LA BANQUE MONDIALE PLAIDE EN FAVEUR D'UNE TARIFICATION DU CARBONE ET D’INVESTISSEMENTS DANS LES OBLIGATIONS VERTES

Jeudi 29 janvier 2015 - 08:16

Lors du Forum économique mondiale de Davos, le président Jim Yong Kim a appelé à donner un signal-prix au carbone, avec l'obligation pour les entreprises de divulguer leur exposition aux risques climatiques, et à investir davantage dans les obligations vertes pour lutter contre le changement climatique.

« 2014 doit être l’année de l’action contre le changement climatique. Nous n'avons aucune excuse pour ne pas le faire », affirme Jim Yong Kim.

 Un nombre croissant de pays et d'entreprises tirent d'ores et déjà profit de l’opportunité économique que constitue la croissance verte.

Au sein des conseils d'administration des entreprises et dans les bureaux des PDG, la menace du changement climatique est déjà bien tangible. Pour des compagnies aussi diverses que Coca Cola et ExxonMobil, le changement climatique est un danger qui risque de perturber l'approvisionnement en eau et la chaîne logistique.

L'élévation du niveau des mers et les tempêtes de plus en plus violentes mettent en danger leurs infrastructures, et les coûts associés ne feront qu'augmenter.

Les dirigeants d’entreprise sont bien conscients de cela. Certains savent également que la réponse qu'ils apporteront aux enjeux du changement climatique constitue aussi pour eux une opportunité, et ils prennent les devants. Bien d'autres, en revanche, restent en retrait et attendent d'avoir plus de certitudes quant à l'action des États.

La semaine dernière, lors du Forum économique mondial de Davos, le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, a demandé aux responsables politiques d'en finir avec le statu quo et de mettre en place le cadre nécessaire.

Tout d'abord, en donnant un signal-prix au carbone et en faisant en sorte que les autorités de réglementation financière exigent des entreprises et des organismes financiers d'évaluer et de communiquer leur exposition aux risques climatiques.

Jim Yong Kim a également appelé à multiplier par deux le marché des obligations vertes, lesquelles appuient des projets d'atténuation du changement climatique et d'adaptation à ses effets. Ces projets portent sur les énergies renouvelables, l'efficacité énergétique et la réduction des émissions de carbone.

L'objectif est que le marché des obligations vertes atteigne 20 milliards de dollars cette année et 50 milliards de dollars d'ici à ce qu'un nouvel accord international sur le climat soit conclu à Paris en 2015.

Jim Yong Kim a pressé les investisseurs institutionnels d’accroître le volume des obligations vertes dans leurs portefeuilles et de se fixer des cibles chiffrées en la matière.

« Qu’il s’agisse des États ou du monde de l’entreprise, on a vu se former un véritable leadership autour du défi climatique. Mais les émissions restent en hausse et les plus pauvres en subissent les conséquences », note Jim Yong Kim. « 2014 doit être l’année de l’action contre le changement climatique. Nous n'avons aucune excuse pour ne pas le faire. »

Des coûts en hausse

L’inaction face au changement climatique entraîne des pertes exorbitantes, tant sur le plan humain qu’en matière d'investissements.

À l’échelle mondiale, les pertes et dommages liés au changement climatique (a) sont passés d'environ 50 milliards de dollars par an dans les années 1980 à près de 200 milliards de dollars au cours de la décennie écoulée. Il est donc crucial de promouvoir un développement à l'épreuve du changement climatique et des catastrophes naturelles.

Selon les estimations de la Banque mondiale, le changement climatique va faire augmenter de 25 à 30 % le coût du développement dans les pays les plus pauvres. Ses effets pourraient, dans un avenir proche, anéantir les gains de développement accumulés pendant des décennies et renvoyer des millions de personnes dans la pauvreté.

« Nous devons accompagner les pays les plus pauvres dans cette transition », insiste le président de la Banque mondiale.

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« Nous devons et nous pouvons réduire les risques associés aux investissements sobres en carbone, particulièrement dans les pays en développement : les institutions financières du développement peuvent mobiliser leurs capitaux pour réduire ces risques et favoriser de nouveaux investissements en faveur de la résilience au changement climatique », explique Jim Yong Kim.

Donner un prix au carbone, une équation à multiples inconnues

La tarification du carbone fait consensus en tant qu'outil de lutte contre le changement climatique. Mais à quel prix, et selon quelles modalités ? Les interrogations restent nombreuses.

Au Forum de Davos, François Hollande, Ban Ki-Moon ou encore Jim Yong Kim, le président de la Banque Mondiale ont tous insisté sur l’urgence de donner un prix au carbone. Les outils pour lutter contre le changement climatique ont largement évolué depuis une quinzaine d’années. Mais un consensus se dégage aujourd’hui autour de la tarification du gaz à effet de serre.

Au-delà du slogan, les avis restent partagés sur la façon de le faire. « A New-York au sommet de l’ONU au septembre, un vrai consensus s’est dégagé sur le prix du carbone ; mais il n’y a pas eu d’appel à faire émerger des marchés du carbone » constate Emilie Alberola, chef de pole recherche sur les marchés du carbone chez CDC Climat.

Les débuts difficiles du premier marché du carbone

Les marchés du carbone ont plutôt mauvaise presse auprès du grand public. A la COP 20 de Lima, c’est plutôt l’appel des tribus indigènes à ne pas développer de marchés de carbone, pour éviter la spéculation foncière qui nuit aux plus pauvres, qui a fait mouche. Et en Europe, la crédibilité du marché du carbone n’est pas au beau fixe.

Le marché du carbone a traversé de nombreuses tempêtes, y compris une fraude massive à la TVA, des vols de quotas, diverses arnaques de type Ponzi et des critiques provenant des environnementalistes. Il est aussi entré en concurrence avec les autres politiques énergétiques de l’UE, notamment le soutien massif aux énergies renouvelables, responsables de plus de la moitié des réductions d’émissions de CO2 depuis 2008.

Si le but du marché, qui était de réduire les émissions de gaz à effet de serre, a bien été atteint, sa propre contribution n’est pas évidente : d’aucuns attribuent le recul des émissions à la crise, d’autres aux panneaux solaires…

Si son évaluation est compliquée, le marché du carbone a toutefois des défenseurs.

« Le marché du carbone n’a pas dit son dernier mot : il représente une des façons de faire émerger un prix explicite, qu’il s’agisse de quota ou de taxe le mécanisme est proche. L’autre attitude consiste à faire émerger un prix implicite par le biais de nouvelles normes. Dans tous les cas, il faut savoir que l’efficacité de ces dispositifs n’est pas totale » reconnaît Emilie Alberola, responsable de la recherche sur le marché du carbone chez CDC Climat.

Une solution adoptée par la majorité

Au niveau international, l'idée du marché du carbone est aujourd’hui largement majoritaire, notamment parce que l’acceptabilité politique de nouvelles taxes est compliquée à mettre en place.

La Chine a ainsi mis en place pas moins de 6 marchés du carbone, une expérience qui porte déjà sur une population de plus de 300 millions de personnes ; la Corée du Sud vient de lancer son marché du carbone, et aux États-Unis deux marchés principaux sont en place, sur la côte Ouest et sur la côte Est.

Ce qui n’empêche pas certains gouvernements de mettre en place des taxes, en parallèle, comme c’est déjà le cas en Suède ou au Royaume-Uni, où elles permettent de sécuriser un prix minimal.

Réforme en cours en UE

« La réforme prend du temps, c’est vrai. Mais les derniers développements sont encourageants. Au Parlement européen, même  la commission Industrie, recherche et énergie ne s’oppose pas à la réduction programmée de l’offre de quotas » constate Juliette de Granpre, d’Oxfam à Berlin.

Jeudi 22 janvier 2015, les élus de la commission ITRE ont échoué à adopter une résolution commune sur la réforme du marché du carbone, alors que les élus allemands du Parti populaire européen votaient avec les Verts et les sociaux-démocrates pour avancer plus rapidement sur la question de la réserve de stabilité, un mécanisme destiné à retirer des quotas du marché devrait permettre au prix de la tonne de CO2 de remonter.

Au Parlement européen, la commission environnement (ENVI) qui doit se prononcer en février aura désormais les coudées franches pour sortir les quotas du marché à partir de 2017, et non pas 2021 ; un premier pas pour redresser le cours du carbone.

Le futur mode d’allocation des quotas, qui serait géré finement plutôt qu’une attribution globale pour trois ans, devrait aussi permettre d’éviter les erreurs de débutant qu’ont représenté les surallocations systématiques de quotas depuis 2005.

Le privé à la rescousse ?

Enfin, les initiatives privées destinées à donner un prix au carbone font partie de l’éventail d’outils en réflexion.

« Il est possible que les entreprises elles-mêmes prennent le sujet en main ; que l’approche tutélaire s’avère finalement la plus puissante. Celles qui parient sur un modèle décarboné et font des investissements en conséquence pourraient être récompensées sur le long terme » estime Emilie Alberola.

C’est un pari que certains sont prêts à prendre en l’absence de visibilité claire donnée par la règlementation, qui se reflète dans l'initiative entreprise par 73 Etats et 1000 entreprises sous l'égide de la Banque mondiale, et au sein de laquelle des entreprises comme Philips ou Unilever s'engagent à donner un prix au carbone au sein de leur business.

 

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