
Une guerre qui ne dit pas son nom
La République démocratique du Congo est connue pour ses guerres ouvertes : des conflits armés liés aux minerais stratégiques, des rebellions soutenues de l'extérieur, des luttes d'influence géopolitique. Mais derrière ces affrontements visibles se joue une autre guerre, plus sournoise, plus silencieuse, mais tout aussi destructrice : la guerre de l'identité.
Depuis près de quarante ans, la RDC vit sans carte nationale d'identité pour ses citoyens. Ce vide institutionnel a transformé la question de l'identité en une faille béante, exploitée par les groupes armés, les réseaux mafieux, et parfois même des élites politiques.
Quand l'absence d'identité devient une arme
L'absence d'un système d'identification national fiable a trois conséquences majeures :
1. Infiltration et manipulation : sans registre national solide, les combattants étrangers se fondent dans la population. Les rebelles peuvent se déplacer, recruter et se réorganiser sans entrave.
2. Déni de droits pour les citoyens : des millions de Congolais n'ont pas d'existence légale. Sans identité, pas d'accès à l'éducation, à la santé, au vote, ni aux programmes sociaux. Ils deviennent des "citoyens fantômes", vulnérables à toutes les manipulations.
3. Fragmentation de l'État différents ministères, parfois même des sociétés privées, s'arrogent des morceaux de la mission d'identification (cartes pour étrangers, vérification KYC, identités numériques parallèles), Résultat un patchwork fragile qui affaiblit la centralité de l'État et ouvre la voie à une balkanisation administrative et numérique.
L'identité : pilier de la souveraineté
Dans tous les États modernes, l'identifé nationale est une infrastructure de souveraineté.
- Sans identité, l'armée ne sait pas qui elle protège.
- Sans identité, la justice ne sait pas qui elle juge.
- Sans identité, les finances publiques ne savent pas qui taxer ou soutenir.
C'est pourquoi les textes fondateurs congolais le décret de 2011 créant l'ONIP, le décret de 2022 instituant le Fichier Général de la Population (FGP) confient cette mission exclusivement à l'ONIP, sous la tutelle du Ministère de l'Intérieur.
La Constitution elle-même place la gestion des populations et la sécurité intérieure dans le giron du Ministère de l'Intérieur. L'identité n'est pas une commodité numérique c'est une mission régalienne, comparable au rôle de la Banque centrale dans l'émission de la monnaie nationale et d'ici quelques années avec la dématérialisation de la monnaie nous espérons le ministère du numérique réclamera l'émission du franc Congolais numérique.
La guerre de l'identité, un terrain fertile pour la balkanisation
Aujourd'hui, le plus grand danger n'est pas seulement militaire. Il est institutionnel : c'est la tentation de morceler l'identité.
- Une société privée gère les étrangers.
- Une autre contrôle l'authentification numérique (KYC, eKYC).
- Un ministère revendique la maîtrise d'une autre identité qui est numérique au nom de la digitalisation.
Chaque fragment éloigne un peu plus l'État d'une gouvernance unifiée. Chaque contrat parallèle crée un risque de chaos administratif. Chaque concession d'autorité alimente l'insécurité.
C'est cela, la guerre de l'identité une bataille invisible où le territoire disputé n'est pas une province, mais la capacité même de l'État à reconnaître et protéger ses citoyens.
Sortir de la mentalité des "deals"
Si la RDC échoue depuis quatre décennies à doter ses citoyens d'une carte d'identité, c'est aussi parce que la question a trop souvent été traitée comme un marché à concéder, plutôt qu'une mission régalienne.
Mais l'identité n'est pas une affaire commerciale. Elle n'est pas une "niche numérique" pour Investisseurs pressés. Elle est une infrastructure critique, au même titre que l'armée, la police, la monnaie ou la justice.
Une opportunité à ne pas manquer
Le projet d'identité nationale bien orchestré et exécuté offrira enfin une chance historique de combler ce vide : alignée sur les engagements internationaux: la CIPD (1994) et l'ODD 16.9 des Nations Unies, qui exigent une identité légale pour tous d'ici 2030.
La prérogative de l'ONIP ne doit pas être fragmentée. Elle doit être défendue comme une priorité de sécurité nationale.
Défendre l'identité, défendre l'État
La guerre de l'identité est la bataille invisible qui affaiblit la RDC de l'intérieur. Si l'État échoue à affirmer son autorité exclusive sur l'identité nationale, il perdra bien plus qu'un projet administratif : il perdra son unité, sa crédibilité et sa capacité à gouverner.
Préserver l'ONIP comme autorité unique d'identification, c'est préserver la souveraineté congolaise.
Résister à la fragmentation, c'est résister à la balkanisation. Accélérer le projet d'identité nationale, c'est doter le Congo d'un rempart contre la guerre, visible et invisible.
Tribune de l'analyste I. Kapangala