NGUZ : « L’ESSENTIEL DANS UNE NÉGOCIATION, C’EST D’OBTENIR GAIN DE CAUSE »

Mardi 23 juin 2015 - 06:02

Jean de Dieu Nguz a Karl-i-Bond. Il fut l’un de grands acteurs politiques durant la Transition initiée par le maréchal Mobutu. C’est même le seul acteur à avoir dirigé et la grande famille politique de l’Opposition et de celle de la Mouvance présidentielle. Côté fonctions, il a été pendant longtemps ambassadeur du Zaïre de Mobutu dans plusieurs pays avant de devenir ministre des Affaires étrangères, Premier ministre et vice-Premier ministre et ministre de la Défense. Lors de différentes négociations politiques, il avait conduit tour à tour les délégations de l’Opposition (en 1991) et de la Mouvance (en 1993). Il n’a pas voulu rater l’occasion de se prononcer sur le dialogue qui pointe à l’horizon.

Après les Concertations politiques en 2013, la RDC s’achemine vers un dialogue politique. En voyez-vous l’opportunité ?
Bien-sûr. Car, si les Concertations nationales avaient fait œuvre utile, on ne parlerait pas de dialogue aujourd’hui. L’erreur, c’était d’avoir mal ficelé le dossier. Si les trois grandes formations politiques de l’Opposition avaient pris part aux Concertations, le dialogue actuel serait sans objet. En fait, si en dehors du MLC de Jean-Pierre Bemba dirigé à l’époque par Thomas Luhaka, l’UDPS d’Etienne Tshisekedi et l’UNC de Vital Kamerhe étaient aussi de la partie, on n’en serait pas là aujourd’hui à chercher à résorber la crise politique. Car, on est revenu à la case de départ. Surtout que Jean-Pierre Bemba a placé à la tête de son parti quelqu’un d’autre, Mme Eve Bazaïba. Ce qui fait que le MLC demeure dans l’Opposition à côté de l’UDPS et de l’UNC. L’opportunité est donc là pour avoir fait confiance à un acteur qui est loin d’incarner la véritable Opposition, c’est-à-dire Léon Kengo wa Dondo.

S’agissant du dialogue, on assiste déjà à un dialogue des sourds entre la Majorité qui soutient qu’il s’agit d’une initiative du chef de l’Etat et l’Opposition qui s’appuie sur l’Accord-cadre d’Addis-Abeba ?
Je pense qu’on doit éviter d’induire le chef de l’Etat en erreur. En 1991, il y avait également une querelle des mots entre la Conférence nationale et la Conférence constitutionnelle et ensuite entre la Conférence nationale et la Conférence nationale souveraine. Mais, au fond, il était question, pour l’Opposition, d’obtenir le Gouvernement d’union nationale et, pour la Mouvance, de gagner le maintien de Mobutu à la tête du pays. Chacun a trouvé son compte finalement et Mobutu a fini par reprendre pleinement le contrôle du pays. Je pense, personnellement, que la Majorité devrait même accepter le dialogue tel que prévu par l’Accord-cadre, quitte à s’arranger pour obtenir ce qu’elle vise avec l’aide de la même Opposition. C’est la meilleure façon de jouer plutôt que de se lancer dans la querelle des mots. Dans une négociation, le plus important, c’est de tirer son épingle du jeu sans se laisser distraire.

L’Opposition craint, avec un dialogue ayant pour initiateur le chef de l’Etat que la RDC tende vers le glissement du calendrier électoral
En politique, on peut obtenir le même résultat même un dialogue s’inspirant de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba. En 1993-94, on avait, grâce aux Concertations politiques du Palais du peuple, arrangé les choses de telle sorte que Léon Kengo wa Dondo s’empare de la Primature en lieu et place de Tshisekedi qui était le grand leader de l’Opposition. Tout est question de stratégies. La Majorité, qui voudrait profiter de la situation pour permettre à Joseph Kabila de tirer son épingle du jeu, devrait se montrer plus maligne en donnant même l’impression d’être à la merci de l’Opposition. C’est comme la course cycliste, le plus important, c’est le sprint et non le commencement. Dans un dialogue, il faut tenir compte de la dynamique interne pour se frayer un passage précieux et surprendre l’adversaire. L’Opposition aussi doit d’arrêter de croire qu’en croyant qu’il lui suffit d’obtenir le dialogue prévu par l’Accord-cadre pour que tout marche comme sur des roulettes. Rien n’est à écarter dans une négociation, il faut plutôt savoir tourner sa cervelle pour l’emporter sur l’autre partie.

Au dialogue, ce sont des sujets tels que le calendrier électoral, l’enrôlement de nouveaux majeurs, le découpage territorial et autres qui seront à l’honneur. Pensez-vous qu’un compromis est possible ?
En politique, le compromis est toujours possible. A moins qu’on soit de mauvaise foi. Une négociation, c’est comme un jeu des dames. Il faut savoir bien placer ses pions, pour obtenir un match nul à défaut d’une victoire. Le compromis en politique n’est possible que grâce aux concessions. C’est comme cela que Bernardin Mungul Diaka disait autrefois : si vous demandez dix et qu’on vous propose six, prenez d’abord les six et continuez à vous battre pour les quatre qui restent. Car, en exigeant de tout gagner, on risque de se faire piéger facilement à travers un cadeau empoisonné. Mais, il faut être plus malin pour espérer s’en tirer à bon compte. Même quand la Majorité donne l’impression de durcir le ton, peut-être que cela fait partie des stratégies afin d’amener l’Opposition à ne plus être sûre d’elle. Tout comme l’Opposition, lorsqu’elle durcit le ton, elle doit savoir jusqu’où elle voudrait amener la Majorité à faire des concessions sans croire que c’est gagné d’avance. Il faut donc disposer de plusieurs cartes comme le disait Mgr Monsengwo : " J’ai plus d’un tour dans mes manches ".

Faut-il, au terme du dialogue, un Gouvernement d’union nationale et une période de transition, ou mettre directement le cap sur les élections ?
Tout dépend des parties en présence. En principe, une transition, est toujours à l’avantage de l’Opposition en Afrique parce qu’elle permet aux opposants de réunir des moyens pour aller aux élections. S’il faut aller, après le dialogue, directement aux élections, est-on sûr d’avoir assez de moyens pour cela ? Quand le pays peine à réunir des ressources pour les élections, quel est ce parti qui est vraiment prêt pour la bataille des urnes ? On en parle facilement, mais en réalité, il y a un grand écart entre les déclarations et la réalité sur le terrain. C’est vrai qu’on redoute un glissement de calendrier. Mais, s’il fallait aller directement aux scrutins, on saurait vite quelles formations politiques ne sont pas prêtes.

Autre chose à ajouter ?
C’est seulement d’encourager à trouver la meilleure formule pour sortir leur pays de la crise sans se laisser embarquer dans des schémas extérieurs qui ne visent jamais les intérêts des Congolais. Dans ce genre de situation, c’est généralement l’Opposition qui est courtisée par la Communauté internationale. Mais, en jouant le jeu de cette Communauté internationale, l’Opposition réunit les conditions de son propre calvaire le jour où elle sera au pouvoir. Le mieux, c’est de soutenir des choses qui vont dans le sens du peuple et non de soutenir des schémas préparés par des officines étrangères, car le résultat sera le même. M. M.