Les défaillances de la Monusco en République démocratique du Congo, les défis de la Minusma dans le nord du Mali... Sur tous ces problèmes et sur d’autres, comme le Burundi, le secrétaire général adjoint des Nations unies chargé des opérations de maintien de la paix, le Français Hervé Ladsous, s’exprime sur RFI. Depuis Addis-Abeba, où il est venu assister au 26ème sommet de l’Union africaine, le chef des casques bleus du monde entier répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : L’Union africaine a renoncé à envoyer une force africaine au Burundi à laquelle s’opposait le président Nkurunziza. Est-ce qu’on peut parler d’une victoire pour le régime burundais ?
Hervé Ladsous : Je ne crois pas qu’il faut poser le problème en ces termes. Ce qu’il faut surtout se poser comme question : quel doit être le processus politique qui va permettre de dépasser les problèmes actuels qui sont sérieux ? Donc je crois que c’est pour cette raison que l’Union africaine vient de décider d’envoyer cinq chefs d’Etat à Bujumbura pour voir avec le gouvernement burundais ce qui peut être fait, et notamment sur le plan de l’observation des droits de l’homme, car les violations y sont quand même graves.
Est-ce que vous craignez l’existence de fosses communes ?
On le dit à partir, semble-t-il, d’images satellitaires, mais c’est précisément le genre de choses que ces observateurs devront investiguer.
Au Sud-Soudan, les belligérants devaient former un gouvernement d’unité nationale, mais rien n’a été fait. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Moi j’observe d’abord que la population du Sud-Soudan a énormément souffert pendant presque quarante ans de guerre civile. Mais ce qu’elle vit depuis un peu plus de deux ans, c’est encore beaucoup plus dramatique. C’est deux millions, probablement, de personnes réfugiées à l’étranger ou déplacées dans le pays, c’est-à-dire presque un cinquième de la population ; c’est cinquante mille morts, peut-être davantage ; c’est des dizaines de milliers de femmes violées, des dizaines de milliers d’enfants recrutés de force dans les groupes armés ; et c’est dans les prochains mois probablement une famine. Il est donc absolument crucial que les responsables du Soudan du Sud, qui ont signé ces accords, s’engagent maintenant de manière volontariste dans leur mise en œuvre. Il y a du travail à faire sur le plan de la sécurité parce qu’il y a toujours des combats sporadiques dans le nord du pays, comme par hasard d’ailleurs dans les régions des puits de pétrole, n’est-ce pas, mais maintenant aussi dans des régions qui jusqu’à présent n’étaient pas affectées par la violence : le Bahr el-Ghazal, l’Equatoria de l’Ouest. Donc il faut vraiment que le processus politique qui est l’objet d’un accord, c’est-à-dire que la mise en place effective d’un gouvernement de transition et d’union nationale s’inscrive dans les faits, c’est-à-dire que les gens ont déjà désignés pour occuper les portefeuilles qui ont été répartis. Il faut que ce gouvernement se réunisse et qu’il commence à travailler. Il faut avancer, les gens souffrent trop.
En réalité, il apparaît que ni le président Salva Kiir ni le chef rebelle Riek Machar ne tiennent leurs troupes. Est-ce que ce n’est pas ça le principal problème ?
Il y a certainement une dimension de cet ordre, c’est-à-dire qu’il y a des factions, qu’il y a des sous-factions et qu’en plus, tous ces évènements dramatiques ont accentué les clivages entre groupes ethniques.
En Centrafrique, le premier tour de la présidentielle a eu lieu. En revanche, le premier tour des législatives a été annulé. Est-ce que cela vous inquiète ?
Oui, c’est un peu surprenant. Nous n’attendions pas cette décision, je parle des élections législatives parce qu’on a légué beaucoup d’irrégularités, sans doute y en a-t-il eues. C’est la décision de l’autorité nationale des élections centrafricaines. Je constate en tout cas que pour l’élection présidentielle, le premier tour s’est passé convenablement. Il n’y a pas eu d’incident sécuritaire très significatif.
Il y a eu des contestations ?
Oui, il y a eu des contestations.
Martin Ziguélé n’était pas d’accord avec la position qui lui a été donnée ?
Mais rien en tout cas qui soit de nature, semble-t-il, à remettre en cause le processus. Donc maintenant, le second tour est prévu pour le 14 février ; le premier tour des législatives sera couplé à ce scrutin. Et il ne faut plus perdre un jour parce que la transition, elle a un terme qui a été fixé par la médiation régionale sous la présidence du président Sassou-Nguesso. La transition s’arrête le 31 mars. Donc il faut que d’ici là, tout soit en place. Il n’y aura pas d’extension, il n’y aura pas de nouveaux glissements. Il faut maintenant absolument faire en sorte que le nouveau gouvernement, issu du scrutin, puisse fonctionner.
En République démocratique du Congo, il y a eu un massacre il y a quelques semaines à Miriki, au Nord-Kivu. Il y avait une position des casques bleus à seulement quelques centaines de mètres du village où les malheureux ont été tués. Est-ce que ce n’est pas encore le signe que la Monusco [Mission des Nations unies au Congo] accuse des défaillances ?
D’abord, nous sommes en train d’investiguer. Je souhaite que la lumière soit faite entièrement sur cette affaire et l’enquête est bien en cours.
Il y a des personnes qui ont été tuées par balle, donc il y a eu coups de feu. Donc nécessairement, les casques bleus qui étaient à quelques centaines de mètres les ont entendus ?
Sans doute. C’est l’un des éléments qu’il faut établir. Mais entendre un coup de feu et pouvoir intervenir, c’est deux choses différentes si l’accès est très difficile. Vous savez, les attaquants, ils font leur coup et ils disparaissent. Ils disparaissent dans une forêt qui est difficile à pénétrer.
De façon générale, est-ce que la Monusco n’a pas failli dans sa mission ?
Non. Je crois que nous avons eu des contretemps. Il y a eu pour un certain nombre de raisons la suspension partielle des opérations menées de concert avec les forces congolaises depuis un an. Mais la bonne nouvelle de ces jours-ci, c’est que le gouvernement congolais souhaite la reprise. Et la priorité absolue dans la période actuelle, c’est les ADF [Armée nationale de libération de l'Ouganda] qui ont commis trop d’horreurs au cours des six mois écoulés. Vous savez qu’ils ont des liens maintenant avérés avec les shebabs somaliens et ils importent des technologies, des modes opératoires qui sont tout simplement abominables.
Il y a un an, il y avait eu rupture entre l’Etat congolais et vous, la Monusco, parce que vous n’étiez pas satisfait de la nomination à la tête des forces congolaises de deux officiers soupçonnés de graves exactions contre les droits de l’homme. Où est-ce qu’on en est ?
C’est exact. Le problème est réglé. Je comprends que l’un des généraux fait l’objet de poursuites pour des activités antérieures, de poursuites congolaises. Quant à l’autre, il a été redéployé ailleurs. Voilà, le problème est réglé.
Au Sahel, il y a eu ces deux attentats terribles : à Bamako en novembre, à Ouagadougou en janvier, visiblement à partir de commandos venus du nord du Mali. Est-ce que ça ne pose pas le problème de la Minusma [Mission multidimensionnelle intégrée de l’ONU pour la stabilisation au Mali] ?
Pour nous, c’est un défi. Quand nous voyons qu’au nord du Mali, où je le note au passage, les forces françaises de Barkhane enregistrent des résultats tout à fait notables, mais néanmoins nous sommes attaqués à la mine, à l’explosif improvisé, voire les tirs de mortiers parfois ou de roquettes la nuit. Donc, c’est un défi permanent. Et c’est la raison pour laquelle, plus que jamais, il est important de progresser dans la mise en œuvre des accords qui ont été signés l’an dernier entre les principaux acteurs maliens. Et ce faisant, il nous faut le plus rapidement possible montrer que ces accords de paix engendrent des dividendes pour les populations. On a eu des évènements symboliques qui touchent les populations : la réouverture des écoles à Kidal, la reprise du service d’électricité dans plusieurs localités, l’administration se remet en place.
Et la réalité, est-ce que ce n’est pas le fait que les garnisons de la Minusma, vos troupes de la Minusma, n’osent plus sortir de leur caserne de peur de sauter sur une mine ou de tomber dans une embuscade ?
Non, ça n’est pas le cas et malheureusement, en moyenne, c’est tous les deux jours que nous avons un incident de ce genre. La différence avec l’an dernier, c’est que nous avions des morts, beaucoup de morts, trop de morts. Actuellement, et je touche du bois, il y a des destructions de matériels, des engins blindés qui sont passablement amochés. Mais nous n’avons pas de morts en nombre significatif. Il faut saluer le courage des casques bleus. Nous leur donnons du matériel de plus en plus performant. Depuis deux jours, nous avons au-dessus de Kidal un héliostat, c’est une espèce de ballon captif, auquel sont accrochée toute une série de capteurs optiques, thermiques, fonctionnant 24 heures sur 24, qui permettent d’observer dans un rayon de dix-quinze kilomètres tous les mouvements suspects, et le cas échéant d’agir en prévention. Donc les résultats concrets sont là.