».  BENIN : Art. 114 « La Cour constitutionnelle est la plus haute juridiction de l'Etat en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité de la loi et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. Elle est l'organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l'activité des pouvoirs publics ».

Conclusion

Il n’est pas correct, c’est même abusif, dans un système constitutionnel qui n’institue pas cette notion, de l’imiter extensivement à partir de constitutions qui l’ont explicitement prévue ; il y a, là, une dérive jurisprudentielle susceptible de déstructurer un système constitutionnel en lui-même cohérent. Chercher, par la transformation magique de l’exception d’incompétence en exception d’inconstitutionnalité qui est un détournement de procédure, ou par la spécieuse théorie d’un prétendu « pouvoir régulateur », un abus de droit, à faire obtenir à la Cour de cassation une qualité lui permettant de saisir la Cour constitutionnelle en interprétation, c’est une torsion infligée au cou du droit qui revient à induire à coup sûr la Cour constitutionnelle dans un détournement de procédure et dans un abus de droit.

La Cour de cassation n’avait qu’une seule chose à faire, se prononcer sur les exceptions, les déclarer fondées et mettre fin à l’affaire devant elle. ​Prof OrdinaireEmérite AMKT