"Si on ne combat pas ce fleau, même les élections ne produiront pas de résultats escomptés", avertit le conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de bonne gouvernance.
"Lorsque nous avons une évasion évaluée entre 10 et 15 milliard USD par année et que le pays continue à disposer d’un budget de 8 milliards USD, il vaut mieux inverser la tendance pour que le fonds qui échappe au Trésor public soit moindre par rapport à celui que nous avons dans la caisse", recommande Luzolo Bambi.
Est-il aujourd’hui possible d’extirper de la République démocratique du Congo le virus de la corruption qui gangrène le tissu économique ? Quels sont les efforts amorcés jusque-là pour mettre un terme à l’impunité ? Qu’en est-il de la liste des présumés auteurs des détournements des deniers publics publiée il y a quelques mois ? C’est à cette série de questions que Luzolo Bambi, le conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de bonne gouvernance, de lutte contre la corruption, de détournement des fonds et de financement du terrorisme, a répondu récemment lors d’un entretien accordée à la presse locale.
Contacté à la veille de la Journée internationale de lutte contre la corruption, célébrée hier mercredi 9 décembre, le conseiller spécial de Joseph Kabila a profité de l’occasion pour dresser l’état des lieux de la corruption en RDC. De prime abord, Luzolo Bambi reconnait que la corruption est ’’l’un des maux les plus nuisibles de notre société’’. "Elle mine, selon lui, tous les efforts et constitue l’une des principales causes de la misère que traverse notre pays".
Tout en reconnaissant que "la part de fonds consacrée à la lutte contre la corruption n’est pas considérable en RDC", Luzolo Bambi décrie ’’le paradoxe de la taille de notre budget national par rapport à l’argent que nous perdons’’. "Lorsque nous avons une évasion évaluée entre 10 et 15 milliard USD par année et que le pays continue à disposer d’un budget de 8 milliards USD, il vaut mieux inverser la tendance pour que le fonds qui échappe au Trésor public soit moindre par rapport à celui que nous avons dans la caisse", recommande-t-il.
Le conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de bonne gouvernance refuse, par ailleurs, de se voiler la face face à une justice à double vitesse. "Ce n’est pas, dit-il, normal que nos prisons soient remplies des personnes et qu’il n’y ait pas parmi elles, celles qui soient condamnées pour corruption ! Il faut bien que des personnes qui détournent les deniers publics soient inquiétées. Si on ne combat pas la corruption, je pense que même les élections, dont l’organisation est appelée par nous tous, ne produiront pas des résultats escomptés. On peut faire des élections dix fois dans notre pays, mais si on ne lutte pas contre la corruption, le niveau de vie de la population ne changera pas".
"La RDC doit cesser d’être un cimetière des justes… Il est donc temps que nous arrêtions de faire la politique slogan. Et que de manière concrète, nous posions des actes significatifs de lutte contre la corruption", tranche-t-il tout en demandant aux Congolais de soutenir ’’la volonté du chef de l’Etat, qui a mis en place l’institution de lutte contre la corruption’’, convaincu qu’"on ne peut pas construire le pays en frustrant les personnes justes".
Ci-dessous l’intégralité de cette interview réalisée avec le concours de nos confrères du journal ’’Le Potentiel’’ et du quotidien ’’Le Phare’’.
En ce jour où le monde célèbre la journée internationale de lutte contre la corruption, quel message particulier comptez-vous adresser à la Nation ?
Luzolo Bambi : Mon message est clair : la corruption mine tous les efforts. Elle est l’une des principales causes de la misère que traverse notre pays. Il est temps que nous arrêtions de faire la politique slogan. Et que de manière concrète, nous posions des actes significatifs de lutte contre la corruption. J’en appelle au sens de la justice, parce que ce n’est pas normal que nos prisons soient remplies des personnes et qu’il n’y ait pas parmi elles, celles qui soient condamnées pour corruption. Aujourd’hui, dans nos prisons, on retrouve souvent des voleurs de portables et de chèvres. Il faut bien que des personnes qui détournent les deniers publics soient inquiétées. Par ailleurs, je souhaite que la volonté du chef de l’Etat - en mettant en place l’institution de lutte contre la corruption - puisse être soutenue, parce qu’on ne peut pas construire le pays en frustrant les personnes justes. Georges Clémesceau avait dit : "Le gouvernement a pour mission essentielle de faire en sorte que les bons citoyens vivent tranquillement et que les mauvais citoyens soient traqués". A l’occasion de l’installation de nouveaux magistrats il y a cinq ans, le chef de l’Etat leur avait dit ceci : "Soyez une assurance pour les faibles et un traumatisme permanent pour les criminels". Si on ne combat pas la corruption, je pense que même les élections, dont l’organisation est appelée par nous tous, ne produiront pas des résultats escomptés. On peut faire des élections dix fois dans notre pays, mais si on ne lutte pas contre la corruption, le niveau de vie de la population ne changera pas. En un mot, je souhaite que le Congo cesse d’être un cimetière des justes.
Où en est-on avec les actions que vous avez entreprises, neuf mois après votre nomination ?
Après mon point de presse de mars, mes services avaient déposé, au mois de juin dernier, un rapport au Parquet général de la République. Ce rapport, qui a été dûment déposé, met en cause un certain nombre des hauts fonctionnaires de l’Etat. La justice, après six mois, devrait rendre compte à la population. Mes services ont documenté le fait de corruption et de détournement des deniers publics. Et en partant du principe selon lequel personne n’est au dessus de la loi, nous attendons jusqu’à ce jour que la justice nous dise ce qu’il en est de ce dossier, parce que moi-même qui ai déposé le dossier et le peuple avons tous le droit de savoir ce qu’il en est. La justice est indépendante et elle juge au nom du peuple…
Y a-t-il aujourd’hui dans notre pays des condamnés pour corruption ?
De toutes les institutions que nous avons à la République, l’institution qui est appelée à redresser le pays, c’est la justice. Alors que tout le monde a la perception que la corruption est réelle dans notre pays, si vous circulez dans tous les prisons et cachots, j’ai bien peur que, sur toute l’étendue du Congo, on n’identifie pas plus de cinq condamnés pour corruption. Pour notre service, nous constituons une banque des données. Nous savons que les dossiers que nous documentons ont une valeur pénale de dix ans pour la prescription, et donc qu’il est possible que, par moment, les gens aient comme l’impression que nous ne travaillons pas. Qu’elles s’en remettent au droit pénal pour comprendre le sens technique des conséquences de l’interruption ou de suspension de la prescription, dès lors que nous posons les premiers actes.
Disposez-vous des moyens pour mener à bon port la mission que vous a confiée le chef de l’Etat ?
En ce jour mémorable où le monde se mobilise contre la corruption, je confirme les propos que j’avais tenus au mois de juin dernier en relevant le grand paradoxe qui nous suit jusqu’à ce jour. C’est le paradoxe de la taille de notre budget par rapport à l’argent que nous perdons. Lorsque nous avons une évasion évaluée entre 10 et 15 milliard USD par année et que le pays continue à disposer d’un budget de 8 milliards USD, il vaut mieux inverser la tendance pour que le fonds qui échappe au Trésor public soit moindre par rapport à celui que nous avons dans la caisse. Quant aux moyens, il appartient a d’autres institutions de pourvoir cette institution de moyens qu’il faut. A ce jour, la part reversée à la politique de lutte contre la corruption n’est pas considérable.
Selon le dernier rapport de Transparency international, la République démocratique du Congo occupe la 154ème position en matière de bonne gouvernance sur les 174 pays répertoriés. Comment interprétez-vous ce classement ?
En ce jour où le monde pense à la lutte contre la corruption, je peux relever que l’on identifie une certaine résistance à la bonne gouvernance à travers ce classement. Tout apparait comme si l’effort fourni n’est pas suffisant pour que nous nous mobilisions pour lutter contre ce phénomène, en l’identifiant comme l’un des maux les plus nuisibles de notre société.
Interview réalisée par Bienvenu BAKUMANYA et Fidèle MUSANGU,
*Le chapeau et le titre sont de ’’FORUM DES AS’’