Sous la présidence du président de la République, le gouvernement a tenu vendredi 17 avril 2020 sa 27ème réunion du conseil des ministres.
Elle s'est faite en audio conférence entre la cité de l'Union Africaine (présidence) et l'hôtel du gouvernement. Le ministre de la santé publique, au cours de ce conseil, a présenté 3 projets de texte en rapport avec le covid-19, dont le projet d'ordonnance portant prorogation de la durée de l'État d'urgence sanitaire.
Proclamé le 24 mars 2020 par ordonnance présidentielle n° 20/014 pour une durée de 30 jours prenant effet à la date de sa signature, l'état d'urgence sanitaire prendra fin le 23 avril prochain à minuit, soit dans 5 jours francs selon l'article 1er alinéa 1er de cette décision.
Cependant, le 3è alinéa de l'ordonnance fonde les conditions d'une probable prolongation de cet état se basant à quelques mots près sur l'article 144 alinéa 4 de la Constitution : "les mesures prises en application de la présente ordonnance cessent d'avoir effet après l'expiration du délai prévu au premier alinéa, à moins que l'Assemblée nationale et le Sénat, saisis par le président de la République sur décision du conseil des ministres, n'en aient autorisé la prorogation pour des périodes successives de 15 jours".
Nécessité de proroger l'État d'urgence sanitaire
Alors que le pays a franchi la barre de 300 cas positifs et que dans un communiqué signé le 13 avril, le docteur Jean-Jacques Muyembe, coordonnateur du secrétariat technique du comité multisectoriel de riposte au covid-19, alertait que "la pandémie entrait dans une phase de croissance exponentielle dans la capitale et que selon les différents modèles de projection, contextualisés à la RDC, le pic de cette croissance sera atteint entre la première et la deuxième semaine du mois de mai". Cette structure nationale dédiée à la riposte déplorait "le relâchement dans le respect des mesures et des consignes prises par les autorités sanitaires et politiques du pays, pour empêcher la propagation rapide de cette maladie dans la ville de Kinshasa, considérée jusqu'ici comme l'épicentre de la pandémie en RD.Congo".
Dans ce document alarmiste, le comité Muyembe prévenait que "pendant cette période, il faut s'attendre à un afflux important des malades dans les structures sanitaires qui vraisemblablement seront débordées. Si les efforts de préparation en cours ne sont pas finalisés à temps, il faudra craindre le pire".
Il est donc nécessaire, au vu de l'allure dangereuse prise par la pandémie dans le pays en si peu de temps, qu'une prorogation de l'état d'urgence sanitaire soit mise sur la table pour maintenir et étendre les mesures prises dans cette ordonnance proclamant l'État d'urgence qui doivent rester de stricte observance, comme recommandé par la structure scientifique de lutte contre le Covid-19.
Violons accordés au sommet des institutions ?
Cette probable prorogation de l'état d'urgence sanitaire en RDC qui se profile, intervient dans un contexte politique qui semble nettement plus apaisé entre les différentes institutions (présidence de la République et deux chambres du Parlement) qu'à la suite de sa proclamation.
En effet, suite à celle-ci, un débat électrique a été déclenché entre les défenseurs d'une autorisation parlementaire à posteriori de cet état d'exception par le biais d'un congrès parlementaire, conformément à une lecture combinée des articles 85, 119 et 144 de la constitution menés par le président du Sénat, Alexis Thambwe Mwamba et les tenants d'une simple consultation des chefs des institutions législatives et du premier ministre sur pied de l'article 85 de la loi mère congolaise, thèse défendue par le 1er vice-président de l'Assemblée nationale et président intérimaire de l'UDPS, Jean-Marc Kabund-À-Kabund.
Ainsi, saisie par la présidence de la République, par son arrêt du 13 avril 2020, la Cour constitutionnelle par la voix de son président Benoît Lwamba a statué sur la décision du président de la République proclamant l'État d'urgence sanitaire et la qualifiant de "bel et bien conforme" à la constitution n'appelant pas une quelconque autorisation du Parlement, en faisant savoir que le chef de l'État a usé de ses prérogatives constitutionnelles qui lui sont reconnues à l'article 85 de la constitution et la procédure en la matière, n'ayant pas besoin d'une autorisation ni d'un congrès. Quoique inattaquable et opposable à tous, cet arrêt a tout de même été qualifié d'"arrêt monstre" ou "arrêt de compromis" par certains spécialistes du domaine juridique.
Cet épisode des tensions institutionnelles et politiques semblerait, cependant, dépasser, à en croire, les déclarations conciliatrices devant la presse de la présidente de l'Assemblée nationale Jeanine Mabunda Lioko, au sortir de l'audience entre le président de la République et les deux présidents du Parlement à N'sele (commune de Kinshasa), le 14 avril dernier, où elle affirmera qu'"il faut regarder de l'avant. Au moment où la population autour du chef de l'État, autour des institutions, des élus de la République cherchent les meilleures mesures pour protéger nos populations, je crois que ce ne sont pas nos batailles politiques qui doivent nous distraire. Il faut voir ensemble comment nous allons avancer". Ton similaire du côté de la présidence de la République comme on peut le lire dans le compte-rendu du dernier Conseil des ministres du gouvernement en audio conférence : "concernant sa rencontre du 14 avril dernier, avec les présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale, le chef de l'État a indiqué qu'elle rentrait dans le cadre des consultations normales qu'il mène en rapport avec les implications législatives de la déclaration de l'État d'urgence sanitaire. Il s'est réjoui de la convergence des vues qui s'est dégagée entre lui-même et ses interlocuteurs sur le sujet abordé".
Le scénario idéal pour le congrès
Cette accalmie institutionnelle constatée devrait donc permettre une probable propagation de l'État d'urgence sanitaire dans un climat de sérénité entre les différentes institutions nationales impliquées dans ce processus qui se voudrait diligent au vu du timing serré avant la prochaine expiration. Le scénario idéal serait donc que sur pied de l'article 144 alinéa 5, le président de la République saisisse par lettre, dans les heures qui suivent, les deux présidents du Parlement pour obtenir l'autorisation de prorogation de l'État d'urgence pour une période de 15 jours.
Les deux chambres dûment saisies se réuniront donc urgent en congrès, conformément au règlement d'ordre intérieur dudit congrès en son article 36 qui stipule que "le congrès saisi par le président de la République autorise lorsqu'il s'agit de la prorogation de l'État d'urgence ou l'État de siège, à la majorité des deux tiers de ses membres". Ce congrès procédera ainsi au vote d'une résolution d'autorisation de prorogation qui sera transmise au président de la République par courrier, qui permettra au chef de l'État de signer dans la foulée, l'ordonnance portant prorogation de la durée de l'État d'urgence sanitaire.
Du côté des dispositions pratiques, les échos du peuple, siège des institutions parlementaires signalent que depuis ce vendredi 17 avril 2020, après 4 jours des travaux de désinfection, dératisation et de décontamination, le ministre de l'environnement et développement durable, Claude Nyamugabo a procédé à la remise des clés du bâtiment au questeur adjoint du Sénat et celui de l'Assemblée nationale en affirmant que "les conditions sont réunies, le bâtiment est sain aujourd'hui, les élus du peuple peuvent reprendre le travail ainsi que les fonctionnaires de l'Assemblée nationale et du Sénat, le tout dans le respect des règles sanitaires en vigueur pendant cette période".
Le décor est ainsi planté pour que les élus de la République jouent leur partition dans l'État d'urgence sanitaire actuel, au regard de leurs prérogatives constitutionnelles.
Alphonse Muderwa