Mauvaise élève au vu du déficit constaté dans son chef de par plusieurs récriminations enregistrées pour l’observation de la réglementation donnant accès aux 3 T (Tungstène, étain, tantale) sur le marché international, la Société Minière de Bisunzu (SMB) vient de franchir le Rubicon en claquant la porte du système de traçabilité ITSCI. La raison des coûts de plus en plus élevés liés à ce système est plus perçu comme un faux-fuyant dans la mesure où cette entreprise - qui exploite depuis des années l’ilot lui octroyé dans la concession de SAKIMA dans le Masisi - a vu, entretemps, sa production croître au point de se prévaloir N°1 du coltan dans le Nord-Kivu parallèlement au compteur de ses incidents face au devoir de diligence qui est désormais en marche. Et le fait de vouloir basculer vers des mécanismes plus rémunérateurs en place dans les pays voisins cache mal non seulement les inquiétudes d’une entreprise en mal de tenir le monopole face à la concurrence qui s’installe peu à peu, de se délester des incidents pour être réellement en phase avec la réglementation, mais aussi son intention de se soustraire au contrôle en RDCongo. Une attitude qui doit, à tout le moins, interpeller aussi bien l’Américaine AVX Corpotation, utilisatrice des minerais exploités par la SMB et dont la réputation du code de bonne conduite n’appelle aucune équivoque en la matière, et le Gouvernement congolais au regard de la déclaration du Président Félix Tshisekedi selon laquelle « le bien-être de chaque congolais est le garant d’une bonne gestion de nos ressources naturelles ».
Les droits de fait acquis par la Société Minière de Bisunzu (SMB) pendant la rébellion pour l’exploitation des minerais stannifères dans la concession de SAKIMA à Rubaya, dans le Masisi (Nord-kivu), ont été officialisés en rapport avec l’Accord Global et Inclusif de Sun City dont l’une des conséquences aura été le maintien en l’état de certains engagements antérieurs. Dans cette optique, la SMB s’est vue octroyer un ilot de 32 carrés dans la concession de SAKIMA évaluée à 360 carrés, sous le PE 4731. De quelques tonnes à ses débuts, cette entreprise dépasse présentement la centaine de tonnes le mois, devenant ainsi championne du coltan en RDCongo.
Entretemps, à l’instar du diamant de sang, le commerce du coltan, prisé dans les industries électroniques et aéronautiques, a connu des restrictions à la suite de la législation Dodd Frank de 2010 obligeant toutes les entreprises américaines cotées à Wall Street de vérifier leurs chaînes d'approvisionnement et de prouver dans un rapport que leurs minerais étaient « libres de conflit ». Des initiatives visant à éradiquer les minerais de conflit ou soutenant la formalisation du secteur minier se sont ainsi bousculées au point qu’il en est résulté l’adoption du Guide OCDE sur le devoir de diligence. Celui-ci demande aux entreprises de prendre des mesures pour vérifier que les minerais qu’elles achètent ne profitent pas aux groupes armés, ni ne contribuent à des violations des droits humains. Et dans la foulée, la certification ITSCI a été introduite à l’instigation de International Tin Association LTD (ITA LTD), autrefois ITRI LTD. Il s'agit d'un système de mise en sachet et d'étiquetage des métaux, conçu pour garantir que les minerais en question sont sans lien avec les conflits, le travail des enfants ou d'autres formes de violations des droits de l'homme répertoriées. Regorgeant des mines importantes de coltan, objet de convoitise sur le plan international, la RDCongo n’est pas restée en marge de cette initiative. Elle a, de ce fait, signé un protocole d’accord avec l’ITRI LTD. Conséquence : les entreprises à travers le monde ont continué à utiliser les minerais de la RDCongo, tout comme ceux des pays voisins en l’occurrence le Burundi, le Rwanda et l'Ouganda.
Coup de poker
Pendant que la RDCongo peine à faire appliquer le nouveau code minier afin de faire profiter au pays le prix rémunérateur, la SMB jette le pavé dans la marre. Dans une lettre datée du 13 décembre 2018, son Directeur général Benjamin Ngamije Mwanga Chuchu fait savoir au Ministre national des Mines Martin Kabwelulu la décision de quitter, moyennant un préavis de 30 jours, l’ITSCI. Suite, bien entendu, à l’incapacité de son entreprise de faire face aux coûts de plus en plus élevés des frais de traçabilité y relatifs. Et de noter que la SMB – attachée de manière indéfectible à la mise en œuvre de la traçabilité et à l’exercice du devoir de diligence – entendait ainsi migrer vers un autre système de traçabilité. Selon Jean Malic Kalima, Président de l'Association des mines du Rwanda (Rwanda Mining Association) à Reuters, les coûts de l'ITSCI s'élèvent entre 130 et 180 dollars par tonne en fonction du minerai.
Dans la profession, la décision de la SMB est perçue comme un prétexte qui traduit son inquiétude depuis qu’il est formellement établi que plusieurs incidents documentés en porte-à-faux avec le devoir de diligence émaillent sa production. Les correspondances des coopératives minières portant dénonciation de ces incidents adressées aux autorités nationales et provinciales ainsi qu’au Chef du projet ITSCI en RDC basé à Goma, même à ceux du Rwanda et du Burundi, de nombreuses plaintes contre la SMB devant la justice, voire des jugements condamnant la société et son Directeur gérant ou les déboutant de leurs chefs d’accusation à l’endroit d’autres exploitants en font foi.
En date du 05 octobre 2017, par exemple, le Président de la Coopérative des Exploitants Miniers de Masisi (COOPERAMA), M. Robert Habinshuti Seninga, a adressé une lettre listant les abus de la SMB en rapport avec le devoir de diligence au Chef du projet ITSCI en RDC, dont copies notamment au Ministre national des Mines et à l’OCDE. C’est le cas, entre autres, de la fusillade de la police à l’instigation d’un agent de la SMB sur des cantonniers avec mort d’homme (29 juin 2016) dans la localité de Luwowo (près de Bisunzu) ; le recours aux éléments de l’auditorat militaire pour la destruction méchante des dépôts d’étiquetage des minerais à Rubaya appartenant à des opérateurs miniers artisanaux (12/01/2016) à la suite de la revendication de leurs minerais pillés ; le désintéressement avec retard allant jusqu’à trois mois des fournisseurs, ce qui a conduit certains d’entre eux à la faillite ; la surmilitarisation de la chaine d’approvisionnement à Masisi avec son lot de tracasseries dans les carrières, d’extorsions et d’arrestations ; la menace de déguerpissement de la population sans contrepartie ; la sous-évaluation des minerais, l’exportation des minerais sans transaction préalable avec des fournisseurs, etc. En mai 2017, Mme Brigitte Gakuru Urara, pour ne citer qu’elle, a saisi le Procureur général près la Cour d’appel du Nord-Kivu, par le biais de son conseil, pour s’opposer à l’exportation, sans son consentement, de 6 tonnes de minerais lui appartenant enfûtés dans le lot 120 par la SMB. Son Directeur gérant Benjamin Ngamije Mwanga Chuchu a été condammé le 28 juillet 2018 à trois ans de servitude pénale principale par le Tribunal de paix de Goma pour dénonciation calomnieuse contre la personne de M. Mouzon Kavutse Mutund, Directeur Nord-Kivu CDMC, entité de traitement, accusé de vol et recel des minerais qui appartiendraient à la SMB. Ce qui n’est pas moins une tentative d’extorsion des minerais. Et des sources du Ministère des Mines à Kinshasa de renchérir en soulignant que cette société, qui avait affiché la vocation industrielle, est demeurée dans la production artisanale avec des « acquisitions hypothétiques ».
Ces incidents, dont la liste n’est pas exhaustive, témoignent à suffisance de la violation du devoir de diligence de l’OCDE par la SMB. Ils sont tellement flagrants que pour continuer à bénéficier de l’accès sur le marché international, l’opérateur minier est à la recherche des voies et moyens pouvant le blanchir en se délestant des abus et incidents commis dans sa chaine de production eu égard au devoir de diligence garanti par le système de traçabilité ITSCI. Ce n’est nullement pour des raisons du prix élevé de ce programme, dit-on dans la profession, que la SMB voudrait le quitter. Et au-delà de ces prétendus frais de traçabilité, il est à se demander si la SMB n’entend pas se soustraire au contrôle en RDCongo pour s’orienter vers des horizons enchanteurs.
Par ailleurs, il se raconte que l’opérateur minier digère mal la concurrence qui s’installe et qui, à coup sûr, va le détrôner comme grand producteur du coltan dans le Nord-Kivu. D’où elle ne lésine pas en initiatives.
AVX et le Gouvernement congolais interpellés
Le coup de poker de la SMB remet sur le tapis sa conduite peu orthodoxe eu égard au devoir de diligence. L’Américaine AVX Corporation- utilisatrice du coltan notamment de la SMB et fournisseur des consommateurs finaux tels Apple et Intel - se trouve ainsi interpellée par rapport à une pratique qui ne heurte pas moins son code en la matière dont la réputation n’appelle aucun commentaire. Point de doute, les faits révélés ci haut attestent que l’activité de la SMB est caractérisée par des violations des droits humains, l’insolvabilité, l’extorsion des minerais exportés sans en avoir payé au préalable le prix, du reste non équitable, aux négociants, la corruption et le trafic d’influence pour tenter de garder le monopole sur les minerais de Masisi, l’usage des éléments des Forces armées de la RDC pour intimider la population ainsi que les négociants dans le Masisi, l’empiètement de la concession de la SAKIMA, les fausses accusations et allégations de vol des minerais dans sa concession par d’autres opérateurs miniers. Bref, cette entreprise – qui n’a aucun engagement social envers les populations riveraines de ses concessions - est au cœur de beaucoup de controverses et d’abus après s’être enrichie sur le dos de la population, des exploitants artisanaux miniers, des négociants, voire de l’Etat congolais, propriétaire de la SAKIMA.
Cette situation devrait interpeller l’Américaine AVX qui a un contrat exclusif avec SMB. D’autant que les minerais de Masisi sèment la désolation dans cette partie du Nord-Kivu en lieu et place de donner de l’espoir aux populations. La même interpellation vaut pour le Gouvernement congolais, dont le nouveau Président de la République Félix Tshisekedi a déclaré dans son discours d’investiture que « le bien-être de chaque congolais est le garant d’une bonne gestion de nos ressources naturelles ».
Lucien Paluku