Début 2021, le sud-africain Cyril Ramaphosa cèdera la présidence de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernements de l’Union Africaine (UA) au congolais Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo. La République Démocratique du Congo (RDC) prendra donc les rênes de l’organisation panafricaine à un moment particulier de l’histoire, celui de la COVID-19.
Les regards se tourneront sur la manière dont le nouveau leadership, au niveau continental, gérera cette crise et, peut-être, tentera d’en réduire les effets. Cependant, la réalité de la pandémie ne devrait pas occulter la symbolique de l’année 2021. Après le thème « Faire taire les armes », choisi à juste titre, au regard des conflits armés, le thème axé sur « les arts, la culture et le patrimoine » lui succède. En effet, il était temps que l’UA fasse une halte sur ce qui constitue le socle de sa raison d’être, en dépit des problèmes récurrents d’ordre sécuritaire, politique et économique. Les arts, la culture et le patrimoine jalonnent sa trajectoire historique et requalifie sa place dans le monde. L’idée est de réaffirmer l’identité de l’Afrique et de stimuler ainsi son développement. D’ailleurs, la cinquième aspiration de l’Agenda 2063, document traçant la vision de développement du continent conçu sous l’ère Dlamini Zuma, affirme la nécessité d’une « Afrique dotée d’une forte identité culturelle, d’un patrimoine commun et de valeur et d’une éthique partagée ».
La décision de consacrer l’année 2021 à cette question est consécutive à la recommandation faite en marge du 33è Sommet par l’ancien Président malien Ibrahim Boubacar Keita, alors désigné Champion de l’UA en la matière, de concert avec ses 12 homologues co-champions parmi lesquels figure le président de la RDC.
Prendre la mesure de la mission
C’est en qualité de Co-champion pour les arts, la culture et le patrimoine que le Chef de l’Etat congolais assumera la présidence de l’UA en 2021 consacrée aux arts, à la culture et au patrimoine. Cette double casquette démontre l’importance que le prochain président de l’organisation panafricaine devra accorder à la question. Il existe déjà un agenda de travail conçu avec ses pairs Co-champions contenant 6 priorités en la matière. La première d’entre elles est le plaidoyer pour la ratification de la Charte de la Renaissance culturelle africaine.
Ladite Charte, adoptée le 24 janvier 2006 au Sommet de Khartoum au Soudan, est une actualisation, 40 ans après, de la Charte culturelle africaine du 05 juillet 1976, votée à Port-Louis, en Ile Maurice. C’est donc sur ce chantier que devra travailler la RDC. A ce jour, sur les 34 Etats signataires de la Charte, 15 seulement l’ont ratifiée et en ont déposé les instruments. Le dernier en date est la Côte d’Ivoire. Le défi est d’atteindre le 2/3 des signataires pour son entrée en vigueur. Le futur Président en exercice de l’UA devra donc mener cette campagne, car lui-même est déjà co-champion pour les arts, la culture et le patrimoine, en plus de son mandat placé sous ce thème global de la culture.
En rhétorique de la Grèce antique, pour convaincre un auditoire, il faut savamment agencer le logos (cohérence du discours), le pathos (action sur l’affect) et l’ethos (personnalité de l’auteur). Les deux premiers points ne posent aucun problème. Mais, le troisième est à fignoler. En effet, celui qui tente de convaincre s’assure que son discours produira des effets, entre autres, parce qu’il incarne lui-même les idées qu’il prône. Il s’active pour éviter que l’auditoire lui retorque : medicus, cura te ipsum ! (médecin, guéris-toi, toi-même). La RDC saura-t-elle réussir ce pari d’obtenir au moins 7 autres ratifications pour l’entrée en vigueur de la Charte si elle-même, signataire depuis le 02 février 2010, ne l’a jamais ratifiée plus de dix ans après ? Comment envisagera-t-elle de ratifier un instrument juridique continental, tant qu’à l’échelle nationale, elle ne dispose pas d’une loi portant principes fondamentaux sur la culture (Politique culturelle) ?
Inscrire le mandat en lettres de noblesse
Avec au moins 7 ratifications de plus, dont la sienne et l’adoption d’une Politique culturelle nationale, la RDC marquera l’histoire du continent pour avoir obtenu l’entrée en vigueur de la Charte de la Renaissance culturelle africaine prônée par Cheikh Anta Diop et revivifiée par le Président Thabo Mbeki, au cours d’une année spécialement consacrée aux arts, à la culture et au patrimoine. Au-delà de la problématique de la restitution d’œuvres d’art déjà abordée en 1973 à Kinshasa lors du 3è Congrès extraordinaire de l’Association Internationale des Critiques d’Art (AICA) et exploitée par le rapport Sarr/ Savoy de 2018, la présente Charte demeure un élément fondateur. Il oriente la place à accorder à la culture dans la prise de conscience de l’identité africaine, la redéfinition de sa trajectoire de développement ainsi qu’à la contribution des industries culturelles et créatives à l’essor économique du continent. Sur ce dernier point, est-ce un hasard qu’AFREXIMBANK, chargée de promouvoir le commerce africain, ait constitué un fonds d’un demi-milliard de dollar américain en soutien à l’industrie de la culture ?
Au niveau national, «la priorité est pour le moment l’adoption effective de la loi portant principes fondamentaux sur la culture et les arts ainsi que la mise en place d’un mécanisme censé en faciliter son implémentation ainsi que le suivi-évaluation » (Nzeza Bunketi Buse, 2017).
Ce qui reste à faire…
Il revient donc aux différentes parties prenantes d’entrer en action. Sur le plan législatif, la session de septembre, quoique budgétaire, serait le moment opportun. D’une part, l’Assemblée nationale et le Sénat agiraient utilement en inscrivant ce dossier à l’ordre du jour. D’autre part, le Président de la République ainsi que le Gouvernement, via le ministère de la culture et des arts, le ministère des Affaires étrangères et le ministère chargé des relations avec le Parlement, gagneraient en mettant tout en œuvre pour soumettre à l’adoption le projet de loi sur la Politique culturelle et la Charte de la Renaissance culturelle africaine.
Rien n’est impossible. L’expérience récente avec la communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) est un exemple fort éloquent. Les arriérés des contributions ont été épongés et le Traité révisé a été ratifié en peu de temps. En effet, il n’aurait pas été cohérent d’obtenir un Commissariat au sein de la nouvelle architecture de l’organisation sous-régionale sans avoir eu à réunir ces deux préalables. Ainsi, cet exercice s’avère nécessaire sinon impérieux pour un succès de la présidence congolaise de l’UA en 2021.
Professeur NZEZA BUNKETI BUSE Ribio
Docteur en Communications sociales
Spécialiste en politiques et industries culturelles
UNIKIN/UCC
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