Et si la RDC n’était pas ce gigantesque réservoir de coltan- jusqu’à 80% des réserves mondiales- tel que présenté dans les médias par…certains «experts».
Foi d’expert, la RDC regorgerait en ces jours moins de 10.000 t de coltan. La RDC ne peut seulement se prévaloir d’avoir pensé, imaginé ce néologisme « coltan ». Quant au reste, le pays ne gagne que du menu fretin dans l’exploitation du…tantalite. Quant à la colombite, les comptoirs ont opté de leurrer, le CEEC semble dorer la pilule. (…). Le hasard de NTIC a rapproché notre rédacteur, Pold Levi, à un expert qui fait unanimité, Léonide Mupepele. Lecture.
Lorsqu’il m’a été demandé d’écrire ce papier, je n’ai eu qu’une appréhension : celle de tomber dans les redites par rapport à ce qui a déjà été écrit sur le coltan dans mon livre « L’industrie Minérale Congolaise : Chiffres et Défis », paru en novembre 2012. Aussi, vais-je tenter, dans les lignes qui suivent, de cerner un aspect de l’industrie minérale congolaise que j’ai pourtant promis de traiter au nombre des sujets réservés au second tome : les défis liés à l’industrie congolaise du coltan d’aujourd’hui. Néanmoins, avant d’entrer dans le vif de notre sujet, il n’est pas superflu de revenir sur quelques informations utiles, histoire de planter le décor par rapport à notre propos de ce jour.
Rappelons d’abord que le mot « coltan », aujourd’hui d’usage courant dans presque toutes les
langues du monde, est d’origine congolaise. Il s’agit de l’abréviation de « colombo-tantalite »,
jugé trop long, utilisé par les Ingénieurs de la défunte SOMINKI, une société qui a exploité les mines de cassitérite et d’or dans l’ex-Kivu jusqu’en 1996.
Le coltan est donc un minéral mixte de colombite et de tantalite, associées dans la formule
chimique : (Fe,Mn)O.(Ta,Nb)2O5.
De la tantalite, on extrait le tantale, une appellation qui n’est pas sans rappeler le héros de la mythologie grecque, condamné au triple supplice, Tantale, évoquant ainsi la difficulté qu’éprouvèrent les scientifiques à l’isoler de la particule sœur : la colombite. Cette dernière, quant à elle, génère le colombium, connu aujourd’hui sous le nom de niobium. L’appellation « colombium », du nom d’un des Etats des USA, Columbia, devenu aujourd’hui le Connecticut, où il a été isolé pour la première fois, est tombée, à ces jours, en
désuétude. Quant à l’appellation « niobium », elle vient de Niobé, fille de Tantale (mythologie
grecque).
Rappelons aussi que tantale et niobium sont deux métaux qui présentent des propriétés physiques et chimiques similaires : très résistants à la corrosion, hautement réfractaires et bons conducteurs de chaleur. Pour cette raison, ils sont notamment exploités pour l’élaboration des aciers spéciaux ainsi que des superalliages qui sont utilisés dans les milieux chimiques ou thermiques très exigeants : aubes des turbines des réacteurs d’avion et des turbines à gaz, réacteurs chimiques et nucléaires, transport des fluides corrosifs, échangeurs de chaleur, construction automobile ainsi que des fusées et des satellites. On raconte d’ailleurs que la fusée qui amena les premiers hommes à la Lune, Apollo 11, serait constituée à 60 % de niobium !!!
Mais le tantale a une particularité que n’a pas le niobium : c’est le fait qu’il soit abondamment
utilisé de nos jours dans l’électronique, sous forme de métal ou d’oxyde pur, notamment dans la fabrication des condensateurs très performants et miniaturisés qui entrent dans la fabrication des téléphones cellulaires, des ordinateurs portables et de nombreux consoles électroniques, etc. Ce qui explique le boom de son prix depuis une quinzaine d’années sur le marché boursier.
En RD Congo, le coltan est presque toujours associé à la cassitérite, et plus rarement à l’or et à l’ilménite, mais dans un environnement où des gisements de cassitérite sont toujours à
proximité. De ce fait, il se retrouve exclusivement dans la ceinture stannifère qui va du Nord-
Kivu au Nord-Katanga, en passant par le Sud-Kivu, le Maniema, le district de Manono ainsi que celui de Mitwaba. Il est par conséquent vain de rechercher du coltan en dehors de ce couloir de l’Est du pays, qui est long de 700 km environ et large de 250 km (avec un maximum de 400 Km atteint au Sud-Kivu et au Maniema). Les grains noirs, de teint mat, avec des éclats étincelants,
qu’on présente dans les provinces de l’Ouest de la RD Congo comme du coltan, sont en fait des ilménites, un minerai de titane et de fer, dont le relatif enclavement de leurs gîtes actuels
explique l’absence d’intérêt économique au regard de leurs prix actuels sur le marché des
métaux : 260,8 USD/tonne en septembre 2013. Cette ilménite est généralement rencontrée
dans les exploitations de l’or et du diamant des provinces de l’Ouest. Signalons à ce sujet qu’à
Kinshasa particulièrement, il existe d’importants stocks d’ilménite, détenus par des particuliers qui tentent parfois de les écouler sur le marché local au titre du coltan. Beaucoup de braves gens se sont « fait » avoir dans ce négoce des dupes où d’énormes sommes d’argent sont parfois mises en jeu.
Ces quelques rappels ayant été faits, quels sont les défis qui, croyons-nous, se posent
aujourd’hui à l’industrie congolaise du coltan, dans un contexte économique extrêmement
favorable pour cette substance stratégique, qui a vu son prix prendre l’ascenseur en ces
derniers mois au point qu’elle a cessé d’être cotée depuis un certain temps sur les places
boursières mondiales ?
Le premier est celui lié à ses réserves. Tout le monde s’accorde aujourd’hui à attribuer à la RD
Congo les plus grosses réserves mondiales de coltan. Certains avancent même des chiffres : 60 à
80 % des réserves mondiales du coltan. Cette affirmation n’est peut-être pas fausse, mais elle
est gratuite, parce qu’elle ne repose sur aucune donnée chiffrée crédible des réserves
congolaises. Dans son bulletin annuel de 2013, « Mineral Commodities Summaries », l’US
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Geological Survey qui est l’organe mondial de référence en matière des ressources minérales,
évalue les réserves mondiales de tantale, à fin 2012, à 150 000 tonnes. Et c’est le Brésil, 88 000 tonnes, et l’Australie, 53 000 tonnes, qui détiennent l’essentiel de cette réserve mondiale tandis que les réserves de la RD Congo sont indiquées comme non connues. Et c’est à ce niveau qu’il faut s’interroger : comment peut-on affirmer allègrement que la RD Congo détient 60 à 80 % des réserves mondiales de coltan lorsqu’on se retrouve en véritable « terra incognita » en ce qui concerne les statistiques sur lesdites réserves ? Voilà comment, nous, congolais, dans ce domaine sensible des ressources minérales, nous nous contentons, le plus souvent, des affirmations gratuites du genre : « le sous-sol congolais est un scandale géologique » ou que « le sous-sol de la RD Congo pèserait 24 milles milliards USD », sans pour autant déployer le moindre effort pour vérifier par nous-mêmes ces allégations lénifiantes.
Dans notre ouvrage cité ci-avant, nous avons fait un réel effort en essayant de recouper les
données anciennes des sociétés minières ayant exploité les mines stannifères du pays, à savoir
SOMINKI et ZAIRETAIN, et nous sommes arrivés à un solde de 9 461 tonnes qu’on peut
raisonnablement opposer comme réserves congolaises de coltan à ces jours. Et l’on s’aperçoit
qu’à un tel niveau, la RD Congo ne peut aucunement se prévaloir, à ces jours, du titre de
premier réservoir de coltan au monde.
Les réserves congolaises de coltan peuvent être importantes et elles le sont assurément, mais le problème qui se pose est de savoir : combien ? 30, 60 ou 80 % des réserves mondiales ? Nul ne le sait. D’où le défi qui se pose à nous congolais : celui de nous documenter sur nos réserves de coltan. Et c’est là que nous rejoignons les préoccupations du Chef de l’Etat qui, dans ses
priorités rendues publiques lors de son discours de clôture des assises des Concertations
Nationales tenues en septembre dernier à Kinshasa, a notamment ciblé la reprise de la
recherche minière sur l’ensemble du territoire national. Il s’agit évidemment d’une démarche
de longue haleine qui devra mobiliser d’importants investissements en terme financier et
humain. Le Chef de l’Etat est, certes, le premier à en prendre conscience ! Mais beaucoup de
compatriotes s’imaginent encore qu’on obtient les réserves minières comme, à l’aide d’un
papier et d’un stylo, on procède au calcul d’une dérivée ou d’une intégrale alors qu’il s’agit
d’une entreprise qui requiert des gros travaux en termes d’investigation sur terrain notamment.
Le second défi de l’industrie congolaise du coltan se situe au niveau de la maximalisation des
recettes d’exportation de notre coltan. Actuellement, les Services Publics congolais impliqués
dans l’exportation des substances minérales valorisent à 22 USD/kg pour du coltan à 20 % de
Ta
2
O
5
, alors qu’il devait l’être, à ces jours, à au moins 70 USD/kg. Mais le plus grave n’est pas là,
puisqu’il ne s’agit que d’une erreur de sous-estimation qu’un protocole d’expertise bien conçu,
peut rapidement redresser au détour d’un exercice de calcul approprié. Le vrai problème se
trouve plutôt au niveau du fait que, systématiquement, on fait l’impasse sur la colombite
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contenue dans le coltan, alors que, dans cette substance, c’est généralement la particule
« colombite » qui dépasse en teneur. Cette colombite, non valorisée au niveau de nos
exportations, est pourtant revendue sous forme de « scraps » par nos acheteurs de coltan après
qu’ils en aient extrait le tantale. Lorsque l’on pose la question de la valorisation de la colombite
aux exportateurs du coltan congolais, en l’occurrence les comptoirs, ils répondent
invariablement que, pour leurs acheteurs, le coltan ne les intéresse que pour sa particule
« tantalite ». Mais que font-ils alors de la colombite, après extraction du tantale ? A moins
d’admettre que ce sont les comptoirs qui, en complicité avec leurs clients, occultent les recettes
de notre colombite, les protagonistes (l’Etat d’un côté et les comptoirs de coltan de l’autre)
gagneraient à étudier cette question en profondeur de manière à rétablir les uns et les autres
dans leurs droits. On notera que la tonne de scrap de niobium est valorisée actuellement entre
20 000 et 30 000 USD alors que les statistiques officielles du CEEC de trois dernières années
donnent à la RD Congo une capacité productive des mines artisanales du coltan d’environ 650
tonnes/an. On peut donc imaginer le manque à gagner pour l’Etat, consécutif d’abord à la sous-
évaluation actuelle de la particule tantalite et ensuite à l’évasion systématique de la colombite.
Une étude approfondie de ce problème mérite donc d’être conduite par des experts avertis de
ces questions pour notamment rétablir rapidement l’Etat dans ses droits.
Le troisième défi, on s’en doute, est celui de l’industrialisation de la filière stannifère.
Actuellement, toutes les substances de cette filière, exclusivement exploitées à l’Est du pays,
sont exportées sous forme de concentré.
Nous devons, bien entendu, apprécier, à leur juste valeur, les efforts du Ministère des Mines
qui a réussi à contraindre les comptoirs de l’Est à se doter de ce qu’il appelle « entités de
traitement » pour amener les teneurs de leurs concentrés en exportation à des niveaux
acceptables : 70 % au moins d’étain ou de WO
3
respectivement pour la cassitérite et la
wolframite ; et 60 % de pentoxydes (Ta
2
O
5
et Nb
2
O
5
) pour le coltan. Voulant prêcher par
l’exemple, le Ministère est allé jusqu’à faire construire à Bukavu, une Centrale d’Epuration des minerais stannifères dans l’enceinte du CRM, qui a pour vocation de fonctionner comme un comptoir d’Etat. Mais la démarche ne doit pas s’arrêter là. Pour rencontrer les priorités de l’Etat en cette matière, l’effort demandé actuellement aux exploitants miniers de la filière cuivre- cobalt au Katanga de ne plus exporter que des métaux purs à 99,99 %, devrait être étendu aux exportateurs des produits stannifères de l’Est. Bien sûr, comme au Katanga et partout ailleurs au Congo, l’industrie minière de l’Est butte à cet éternel problème de la carence d’énergie. En attendant la réalisation de nouveaux projets de construction des centrales électriques (Ruzizi III à Panzi à Bukavu, centrales thermiques à gaz (Lac Kivu), CHE Wanye-Rukula en Province Orientale dans sa version 700 Mw, etc.), des pistes de solution existent.
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Pour le Maniema notamment, la remise en service du troisième groupe à la CHE de
Lutshurukuru à Kalima rendrait disponibles au moins 2000 KVA, ce qui est nécessaire pour faire fonctionner une fonderie d’étain d’au moins 2 000 tonnes d’étain par an. C’est, certes, peu de choses par rapport à la capacité productive des mines artisanales de la région, de 13 à 16 000 tonnes de cassitérite/an, mais c’est un début dans la bonne direction.
Quant au coltan, ses faibles quantités, quelques centaines de tonnes par an, conjuguée à sa
valeur marchande élevée, opinent à envisager son traitement dans un grand centre industriel
comme Kinshasa où les questions d’énergie n’ont pas la même ampleur que dans la partie Est
du pays. Cette piste doit être creusée de façon sérieuse. L’aboutissement d’un tel projet
permettrait à notre pays de s’aménager une place au soleil dans le secteur des industries de
haute technologie de notre époque, en produisant notamment du tantale ou du niobium métal
ainsi que des oxydes purs nécessaires à la fabrication des composants de l’industrie
électronique de pointe. Et ainsi s’estomperait la problématique, soulevée dans le paragraphe
précédent, autour de la valorisation de la colombite contenue dans le coltan. Voilà pourquoi
nous avons toujours milité pour la création d’une cellule stratégique de l’industrie minérale
congolaise qui regrouperait quelques imminents techniciens congolais de la mine et qui aurait
pour but de concevoir et d’orienter les décisions politiques en matière d’industrialisation
minérale.
Léonide MUPEPELE
Ingénieur Civil Métallurgiste (1978)
Ingénieur des Mines (1985)