1. Au regard de la constitution
La constitution congolaise délimite de manière exhaustive, les matières qui sont d’un côté de la compétence exclusive du pouvoir central et de l’autre côté celles qui sont de la compétence exclusive des provinces, puis celles qui sont de la compétence concurrente des deux.
L’article 202 al1.3 de la constitution stipule :
« Sans préjudice des autres dispositions de la présente Constitution, les matières suivantes sont de la compétence exclusive du pouvoir central :
… la nationalité, le statut et la police des étrangers »
La police des étrangers qui signifie l’accès, le séjour et l’établissement des étrangers sur tout le territoire de la RDC, reste de la compétence exclusive de l’autorité centrale.
L’article 204 al 1.27 de la constitution stipule :
« Sans préjudice des autres dispositions de la présente Constitution, les matières suivantes sont de la compétence exclusive des provinces : …
l’exécution des mesures du droit de résidence et d’établissement des étrangers, conformément à la loi ; »
Les provinces doivent pouvoir prendre toutes les mesures utiles pour permettre à tout étranger remplissant les conditions légales de pouvoir séjourner sur son territoire.
L’article 3 al1 du décret-loi no. 002/2003 du 11 janvier 2003 portant création et organisation de la Direction Générale de Migration stipule :
« Sous réserve d’autres missions lui conférées ou à lui conférer par des textes particuliers, la Direction Générale de Migration ( DGM) est chargée de questions ayant trait a. :
o L’exécution de la politique du Gouvernement en matièred’immigration et d’émigration… »
C’est la DGM qui est le seul organe habilité ou délégué par le pouvoir central de mettre en place cette police des étrangers.
Quid de l’identification des étrangers ?
L’identification des étrangers symbolisel’enregistrement de ceux-ci dans un fichier central ou registre national qui est géré par le pouvoir central, sur base de sa compétence exclusive en matière d’accès, de séjour et d’établissement des étrangers sur le territoire de la RDC.
Le décret n° 011/48 du 3 décembre 2011 portant création et fixation des statuts d’un etablissement public dénommé « Office National d’Identification de la Population », « ONIP » en sigle lui confie la charge de :
• la constitution et l’entretien du fichier général de la population ;
• la délivrance de la carte d’identité nationale et d’autres imprimés produits à partir de la base de données du fichier général de la population.
Selon l’article 22 de ce même décret, l’ONIP est placé sous la tutelle du ministre ayant l’intérieur dans ses attributions. Nul n’est besoin de rappeler qu’il s’agit uniquement du ministre de l’intérieur national !!!.
La mission de l’ONIP consiste à identifier toute la population qui réside sur le territoire de la RDC sans distinction de nationalité pour aboutir à créer ce fichier général ou national et délivrer des cartes d’identité.
En matière de protection des données à caractère personnel, on dira que l’ONIP est l’autorité responsable de la collecte et sauvegarde des données à caractère personnel de ceux qui sont enregistrés. De ce fait, il doit prendre des mesures techniques et de sécurisation appropriées.
Existe -t-il une compétence concurrente entre l’autorité centrale et provinciale dans la délivrance des cartes d’identité ?
A la lecture des dispositions ci-dessus, l’ONIP est seul compétent à délivrer la carte d’identité. Ceci sejustifie par le fait qu’elle est la seule autorité compétente habilitée à détenir le fichier général.
Mais la mise en exécution de cette délivrance est de la compétence exclusive de l’autorité provinciale. Ceci implique que pour tout étranger autorisé à résider en RDC, c’est l’autorité provinciale du lieu de sa résidence qui jouera le rôle d’exécutant dans la délivrance de cette carte.
La mise en exécution tel que libellé dans l’article 203 al1.27 doit être comprise comme la matérialisation en aval de la délivrance de la carte d’identité après un travail d’identification en amont dans le fichier général ou fichier central de l’étranger et pas l’inverse.
Lorsque l’autorité centrale identifie l’étranger et qu’elle estime que celui-ci a un droit de résidence en RDC, elle lui confère un negotium, càd ce droit de résidence, mais la matérialisation de ce droit est constaté par la délivrance d’une carte d’identité qu’on appelle instrumentum.
La seule compétence de l’autorité provinciale se limite à la délivrance de l’instrumentum, selon les conditions de résidence fixées par l’autorité centrale, par exemple : un titre de séjour à durée limité, à durée illimitée,…
L’autorité provinciale peut décider de délivrer cette carte d’identité à l’étranger selon les modalités pratiques qu’elle aurait elle-même fixé. Elle peut donc décider que l’étranger qui est déjà identifié dans le fichier national puisse se faire établir sa carted’identité dans une administration communale bien précise de sa province.
A la lecture de ce qui précède, le gouverneur de la ville province de Kinshasa n’est pas habilité à statuer sur l’établissement de l’étranger sur son territoire car il s’agit d’une matière qui est de la compétence exclusive du pouvoir central selon l’article 202 al1.3 de la constitution.
Par ailleurs, il y a lieu de se demander sur quel fichier le gouverneur va inscrire les étrangers ? Va-t- il créer une catégorie des étrangers résidants dans sa province différente de ceux qui résident partout ailleurs sur le territoire de la RDC ? N’y a-t-il pas risque de tomber dans la discrimination prohibée par la lecture combinée des articles 12, 30 et 32 de la constitution.
Une autorité provinciale ne peut pas de manière unilatérale faire bénéficier un avantage, en l’occurrence, une carte d’identité à une catégorie des étrangers et exclure les autres parce qu’ils se trouvent dans une autre province.
Dans le même ordre d’idées, l’article 63 al 3 de la constitution stipule :
«… toute autorité nationale, provinciale, locale et coutumière a le devoir de sauvegarder l’unité de la République et l’intégrité de son territoire, sous peine de haute trahison… ».
Ainsi donc, en instaurant une carte de résidence des étrangers uniquement pour une province de la RDC, il y a risque de porter atteinte à l’unité de la République et la cohésion entre l’autorité centrale et les autorités provinciales.
2. Au regard du droit administratif
Il faut souligner qu’il y a nécessité pour un étranger qui remplit les conditions d’accès et de résidence en RDC, d’avoir une existence administrative.
L’existence administrative consiste à son enregistrement dans le fichier national. L’étranger ainsi inscrit administrativement aura des droits mais aussi des obligations à remplir.
Force est de constater qu’à défaut d’un fichier national, les étrangers en RDC ne sont enregistrésque dans le fichier de la DGM ( Direction générale de Migration).
Par ailleurs, la matérialisation d’une existence administrative peut être concrétisée par la délivrance d’une carte d’identité.
La délivrance d’une carte d’identité étant un acte administratif, elle doit respecter toute la procédure administrative requise.
Ainsi donc, la question doit être posée sur le fondement juridique d’une décision d’un gouverneurde délivrer unilatéralement cette carte d’identité.
Quel est l’acte générateur de droit ?
Est-ce une instruction verbale ou écrite ? Est-ce une ordonnance ? Est-ce un arrêté provincial ?
Nul besoin de rappeler que tout acte administratif pris par une autorité administrative doit remplir les conditions de sa publicité afin de permettre sa prise de connaissance.
Le gouverneur de la ville province de Kinshasadevrait préciser le fondement juridique de sa décision.
Il faut rappeler que la loi organique n° 16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l'ordre administratif confère au conseil d’état en RDC le pouvoir d’annuler ou suspendre tout acte administratif irrégulier ou illégal.
Pour éviter que sa décision soit annulée pour excès de pouvoir, nous pensons qu’il aurait été plus prudent au gouverneur de la ville avant de prendre cette décision de délivrance de carte d’identité pour les étrangers qui sont sur son territoire, de demanderl’avis du conseil d’état.
C’est aussi l’état de droit !!!
D.Tshibuabua Mbuyi
Avocat aux barreaux de Bruxelles, Kinshasa-Gombe et Kananga.