Des experts proposent un marché transnational du carbone pour résoudre le défi climatique

Vendredi 17 octobre 2014 - 10:50

Le Bengladesh est un des pays les moins émetteurs en Co2 par habitant, mais le plus frappé par le changement climatique. La Chaire Économie du Climat propose que les pays dont les émissions par habitant excèdent la moyenne mondiale règlent la note de leur surplus aux pays les plus sobres. Un projet simple, mais ambitieux.

« Quand on parle de Paris Climat 2015, tout le monde dit qu’il faut un accord crédible et ambitieux…certes, mais que mettre à l’intérieur ? ».

C’est partant de ce constat que la Chaire Économie du Climat, qui fait partie de l'Université Paris Dauphine, a décidé de mettre une proposition concrète sur la table : celle d’un système de bonus-malus international sur le carbone.

L’idée étant de faire payer aux pays les plus émetteurs de carbone une taxe sur leur « trop-plein », c’est-à-dire sur le C02 émis en surplus de la moyenne mondiale.

Chaque habitant de la planète émet aujourd’hui en moyenne 6,3 tonnes de Co2 par habitant et par an, mais ce chiffre cache de fortes disparités : 0,8 tonnes pour un Bangladais, mais 21 tonnes pour un Américain.

Responsabilité commune mais différenciée

« Il faut reconsidérer le principe de responsabilité commune mais différenciée sur le climat, sur lequel le protocole de Kyoto a été construit. C’est ce principe qui a pourri les négociations en induisant une interprétation binaire » assure Christian de Perthuis, président du conseil scientifique de la Chaire.

Dans le cadre du protocole de Kyoto, certains pays considérés comme les pollueurs historiques ont été classés dans l’Annexe I, comme l’Europe, les États-Unis et le Japon, alors que l’Annexe II accueillait les émergents et les pays en développement.

Cette distinction manichéenne a eu des effets pervers : les responsables des émissions passées ont été montrés du doigt, sans que les transferts Nord–Sud de 100 milliards d’euros évoqués à Copenhague ne se concrétisent.

Et entre-temps, le paysage s’est complexifié  : la Chine émet aujourd’hui quasiment autant de CO2 par habitant que l’Europe par exemple.

Sauver le marché du carbone européen

Pour le marché du carbone européen, actuellement en déshérence, ce système pourrait représenter une porte de sortie.
« L’Europe a toujours été moteur, certes…mais quand on voit ce qu’il se passe en Chine, où  des expériences de marché du carbone portent déjà sur des régions de 300 millions d’habitants, on comprend que l’Europe va rapidement être dépassée sur le sujet » assure Pierre-André Jouvet, le directeur scientifique.

La création d’un marché du carbone international permettrait en revanche au mécanisme européen de sortir de l’ornière. Car malgré ses nombreux déboires, le marché du carbone européen a fait des émules : il existe aujourd’hui des exemples aux États-Unis et en Chine.

Les relier permettra d’assigner une valeur au carbone, un but qui fait aujourd’hui consensus chez les experts du climat et les militants écologistes. Mais dans les faits,  émettre du dioxyde du carbone reste gratuit dans une majorité de pays, ce qui entraîne une course effrénée aux énergies fossiles.

Les émissions de Co2 n’ont jamais autant progressé qu’entre 2000 et 2010. « Si l’on veut rectifier la trajectoire, il n’y a pas de mystère : il faut mettre un prix au carbone avant 2020 » assurent les auteurs du projet.

Problème de gouvernance

Un des intérêts de ce mécanisme de bonus-malus, destiné à terme à mettre en place un marché du carbone transnational, serait d’instaurer une gouvernance effective du carbone.

« Tous les marchés du carbone ont souffert de problèmes de gouvernance, il faut établir un système commun de MRV (monitoring, reporting, verification) » assurent les auteurs du projet. L'UNFCCC, le bras armé de l'ONU sur le climat, serait chargé d'organiser le mécanisme, tandis que les financements qui en seraient issus seraient gérés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.

Transférer 100 milliards de dollars du Nord au Sud

Car ce nouveau mécanisme entraînerait des transferts massifs entre les pays du Nord et ceux du Sud. A titre comparatif, le Mécanisme de Développement Propre prévu dans le cadre du protocole de Kyoto n'a entraîné que 300 millions d'euros de transferts du Nord vers le Sud, et se trouve actuellement au point mort.

En pratique, l’idée est de démarrer avec un prix théorique de la tonne de CO2 à 7,5 dollars, ce qui est grosso modo le prix du carbone aujourd’hui sur le marché européen (6 euros la tonne).

À ce prix, les États-Unis devraient par exemple payer 34 milliards d’euros par an pour financer leur surplus carbone, la Chine aurait de son côté une addition de 15 milliards, et l’UE de 10 milliards. À l’inverse, l’Inde recevrait l’essentiel de cette manne (38 milliards d’euros).

La tarification initiale du carbone serait volontairement faible, pour faciliter l’acceptation du mécanisme, l’important étant de mettre en place un marché transnational.

Parmi les contributeurs potentiels, deux acteurs sont identifiés par la Chaire comme clés : les pays producteurs de pétrole, et la Chine.

« Si la Chine soutient le projet, il sera difficile pour les autres blocs, notamment les États-Unis, de dire non  » assure Christian de Perthuis qui estime que « les clés d’un accord sur le climat sont en Chine »

Pour l’heure, ce projet de bonus-malus international n’a pas de soutien étatique officiel. Mais ses auteurs estiment qu'ils bénéficient d'un atout majeur. «L’intérêt de ce système, c’est qu’il est simple : tous les politiques peuvent le comprendre. Ce qui n’est pas le cas des mécanismes actuels, notamment le marché du carbone européen ! », relève Christian de Perthuis.

 

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