Non à la République des «Kulunas» et des «Pombas»!

Jeudi 11 septembre 2014 - 16:12

Inadmissibles. Il n’y a pas d’autre mot pour qualifier ce qui s’est passé lundi à la Cour Suprême de Justice. Où des gros bras, désignés sous le vocable «Pomba », ont tenu en respect le public et les juges sous le regard indifférent des forces de l’ordre pourtant nombreuses au siège de la plus haute instance de justice du pays où se déroulait le procès « Ewanga », du nom dé ce député UNC: poursuivi par le Parquet général de la République pour offense au Chef de l’Etat.
Au cours de la précédente audience, on s’en souvient, les juges de la CSJ qui venaient de rendre un arrêt portant rejet de la demande de la défense portant mise en liberté du prévenu, avaient été surpris par une exception soulevée par les avocats d’Ewanga visant à vider l’infraction mise à ta charge de leur client de toute sa substance. Le problème posé était d’importance car il s’agissait d’établir la base juridique de l’infraction d’offense au Chef de l’Etat. La défense qui s’était bien documentée a démontré que cette infraction tirait sa légitimité juridique de l’ordonnance n°631300 signée en 1963 par le Président Joseph Kasa-Vubu.
 
Mais pour être légale et donc opposable à tous, ladite ordonnance devait se conformer aux prescrits de la Loi Fondamentale qui faisait office de Constitution du pays à cette époque. Or, pour être légal, tout acte relevant du domaine législatif posé par le Chef de l’Etat devait recevoir le contreseing du Gouvernement avant d’être ratifié dans les six mois par le Parlement, faute de quoi il devenait nul et de nul effet. L’ordonnance n°63/300 n’ayant obtenu ni le contreseing gouvernemental ni la ratification par le Parlement, est juridiquement inexistante et donc inconstitutionnel.
 
C’est à cette exception que la haute Cour réunie comme Cour Constitutionnelle, devait répondre. Mais alors que le public et les deux parties attendaient l’arrêt de la Cour, ils ont eu la surprise de voir surgir une foule importante de « gros bras » qui se sont mis à proférer des menaces à tout le monde, suspectant chaque personne présente d’avoir offensé le Chef de l’Etat. S’adressant à la haute Cour, ils exigeaient que la sentence soit rendue illico presto pour leur permettre de convoyer eux-mêmes Ewanga jusqu’à la prison centrale de Makala.
Initialement prévue à 10 heures, l’audience n’a eu lieu en réalité qu’à 18 heures. Et pendant ces huit heures d’attente, la vie était un enfer à la Cour Suprême et ses environs où tout le monde était insécurisé en dépit de la présence des hommes en uniforme. Même les journalistes ne savaient plus faire leur travail car chacun de leurs déplacements donnait lieu à des réactions menaçantes. Et lorsque la Cour a finalement rendu son drôle de jugement de Salomon, évitant soigneusement .de répondre aux questions posées et demandant à la défense de rie point soulever encore des exceptions, la logique normale était d’essayer de comprendre ce qui venait de se passer. Le fait pour les juges de dire aux avocats qu’ils auraient dû soulever l’exception d’inconstitutionnalité à la première audience confère-t-il une quelconque base juridique à l’ordonnance instituant l’infraction ? Si oui, il faut en expliquer le pourquoi et le comment. Si non, il faudra expliquer les bases sur lesquelles le procès va se poursuivre.
 
C’est pendant que le public s’interrogeait sur ces soubassements juridiques que les « gros bras » ont de nouveau commencé à montrer leurs biceps. L’insécurité devenait totale et il fallait maintenant s’organiser pour quitter le siège de la Cour Suprême. Les journalistes présents ont dû solliciter la compréhension d’un responsable de la Monusco présent sur les lieux pour quitter la CSJ à bord de son véhicule. Les avocats sont restés cloîtrés à l’intérieur jusqu’au départ des « Pombas ». Et c’est alors seulement qu’ils ont regagné leurs domiciles.
Une question capitale : pourquoi les forces de l’ordre présentes sur les lieux n’ont-elles pas fait leur travail en s’occupant des perturbateurs de l’ordre public?
 
La ville prise en otage
 
Cette opération des « Pombas » menée au siège de la plus haute instance judiciaire de la République intervient au moment même où la ville semble de nouveau pris en otage par la pègre, les « kulunas » et les « pombas ». Des actes de grand banditisme ont pris de l’ampleur dans toutes les communes de la capitale, où des individus mal famés opèrent avec des machettes, coupant des bras ici, des jambes là-bas et arrachant des biens même à des personnes vulnérables. Il y a quelques jours, un septuagénaire qui regagnait son domicile à Kingasani Pascal, a été tenu en respect par des « kulunas » armés de, machettes. Soulevant ses bras comme dans un film d’épouvante, il leur dit « prenez tout ce que vous voulez et laissez-moi partir ». En réponse, il eut droit à deux coups de machettes avant d’être délesté de sa mallette et du peu d’argent qu’il avait sur lui. C’est après le départ des bandits que des personnes de bonne volonté sont sorties pour le conduire au premier dispensaire pour des soins d’urgence.
Le retour en force des « kulunas» et autres « pombas » dans les rues aussitôt la nuit tombée coïncide curieusement avec là mesure du gouvernement provincial d’interdire la circulation des taxis- moto après 19 heures. On sait que grâce aux taxis- motos, les kinois qui descendent des véhicules de transport sur les artères principales étaient immédiatement pris en charge jusqu’à la porte de leurs résidences. Et comme il n’y avait plus dé piétons qui traînaient à partir de 21 heures sur la route, les « kulunas » ne savaient pas agir, faute de « clients ». Il a donc fallu que la mesure d’interdiction de circuler après 19 heures tombe pour que ces bandits sortent de leurs tanières pour faire la fête à leur manière. Depuis, c’est la psychose dans la ville.
Alors qu’on en est à s’interroger sur les capacités de réaction des autorités urbaines face à cet accroissement de l’insécurité dans la ville, voilà que les « kulunas » et « pombas » se signalent sur un autre terrain, politique celui-là. Ce qui s’est passé lundi à la Cour Suprême de Justice rappelle aux habitants de la capitale les événements de 2011 qui avaient consacré la montée en puissance des « kulunas », utilisés par certains partis• politiques pour terroriser leurs adversaires politiques. Munis de machettes, de tessons de bouteilles et autres carmes blanches, ces voyous surgissaient dans des manifestations publiques (marches, meetings...) pour distribuer des coups, blesser et tuer sans redouter une quelconque action de répression. On se souvient qu’ils ont été utilisés pour saccager des églises catholiques et terroriser prêtres et fidèles au moment où les chrétiens catholiques allaient descendre dans la rue pour commémorer le vingtième anniversaire du massacre dès chrétiens en 1992, massacre qui avait consacré la fragilisation ultime du régime de Mobutu et ouvert définitivement la voie à la démocratisation du pays.
En reprenant du service de manière tonitruante et ce, à la veille de nouvelles échéances électorales voire référendaire, les « kulunas » et « pombas » nous envoient-ils un message ? Est-il possible de croire que les Congolais auront droit à des élections libres et transparentes si des individus armés de machettes peuvent être utilisés pour empêcher les citoyens de parler, .et les leaders politiques d’exprimer leurs divergences?
Le danger plane donc sur les échéances futures dès lors que certains acteurs politiques semblent décidés à recourir à ces inciviques pour intimider leurs adversaires. Quel sera le climat dans les différentes villes et localités de la République lors de l’éventuel référendum sur la révision constitutionnelle si pour un simple procès, on en arrive à des scènes tragiques comme celle vécue lundi dernier à la Cour Suprême de Justice. La question est posée aux autorités urbaines qui doivent réagir vite et bien.
F.M