Guerre dans l’Est : le Dr Mukwege exige justice pour les victimes et la fin du cycle « vicieux » de violences et de l'impunité

Samedi 26 avril 2025 - 15:00
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Dans une déclaration faite à la suite des pourparlers de paix entre le gouvernement congolais et l’AFC/M23, facilités par le Qatar ainsi que la signature de la déclaration de principes par la RDC et le Rwanda à Washington le vendredi 25 avril 2025, le docteur Denis Mukwege rappelle la nécessité de rendre justice aux victimes, mais aussi de briser le cycle « vicieux » de violence et d’impunité.

Pour le prix Nobel de la paix 2018, bien que les diverses parties se soient engagées à avancer sur le chemin de la paix dans le respect du droit international, ces engagements, un pas important vers une désescalade en vue de faire taire les armes, soulèvent de nombreux questionnements.

En premier lieu, estime-t-il, la résolution du 2773 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée le 21 février 2025, exige un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel et le retrait des troupes rwandaises de la RDC ainsi que la fin de leur soutien au M23.

Pour lui, Il n'y a donc a priori pas à ajouter d'autres conditions pour assurer la mise en œuvre effective de cette résolution, qui est une source de droit international s'imposant à tous les États, et qui doit être au cœur des efforts en cours pour sortir de la crise et mettre fin à l'agression de l'armée rwandaise d'occupation et à l'activisme de ses alliés.

« Deuxièmement, si les annonces faites par les parties vont dans le sens de la conclusion d'une trêve, qui serait une nouvelle positive, il sied de rappeler ici qu'une demi-douzaine de trêves et cessez-le-feu ont été signés dans le cadre des processus de Luanda et de Nairobi, aujourd'hui fusionnés, pour être ensuite systématiquement rompus, démontrant la mauvaise foi flagrante des forces d'agression et d'occupation, qui se sont distinguées par leur mépris constant pour la Charte des Nations Unies, leur défiance continue face aux condamnations répétées de la communauté internationale, et leur recours à la stratégie du « talk & fight », dit-il.

Et enfin, ajoute Denis Mukwege, les pourparlers de paix facilités par l'État du Qatar et la facilitation américaine demeurent largement « opaques », alors que, souligne l’ancien candidat à la présidentielle de 2023, la transparence est de mise pour rétablir la confiance et avancer vers une feuille de route crédible aux yeux de populations fatiguées par les manœuvres de l'ombre, souvent dictées par des intérêts économiques et financiers étrangers à ceux de la population congolaise.

« Pour ces différentes raisons, même si nous sommes en faveur des efforts visant à la désescalade pour arriver à un cessez-le-feu et faire taire les armes, nous demeurons circonspects suite à la publication des récentes déclarations, car ceux qui cherchent à restaurer la paix dans l'Est de RDC ne doivent pas perdre de vue non seulement que ce conflit armé est en grande partie international, mais aussi qu'il dure depuis des décennies, a provoqué la mort et le déplacement de millions de personnes, la commission de crimes internationaux les plus graves et l'une des catastrophes humanitaires la plus dramatique du monde, et ne peut par conséquent pas se satisfaire de solution a minima », indique-t-il.

Estimant qu’il est temps d’assurer une meilleure coordination multilatérale des efforts de paix, car la multiplication d'initiatives éparses n'offre pas de gage sérieux pour mettre fin aux hostilités dans l'est de la RDC ni pour restaurer la stabilité dans la région des Grands lacs africains, le prix Nobel de la paix 2018 estime qu'à l'exception de l'Accord-cadre d'Addis-Abeba pour la paix, la sécurité et la coopération, signé en 2013, les précédents accords de paix ont systématiquement été motivés par des intérêts à court terme en ayant recours à des amnisties, à des promotions de seigneurs de guerre au sein des institutions de l'État et à l'intégration d'éléments de groupes armés dans les forces de défense et de sécurité congolaises, en sacrifiant la paix sur l'autel de la justice.

« La population congolaise a déjà pu faire le constat amer qu'à la fin, ils n'ont obtenu ni la paix, ni la justice, et ces politiques ont eu un effet désastreux sur la protection des civils tout en créant un contexte propice à la répétition des conflits et des atrocités de masse. Ainsi, nous réaffirmons qu'aucun État n'est au-dessus du droit international qui a aussi vocation à s'appliquer en RDC et dans la région des Grands Lacs africains. Toutes les échelles de responsabilités - nationales, régionales et internationales - doivent être établies pour rendre justice aux victimes et briser le cycle vicieux de la violence et de l'impunité », écrit le Dr. Mukwege.

À cet effet, il plaide pour l'adoption et la mise en œuvre d'une stratégie nationale holistique de justice transitionnelle en RDC et rappelle la décision du Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies de créer une mission d'établissement des faits et une commission d'enquête indépendante sur les graves violations commises dans l'est de la RDC ainsi que la déclaration du procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, lors de sa dernière visite à Kinshasa, qui avait souligné qu' « aucune partie au conflit n'avait un chèque en blanc » pour la commission de crimes relevant du Statut de Rome.

Pour le docteur Mukwege qui soutient que la crise en RDC comporte également une dimension interne, les initiatives en cours doivent d’abord mettre fin à la dimension internationale du conflit pour ensuite trouver des solutions intra-congolaises, dans l'esprit des démarches initiées par la CENCO et l'ECC avec le Pacte social pour la Paix.

Christian Dimanyayi