
La deuxième édition des rencontres congolaises de recherches sur le journalisme s'est ouverte ce jeudi 8 mai 2025 à l'Institut National des Arts (INA) de Kinshasa, plaçant au cœur des discussions un thème d'actualité : « Le journalisme face à l'intelligence artificielle : entre méfiance et révérence ». Des chercheurs, étudiants et journalistes ont notamment pris part à cet événement.
La cérémonie d'ouverture, inaugurée par le ministre de la Communication et Médias, Patrick Muyaya, a été suivie d'un panel durant lequel le professeur Félix Malu a soulevé une question fondamentale : « Le savoir en transformation. L'éducation à genoux : l'IA est-elle le problème ? ».
D'emblée, il a appelé à une démystification de l'IA générative, reconnaissant son potentiel tout en soulignant ses effets négatifs insidieux, notamment sur le développement des jeunes et l'autonomie des adultes. Selon lui, une utilisation non éclairée de l'IA générative conduit inévitablement à une érosion des capacités cognitives.
« Plus vous utilisez une IA générative, plus vous prenez le risque de la laisser penser à votre place », a-t-il averti, expliquant que cette dépendance réduit l'exercice intellectuel et affaiblit les facultés mentales.
Un autre point soulevé est la dépendance des plus jeunes et l'atrophie de la pensée critique. Le professeur Malu a déploré que la confiance aveugle en l'IA, que ce soit pour la rédaction ou la recherche, diminue l'esprit critique, touchant particulièrement les jeunes.
« Nous assistons à l’émergence d’une génération d’élèves, d’étudiants et de professionnels qui réfléchissent moins de façon autonome et ne remettent rien en question, surtout s’il n’y a pas d’encadrement dans l’usage de l’IA », a-t-il insisté.
Il a également mis en garde contre la perte d’autonomie intellectuelle chez l’adulte, les hallucinations et la désinformation, ainsi que la malhonnêteté académique et le plagiat. Pour le professeur Malu, l'IA n'est pas la cause profonde des problèmes, mais plutôt un révélateur des faiblesses d'un système éducatif « de plus en plus dégradé et laxiste ».
Il a souligné l'importance de développer des compétences essentielles à l'ère de l'IA générative, notamment la littératie en intelligence artificielle, l'esprit critique et les compétences informationnelles, les compétences éthiques et citoyennes, la communication et le « prompt engineering », ainsi que le questionnement socratique et l'auto-réflexion.
« L’IA générative est un amplificateur des compétences cognitives, elle décuple la performance de ceux qui savent l’interroger intelligemment et qui conservent un esprit critique et analytique rigoureux et méthodique, mais elle approfondit l’incompétence et les lacunes de ceux qui n’utilisent pas leur cerveau », a-t-il expliqué.
Avant lui, le professeur Madimba Kadima Nzuji de l'UNISIC a illustré les limites de l'IA, en s'appuyant sur une expérience avec ChatGPT. En lui demandant de dessiner un mouton, référence au livre « Le Petit Prince »d'Antoine de Saint-Exupéry, il a démontré que l'intelligence artificielle n'a pas la capacité de créer.
Il a expliqué que l'IA intervient uniquement lorsqu'on peut lui exprimer de manière tangible ce que l'on désire et a souligné un « problème technique » fondamental : « l'IA est bête. Elle ne fait que ce qu’elle a vu faire. Elle ne peut pas sortir du modèle convenu. Elle dépend des contenus qu’on lui donne ».
« Si aujourd’hui, tous les Congolais se décident à alimenter l’IA avec des données, vous verrez que les réflexions de l’IA seront des réflexions à matière congolaise. Elle ne peut pas faire autrement, elle reflète celui qui la nourrit », a-t-il argumenté.
Abordant la thématique « Journalisme et IA : entre promesse de productivité et périls de l'automatisation », Axel Gontcho de l'Aix-Marseille Université a mis en lumière les opportunités d'amélioration de la productivité offertes par l'IA aux journalistes. Cependant, il a également soulevé de nombreux défis éthiques et professionnels liés à cette avancée. Il a insisté sur l'urgence de définir une posture adéquate.
« Entre révérence et méfiance, c’est le moment de trouver la meilleure posture aujourd’hui et non demain, pour que l’IA reste au service du journalisme, du public et, par-dessus tout, de la démocratie », a-t-il recommandé.
Ce forum, organisé par le LARSICOM, se poursuivra jusqu'à samedi, avec d'autres panels prévus pour approfondir la réflexion sur l'impact de l'intelligence artificielle sur le journalisme.
Merveil Molo