26ème Tribune d’Adolphe Muzito : RDC : une Justice héroïque, paupérisée par l’Exécutif

Mardi 30 juin 2020 - 16:05
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Il n’existe pas d’Etat de droit sans justice, ni de justice sans moyens de son indépendance. 
Cette étude montre la stratégie d’assujettissement dont est l’objet le pouvoir judiciaire en RDC, de la part du pouvoir exécutif, avec l’indifférence du pouvoir législatif, autorité budgétaire. 
Cette stratégie consiste à priver le pouvoir judiciaire des moyens budgétaires nécessaires à son indépendance, créant de facto, un déséquilibre entre les trois piliers de la République.

En effet, Monsieur Tshisekedi, censé être le Garant du bon fonctionnement des Institutions, s’avère aujourd’hui être le fossoyeur de l’indépendance de la Justice, se mettant sur les pas de l’ancien système dont il aurait dû incarner l’alternative.

Exécution du plan de trésorerie du ministère des finances, premier trimestre 2020 

Nous pouvons constater cette réalité à travers l’exécution du plan de trésorerie de l’Etat au premier trimestre 2020. Je me limite à examiner ici les données d’exécution du plan de trésorerie du premier trimestre 2020, en attendant d’obtenir celles liées à l’exercice 2019 et au second trimestre 2020.

Au premier trimestre 2020, le Pouvoir Exécutif par son gouvernement s’est accaparé de l’essentiel de la dotation réservée au fonctionnement des institutions pour ne laisser au pouvoir judiciaire que des miettes.

Tableau n°1 :
Prévision et Exécution du budget de fonctionnement consolidé des institutions pour le premier trimestre 2020 (jusqu’au 13 mars) en millions des FC

N°LibelléPrévision (en millions de FC)Exécution (en millions de FC)Taux ExécutionMontant%Montant%%1Pouvoir Exécutif : (Présidence+Primature)50.713,983661.256651212Pouvoir Législatif : :
(Assemblée Nat.+Sénat)60.693,754431.24033523Pouvoir Judiciaire27.499,98201.56426Total138.907,710094.06010068Source : Ministère des finances exécution du plan de trésorerie du secteur public, chiffres décryptés et consolidés par nous-même.

Prévision en millions de FC au premier trimestre 2020

L’enveloppe trimestrielle globale pour les trois pouvoirs se chiffre à 138.907.000.000 FC.

Le tableau n°1 ci-haut montre qu’au niveau de la prévision il a été affecté aux deux premiers pouvoirs, 80% du budget global de fonctionnement des institutions pour le premier trimestre 2020, respectivement 36% pour l’Exécutif et 44% pour le Législatif. 
Quant à la magistrature, il ne lui a été réservé que 20% du total. 
Le déséquilibre entre les deux premiers pouvoirs d’une part, et
le troisième d’autre part, est cruel. 

Exécution au Premier trimestre 2020

A l’exécution, le pouvoir exécutif reçoit à lui seul 61.256.000.000 FC soit 65% de l’enveloppe globale (94.064.000.000 FC) tandis que le pouvoir judiciaire n’a reçu que 1.564.000.000FC soit 2% de ladite enveloppe.

En même temps, on peut constater que le pouvoir exécutif connaît un taux d’exécution de 121% de son crédit alors que le pouvoir judiciaire n’enregistre que 6% du sien, quand le pouvoir législatif voit son crédit exécuté au taux de 52%.

Tableau n°2 :
Prévision et Exécution détaillées du budget de fonctionnement des institutions au 1er trimestre 2020 (13 mars) en millions de FC


LibelléPrévision  (en millions de FC)Exécution  (en millions de FC)Taux 
ExécutionMontant%Montant%%1Président36.963,992748.297511312Primature13.749,991012.95914943Assemblée Nationale44.193,753223.77625544Sénat16.500127.4648455Judiciaire27.499,98201.564266Total138.907,7410094.06410068Sources : Données du Ministère des Finances et exécution du plan de trésorerie du secteur public.

En ventilant en % la répartition de l’enveloppe globale entre toutes les institutions au premier trimestre 2020, l’institution Président de la République s’est emparée de plus de la moitié du budget global (soit 51%,) laissant aux quatre autres services, moins de la moitié du budget, répartie comme suit :
La Primature 14%, l’Assemblée Nationale 25%, le Sénat 7% et la Magistrature 2%. 
Le déséquilibre entre les deux premiers pouvoirs (Exécutif et Législatif) d’une part, et le Judiciaire d’autre part, marque la marginalisation de ce dernier dont le crédit n’a été exécuté qu’à 6% des prévisions. 

Ainsi, les détails mensuels liés aux déséquilibres sont repris ci-après :

Mois de Janvier 2020

Pour le premier mois de l’année 2020, le Président a reçu 43% de l’enveloppe globale et a fait exécuter son crédit au taux de 149,63% de la prévision mensuelle. Quant au Judiciaire, l’institution la moins financée en RDC, celle-ci encaisse 2% de l’enveloppe avec un taux d’exécution de 8% du crédit lui destiné par le Parlement.

L’Assemblée nationale est la seule institution dont le crédit a été libéré dans la norme, avec un taux d’exécution de 97,64%.

Tableau n°3 :
Prévision et Exécution du budget ventilé de fonctionnement des institutions janvier 2020 (en millions de FC)
N°LibelléPrévisionExécutionTaux ExécutionMontant%Montant%%1Présidence12.321,3326,6118.43742,57149,632Primature4.583,339,896.63915,33144,853Assemblée Nationale14.731,2531,8114.38533,3297,64 4Sénat5.50011,873.0897,13 56,16 5Judiciaire9.166,6619,797511,738,19Total46.302,5810043.30110093,51Sources : Données du ministère des Finances compilées et traitées par nous-mêmes.

Mois de Février 2020

En février, le « Président de la République » a encore augmenté sa consommation à 59,8%, dans l’enveloppe globale destinée aux trois institutions avec un taux d’exécution de 207%. Le Pouvoir Judiciaire n’a reçu que 1,87% de l’enveloppe globale et a connu un taux exécution de 8,7% de son crédit.

Tableau n°4
Budget de Fonctionnement Institutions, Prévision et Exécution Février 2020 (en millions de FC)
N°LibelléPrévisionExécutionTaux ExécutionMontant%Montant%%1Présidence12.321,3326,6125.55859,82072Primature4.583,339,894.72711,71033Assemblée Nationale14.731,2531,819.3392263,744 Sénat5.50011,872.1905,1339,815Judiciaire9.166,6619,798021,878,74Total46.302,5810042.66810092,15Sources : Données du Ministère des Finances compilées et traitées par nous-mêmes.

A la fin de la première quinzaine du mois de mars

A la fin de la première quinzaine du mois de mars, la Présidence avait déjà exécuté près de la moitié de l’enveloppe globale soit 47% (46,54%) avec un taux d’exécution de 27% (26,80%). De son côté, le Pouvoir Judiciaire n’a vu s’exécuter que 0,001% de son crédit.
Tableau n°5
Budget de Fonctionnement des Institutions, Prévision et Exécution Mi-Mars 2020 (millions de FC)

N°LibelléPrévisionExécutionTaux ExécutionMontant%Montant%%1Présidence12.321,3326,613.30346,5426,802Primature4.583,339,891.59322,4434,753Assemblée nationale14.731,2531,810004 Sénat5.50011,872.19030,8539,815Judiciaire9.166,6619,79110,150,001Total46.302,581007.097100Sources : Données du ministère des Finances compilées et traitées par nous-mêmes.

La RDC, une République des juges ?

En lisant les données relatives à l’exécution du plan de trésorerie du ministère des finances, le Président de la République a consommé successivement pour les mois de Janvier, Février et mi-Mars 43%, 60% et 47% de l’enveloppe globale du budget de fonctionnement des institutions pour un taux trimestriel d’exécution de 131% en moyenne.

Dans l’entre temps, la Magistrature devait se contenter de 2% de l’enveloppe globale pour les mois de Janvier et Février, pour un taux moyen d’exécution de 8% de son crédit.

Normalement, la stabilité d’un Etat s’observe à travers l’équilibre entre les trois institutions classiques et se traduit par une répartition équitable des ressources budgétaires allouées aux trois pouvoirs traditionnels. 
Nous constatons avec regret que l’institution Président de la République s’est accaparée au courant de cette période, de l’essentiel de l’enveloppe globale allouée aux institutions en RDC, au détriment principalement du pouvoir judiciaire.
Devant les conditions matérielles et logistiques qui sont celles de la magistrature, la RDC ne pourrait jamais devenir une République des juges comme le clament certains intellectuels de notre pays, mais plutôt celle du Président.

Héritage perdu !

Pendant le quinquennat (2007-2012), nous avons jeté les prémices d’une République qui place le juge au cœur d’un Etat de droit. Celles-ci ont malheureusement été démolies par les gouvernements qui se sont succédés à partir de 2012.

En effet, depuis l’indépendance de notre pays, jusqu’en 2006, le pouvoir judiciaire n’avait jamais eu un effectif de plus de 1500 magistrats. La République avait toujours eu une surface judiciaire très faible.

C’est sous la gestion de 2007-2012 qu’une décision révolutionnaire a été prise pour le recrutement de 2000 magistrats portant à 3500 leurs effectifs et augmentant le salaire des magistrats au grade de recrutement de 300$ à 1000$ (980$), cela en dépit du fait que nous étions en programme avec le FMI et la BM, avec la surveillance stricte de nos finances publiques qu’implique le suivi de ce programme et l’exigence de respecter les échéances du service de la dette extérieure.  

Non seulement les frais de déploiement sur l’ensemble du territoire des nouvelles recrues ont été assurés pour permettre à chaque magistrat de rejoindre son poste d’affectation mais, en plus, un kit administratif a été remis à chaque recrue, ainsi qu’une toge. L’ambition était d’augmenter le salaire du moins gradé des magistrats jusqu’à 2.000$ à l’exercice 2012 malgré les contraintes budgétaires.
Malheureusement, après ce gouvernement, celui qui a géré de 2012à 2016, malgré une manne budgétaire plus consistante, fruit des investissements réalisés avant son avènement, n’a amélioré ni le niveau des salaires ni les conditions de travail des magistrats. 
Le salaire du magistrat que le gouvernement Muzito avait ainsi revalorisé, a été inexorablement érodé par l’inflation, avant d’être amputé par le réajustement du prélèvement fiscal au titre de l’impôt sur les rémunérations. 
 Le salaire d’un magistrat au grade de recrutement est passé de 1000$ en 2011 à près de 500$ aujourd’hui, du fait de l’érosion monétaire et des prélèvements fiscaux. A ce jour ledit salaire est largement inférieur à celui de son correspondant travaillant dans un cabinet de l’Exécutif, lequel gagne près de 3000$.

Ce qu’il faut faire :

Les déséquilibres délibérément maintenus par l’exécutif tant dans ses prévisions de dépenses que dans leurs réalisations, sont le signe 
et d’une volonté du pouvoir exécutif de vassaliser les juges, dans l’indifférence totale du pouvoir législatif, autorité budgétaire et organe de contrôle de l’exécutif. 
Seules des réformes structurelles peuvent aider à rétablir l’équilibre des rapports de forces entre les trois institutions de la République, gage de l’indépendance de la Justice et d’un Etat de droit.

Aujourd’hui, les besoins du Pouvoir Judiciaire sont pourtant plus importants que par le passé : là où il y avait une seule juridiction suprême, trois ont vu le jour : la Cour Constitutionnelle, la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat. 
Au niveau inférieur, les juridictions administratives ont été séparées des juridictions de l’ordre judiciaire, autre dédoublement des besoins et l’éclatement des provinces qui a multiplié encore davantage les besoins tant en ressources humaines que patrimoniales. 

Et je ne parle pas des tribunaux de commerce que nous avons institués dans le cadre de l’amélioration du climat des affaires.
Ne pas mettre les moyens qu’il faut pour rendre tout cet attelage effectif, c’est ni plus ni moins que tourner le dos à toutes les promesses jadis répétées par le Parti de Monsieur Félix Tshisekedi quand il était dans l’opposition.  Contrer les réformes initiées par le FCC à travers ses trois propositions de loi c’est une bonne chose, mais insuffisant. 

Ce sont les réformes institutionnelles, politiques, économiques et sociales, proposées par Président Elu, Martin Fayulu, dans le cadre du « Plan de sortie de crise », à travers un consensus national, qui pourront mettre fin à cet accaparement des ressources et des pouvoirs d’Etat par l’Institution Président et l’Exécutif en général, principalement au détriment du pouvoir Judiciaire. 

Lequel pouvoir judiciaire évolue aujourd’hui sans perspective d’ajustement ni de ses effectifs ni de son statut, moins encore des conditions sociales et de travail par rapport aux défis que l’organisation institutionnelle actuelle fait peser sur lui.

Fait à Bruxelles, le 25 juin 2020

Adolphe MUZITO
Premier Ministre honoraire et Député national