Tribune : Le juriste Engunda Ikala décortique les limites du pouvoir du chef de l’Etat en cas de cohabitation !

Mardi 22 janvier 2019 - 17:43
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La Cour Constitutionnelle a déclaré le candidat de la plateforme CACH, Felix Tshisekedi vainqueur des élections Présidentielle et Martin Fayulu, candidat de la plateforme LAMUKA second. Tous deux membres de l’ancienne opposition. Etrangement, nous avons assisté à un véritable raz de marée de la plate-forme Font Commun pour le Congo (FCC), conduite par le candidat de l’ancienne majorité présidentielle Emmanuel Shadary, qui a remporté l’élection législative avec 350 sièges sur les 500 à pourvoir. Pour la seconde fois, depuis l’élection du Président Kasa-Vubu, nous avons un Chef de l’Etat qui ne détient pas la majorité parlementaire. Une cohabitation s’impose donc. Cette situation fera-t-elle de Felix Tshisekedi un Président « protocolaire » comme le disent certains ? Analysons.
Au regard de ce fait, il est donc nécessaire d’analyser cette future cohabitation de la manière la plus objective possible pour éclairer le public quant aux conséquences de cette nouvelle réalité politique.
Le Premier Ministre du FCC
Selon l’article 78 de la Constitution « le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. » Le Front Commun pour le Congo (FCC), ayant déjà raflé 350 sièges sur les 608 composant le parlement (Assemblée Nationale et Senat), détient à ce jour la majorité parlementaire. Le Président Tshisekedi devra donc consulter cette majorité parlementaire dont l’autorité morale n’est nulle autre que Joseph Kabila, pour obtenir les noms des personnes qui pourront éventuellement être nommé Premier Ministre. Il faut donc s’attendre logiquement à ce qu’un membre de l’ancienne Majorité Présidentielle ou un homme de confiance de l’autorité morale de cette plate-forme devienne Premier Ministre, ce qui est tout à fait logique. Quant à la quarantaine de députés de l’UDPS, ils devront, pour soutenir leur poulain à la Présidence, s’allier au FCC pour avoir une majorité parlementaire plus que suffisante. Il y aura, de fait, une nouvelle Majorité Présidentielle composée du FCC et de CACH.

Application intégrale du programme présidentielle hypothétique

D’une part, le 1er alinéa de l’article 91 de la Constitution stipule que « le Gouvernement définit en concertation avec le Président de la République, la politique de la Nation et en assume la responsabilité ». En somme, le programme du FCC soutenu par Emmanuel Shadary et celui de CACH soutenu par Felix Tshikedie devront fusionner pour ne faire qu’un. Il faudra donc réévaluer les promesses électorales du Chef de l’Etat à la lumière de ce qui sortira de cette mise en commun.

D’autre part, le 2ième alinéa de l’article 91 de la Constitution, précise que le « Gouvernement conduit la politique de la nation ». En somme, c’est le Premier Ministre, Chef du gouvernement, qui sera en charge d’appliquer ce programme. Quant au pouvoir du Président, le 3ième de l’article 91 de la Constitution nous renseigne que « la défense, la sécurité et les affaires étrangères sont des domaines de collaboration entre le Gouvernement et le Président de la République ». Quant aux autres secteurs comme l’économie, les finances, le budget, la santé, l’éducation, les mines, les hydrocarbures etc., la politique est conduite par le Gouvernement seul. Celui-ci étant conduit par un membre du FCC, il ne faut donc pas s’attendre à un changement radical du mode de gestion des affaires publiques.

Changement dans l’appareil sécuritaire 

Il faut noter que, malgré la collaboration sur des secteurs clefs comme l’armée et la sécurité, le 4ième alinéa de l’article 91 de la Constitution précise que « le Gouvernement dispose de l’administration publique, des forces armées, de la Police Nationale et de services de sécurité ». Donc, le Chef de l’Etat ne peut pas, de son propre chef, disposer de soldat ou de policier pour mener une quelconque opération, cela est de la compétence exclusive du Gouvernement en collaboration avec le Chef de l’Etat. Quant au changement à la tête de l’armée, de la police et des services de sécurité, l’article 81 de la Constitution nous renseigne entre autre que « sans préjudice des autres dispositions de la Constitution, le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, sur proposition du Gouvernement délibérée en Conseil des ministres : (3) le chef d'état-major général, les chefs d'état-major et les commandants des grandes unités des forces armées ainsi que (2) les officiers généraux et supérieurs des forces armées et de la police nationale, le Conseil supérieur de la défense entendu ainsi que… ». En somme, le Chef de l’Etat ne peut pas, de son propre chef, révoquer ou nommer un chef d’état-major général, les chefs d’état-major, les commandants des grandes unités, les officiers généraux ou supérieurs des forces armées ou de la police nationale. Cela doit découler obligatoirement d’une proposition du Gouvernement entendu en conseil des Ministres conduit ici, selon la logique légale, par le Premier Ministre qui sera issu de la majorité parlementaire, donc du FCC. Avec des telles contraintes légales, la marge de manœuvre quant aux promesses électorales du nouveau Chef de l’Etat concernant notamment la sécurité sera très étroite. Il est donc peu probable d’assister un démantèlement rapide de l’appareil sécuritaire mise en place par l’ancien de chef de l’Etat.

Risque de confrontation

Si, à titre illustratif, le chef de l’Etat nomme ou revoque, par mégarde, un nouveau Chef d’Etat major sans attendre la proposition du gouvernement, il s’agira là d’un acte anticonstitutionnel synonyme de « haute trahison » comme le prévoit l’article 165 de la Constitution. Quant à sa mise en accusation, le FCC aura les coudés franches vu que l’article 166 de la Constitution stipule que « la décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement ». Il suffirait donc pour le FCC de réussir à faire élire 55 sénateurs à la prochaine élection sénatoriale pour constituer les deux tiers du parlement. Un exercice relativement facile au regard du score effectué par lui lors des élections provinciales, sachant que ce sont les députés provinciaux qui votent à l’élection sénatoriale.

Dissolution du Parlement

Dans le cas où il y aurait une quelconque crise entre le Chef de l’Etat et cette majorité parlementaire, le Président de la République pourrait éventuellement dissoudre le parlement conformément à l’article 148 de la Constitution. Cependant, le deuxième alinéa de ce même article nous rappelle qu’« aucune dissolution ne peut intervenir dans l'année qui suit les élections ». Ainsi, l’actuelle Chef de l’Etat devra attendre au moins une année pour dissoudre le Parlement en cas de crise, d’ici là il devra s’adapter à l’actuelle majorité parlementaire. Par contre, une dissolution de l’Assemblée Nationale entrainerait une crise institutionnelle majeure. En effet, le 3ième alinéa de l’article 148 de la Constitution stipule qu’ « à la suite d'une dissolution de l'Assemblée nationale, la Commission électorale nationale indépendante convoque les électeurs en vue de l'élection, dans le délai de soixante jours suivant la date de publication de l'ordonnance de dissolution, d'une nouvelle Assemblée nationale. ». Sachant que l’on ne peut pas organiser des élections législatives en RDC dans un délai de deux mois, il existera un vide institutionnel qui entrainera un blocage inédit de nos institutions. Pour illustrer ce blocage, je prendrais le cas particulier des finances publiques. En effet, l’article 130 de la Constitution stipule que « les projets de loi adoptés par le Gouvernement en Conseil des ministres sont déposés sur le Bureau de l'une des Chambres. Toutefois, s'agissant de la loi de finances, le projet est impérativement déposé dans les délais prévus à l'article 126 sur le Bureau de l'Assemblée nationale. ». Cela veut dire que sans « Assemblée Nationale » le Gouvernement sera dans l’impossibilité de faire adopter un budget, donc de faire fonctionner les institutions. Il lui serait même impossible contre carré cette difficulté via des crédits provisoires qui doivent elles aussi, être autorisés par les deux chambres conformément l’article 126 de la Constitution qui stipule en son 7ième alinéa que « si le projet de loi de finances n'a pas été déposé en temps utile pour être promulgué avant le début de l'exercice, le Gouvernement demande à l'Assemblée nationale et au Sénat l'ouverture de crédits provisoires. »

Conclusion

Je sais que, pour la plupart des citoyens, ces dispositions constitutionnelles peuvent sembler nouvelles, mais elles ont toujours existé sauf qu’auparavant, nul ne pouvait le ressentir vu que le Chef de l’Etat était lui-même issu de la majorité parlementaire. Maintenant que nous allons vers une cohabitation, il est nécessaire de rappeler au public qu’un Président sans majorité parlementaire propre est un Chef d’Etat certes pas « protocolaire » mais dont le rayon d’action est fort limité.

Le Président Felix Tshisekedi devra faire preuve de beaucoup de sagesse pour ne pas se contenter d’être au pouvoir mais d’avoir du pouvoir.