De plus en plus des mandataires publics ne cachent plus leur exaspération de voir l’Inspection générale des finances (IGF) partager leurs prérogatives en co-gérant leurs entreprises, établissements et provinces, au nom de la lutte contre la corruption et le détournement des deniers publics. Ils dénoncent la co-gestion de leurs entités avec l’IGF, dirigé par Jules Alingete Keyi. Mais ce dernier s’en défend en arguant que les « patrouilles financières », non donné aux missions permanentes de contrôle à priori que l’IGF a envoyées dans des structures de l’Etat, sont là pour prévenir les détournements des deniers publics. S’il est vrai que l’IGF a restauré dans une certaine mesure la peur du gendarme dans la gestion des deniers publics, ses méthodes questionnent notamment sur le plan légal et sur leur efficacité dans la quête de voir ses entités rentables.
Depuis 2021, l’IGF et mandataires public sont dans la codirection et cogestion
Nichés dans des entreprises publiques, établissements publics et provinces depuis 2021, les inspecteurs de l’IGF approuvent chaque semaine les plans de trésorerie et les plans de dépense de mandataires publics. Les inspecteurs de l’IGF visent toutes les factures avant tout paiement. Ce qui a pour conséquence notamment : alourdir le processus décisionnel. Plusieurs fournisseurs se plaignent des retards accumulés dans le paiement de leurs factures. L’IGF se défend en arguant que le contrôle à priori qu’elle effectue et qu’elle appelle « patrouille financière », a le mérite de prévenir la survenance des actes de corruption car une fois ceux-ci survenus il est difficile de faire condamner judiciairement et administrativement les mandataires véreux. En plus, d’après son patron, la récupération des biens volés est impossible avec les contrôles à postériori. C’est donc pour prévenir le détournement des deniers publics, promouvoir la justice distributive (salaires) que l’IGF campe dans les entreprises et établissements publics. À première vue, l’idée peut sembler louable: prévenir des actes de prévarication. Mais attention : est-ce légal ? Appartient-il à un inspecteur d’autoriser ou pas le paiement d’un fournisseur ? Lui revient-il d’indiquer aux mandataires comment affecter l’argent ? Lui incombe-t-il de prendre des décisions stratégiques de l’entreprise en se substituant au conseil d’administration ? Voilà autant des questions qui valent leur pesant d’or.
D’abord, la compétence de l’IGF sur la nature des actes à contrôler.
Il est vrai que l’IGF a « une compétence générale et supérieure en matière d’audit et de contrôle des finances publiques et des biens publics », selon la loi (article 2 de l’ordonnance N•20/137-b du 24 septembre modifiant et complétant l’ordonnance N•87-323 du 15 septembre 1987 portant régime création de l’Inspection Générale des finances). Sauf le parlement et la cour des comptes, l’IGF peut accomplir des enquêtes, contrôles, audits, vérifications ou contre-vérifications, des inspections sur les opérations financières en recettes comme en dépenses des structures de l’Etat. La loi est claire, personne ne peut contester donc à l’IGF ses prérogatives étendues de contrôle.
Cependant, la même loi dans son article 2 alinéa 5 interdit à l’IGF de s’immiscer dans la direction et la gestion des services contrôlés. Pour le législateur, il est clair qu’il ne peut y avoir deux capitaines sur un même bateau. Seuls les mandataires publics ont la charge exclusive de diriger leur entité. Or, en visant les factures avant tout paiement, l’IGF pose un acte de gestion. Il y a bel et bien immixtion dans la gestion quotidienne des entreprises, provinces ou établissements publics. L’IGF viole donc sa propre loi.
L’autre hic de la « patrouille financière » de l’IGF c’est son caractère permanent. Un audit, une enquête, un contrôle, une inspection, une surveillance, une vérification, une contre-vérification, etc, doit avoir un délai, un terme dans le temps. Ça ne peut pas s’étendre indéfiniment dans le temps car l’IGF n’est pas le seul organisme public de contrôle. Il y a aussi des organes d’audit interne dans les entreprises et établissements publics. Ils peuvent même faire l’objet de mission d’audit externe. À côté, il y’a la Cour des comptes, il peut y avoir aussi des commissions parlementaires. Sans oublier le CENAREF (Cellule nationale des renseignements financiers), les parquets, , l’APLC (agence congolaise de prévention et de lutte contre la corruption ). La permanence des patrouilles financières implique l’exclusivité-confiscation des missions d’audit et de contrôle à la seule IGF. Or celle-ci n’en a pas le monopole. La bonne gouvernance est une affaire de plusieurs structures de contrôle. D’où, la nécessité de définir une temporalité aux missions de l’IGF.
IGF ne doit pas se substituer aux organes internes d’audit mais les encadrer
Et d’ailleurs, la loi est claire (Al.3 de l’ordonnance de 2020) car elle demande à l’IGF plutôt que de se substituer aux organes d’audit interne, de les encadrer. Donc l’IGF devrait plutôt s’assurer que le Règlement financier et administratif de chaque structure de l’Etat soit conforme à la loi, promeut la bonne gouvernance et soit respecté lors des opérations financières. Et ce n’est qu’en cas de manquements que l’IGF doit sanctionner en relevant les violations.
Nuance : IGF contrôleuse des actes de gestion accomplis pas acte de gestion à accomplir
Pour bien comprendre la sphère de compétence de l’IGF, il faut aussi lire la loi sur la comptabilité publique (décret N•13 portant règlement général sur la comptabilité publique du 15 décembre 2013). À l’article 140, il est dit clairement que le contrôle administratif exercé par l’IGF porte sur des actes de gestion accomplis par les ordonnateurs et comptables publics. La loi ne dit pas actes de gestion à accomplir mais actes de gestion accomplis. Il va s’en dire qu’on ne peut pas contrôler un acte qui n’a pas encore été posé. Dès lors que l’on vise systématiquement les factures, qu’on décide de l’affectation des recettes, qu’on oriente la structure des dépenses, il y a problèmes. L’IGF n’est pas comptable devant l’Etat de la bonne marche des structures contrôlées. Seuls les mandataires le sont. Et c’est à eux de rendre des comptes.
Sans vouloir jeter le bébé et l’eau du bain, il faut juste recadrer le travail de l’IGF dans les limites de la loi. Prendre ce que l’agence anti-corruption fait de bien et rejeter ce qu’elle fait de mal.
CP/ Alidor Munyakazi