Requêtes devant le conseil d’Etat contre le bureau de l’assemblée nationale : gare à l’instrumentalisation politicienne de la justice (tribune du prof. Mampuya) ​

Lundi 16 novembre 2020 - 18:06
Image
7sur7

Ce mercredi 18 novembre 2020, le Conseil d’Etat commence l’examen des deux requêtes déposées à son greffe contre le Bureau de l’Assemblée nationale. De quoi s’agit-il, d’abord sur les faits et ensuite sur la manière dont il convient de considérer ces requêtes au regard du droit, par rapport à toutes les questions qui se posent en droit.

L’objet des requêtes

Considérant que le Bureau de l’Assemblée nationale avait méconnu 2 dispositions du Règlement intérieur, le Député Puela a écrit à ce bureau pour lui demander de tirer les conséquences de cette prétendue défaillance et, ce, en application des ar…
[17:59, 11/16/2020] Israel Mut: Requêtes devant le conseil d’Etat contre le bureau de l’assemblée nationale : gare à l’instrumentalisation politicienne de la justice (tribune du prof. Mampuya)

Ce mardi 18 novembre 2020, le Conseil d’Etat commence l’examen des deux requêtes déposées à son greffe contre le Bureau de l’Assemblée nationale. De quoi s’agit-il, d’abord sur les faits et ensuite sur la manière dont il convient de considérer ces requêtes au regard du droit, par rapport à toutes les questions qui se posent en droit.

L’objet des requêtes

Considérant que le Bureau de l’Assemblée nationale avait méconnu 2 dispositions du Règlement intérieur, le Député Puela a écrit à ce bureau pour lui demander de tirer les conséquences de cette prétendue défaillance et, ce, en application des articles 139 et 140 du Règlement intérieur qui lui font obligation de déposer au cours de la session de mars de chaque année un rapport de gestion, concernant les finances, les biens et le personnel de l’Assemblée, en remettant ce rapport à la Commission spéciale de contrôle au plus tard le 15 avril, soit, comme le prévoit le Règlement, 30 jours après l’ouverture de la session le 15 mars. Le Règlement prévoit que faute de s’acquitter de cette obligation, le Bureau est « réputé démissionnaire ».
Dans sa lettre d’accusé de réception adressée au député, la questeure lui indique que tout ce qu’il réclame, le dépôt du rapport, son examen et le quitus de l’Assemblée plénière, a été fait. Le député estimant qu’une telle réponse et ses explications ne le satisfaisaient pas, saisit le Conseil d’Etat : la première requête demande l’annulation de ce que le requérant considère comme une « décision » (de refus de démissionner) ; tandis que la deuxième est une requête en « référée ».
La première requête tend à faire annuler la « décision » que son auteur croit déceler dans la lettre d’accusé de réception qu’il a reçue de la questeure de l’Assemblée ; la deuxième est une « requête en référée-suspension », une sorte d’exception préjuridictionnelle, déposée quelques jours plus tard, aux fins d’obtenir la suspension dès à présent de cette « décision » prétendue en attendant que s’achève la procédure du contentieux d’annulation, qui apparaît au signataire de la requête comme comportant le risque d’être trop longue. En effet le référée est une sorte d’accélération du temps judiciaire, un raccourci pour obtenir un jugement avant-dire droit ; comportant des mesures conservatoires ; de manière à éviter que les droits affectés ou intérêts lésés par la décision attaquée ne souffrent encore plus si la décision traînait à venir.

La part du droit, les conditions de la mission du Conseil d’Etat

La mise en place des juridictions administratives constitue, à n’en pas douter, un pas avant vers la construction d’un Etat de droit. Au sommet de l’ordre des juridictions administratives est  institué le Conseil d’Etat dont le rôle est de juger de la légalité des actes et des décisions des autorités administratives, notamment nationales, c’est-à-dire à vérifier leur conformité à la loi. Ainsi, le Conseil d’Etat est juge de la conformité à la loi des actes et décisions des autorités administratives. Il n’est donc pas un juge de la constitutionnalité des actes législatifs et réglementaires ; il n’est pas non plus un juge de la régularité des actes civils par rapport au code civil. Le juge administratif est saisi pour dire si un ACTE ADMINISTRATIF est ou non conforme à la loi, à l’édit ou à un règlement administratif.
Ainsi, en général, deux conditions doivent être réunies pour saisir le juge administratif à savoir, il faut avoir en présence d’un côté un acte administratif ou une décision administrative et de l’autre côté une loi, un édit ou un règlement administratif par rapport auquel on estime que l’acte ou la décision n’est pas conforme.
En l’absence d’un acte administratif ou d’une décision administrative, il ne faut pas saisir le juge administratif ; de même, en l’absence d’une loi, d’un édit ou d’un règlement administratif par rapport auquel la conformité doit être appréciée, il ne faut pas non plus faire intervenir le juge administratif. C’est de même que pour contester la constitutionnalité d’un acte ou d’une décision administrative ce n’est pas au juge administratif qu’il faut s’adresser, mais à la Cour constitutionnelle.

La part du droit, des actes échappant au Conseil d’Etat

Cependant, ainsi que le constatent tous les spécialistes du droit administratif, certains actes échappent à la compétence du juge administratif. Il en est ainsi des actes dits « de gouvernement », qui ne sont pas susceptibles de contentieux de légalité. Cela veut par exemple que malgré l’appétit de justice et d’Etat de droit, contrairement aux prétentions aventureuses qui circulent çà et là dans « les facultés de droit des réseaux sociaux », les ordonnances du Chef de l’Etat nommant le Premier ministre et les membres du gouvernement, celles par lesquelles il nomme les magistrats et en général celles par lesquelles il entre en relation avec d’autres pouvoirs de l’Etat, ne peuvent pas être attaquées. Cela ne signifie pas pour autant que l’Etat de droit n’existe plus mais plutôt qu’il existe une autre forme de contrôle, et non le contrôle juridictionnel.
Il en est également ainsi, pour ce qui concerne notre sujet ici, des Règlements intérieurs des assemblées parlementaires comme celui de l’Assemblé nationale, qui est en cause ici, et en général de tous les actes dits « actes parlementaires » ou encore « actes d’assemblée ». Pour vérifier cette affirmation je ferai appel intentionnellement à des  spécialistes congolais, nos compatriotes, proches de nous et dont les écrits peuvent être facilement consultés par tous. Avec le Professeur Clément Kabange Ntabala, le Professeur Félix Vunduawe te Pemako est l’un des deux maîtres de cette discipline dans notre université, tous les autres, même connus à divers titres, étant les disciples de ces deux géants du droit « stratif » comme nous l’appelons dans notre jargon. Si le premier est surtout connu pour ses enseignements et recherches concernant les services publics, le second a publié des ouvrages de référence du droit administratif congolais en général, comprenant ainsi la matière du « contentieux administratif » qui nous intéresse ici. Il enseigne justement que, avec les actes de gouvernement, les actes dits d’assemblée ou actes parlementaires, ne peuvent pas faire l’objet d’un contentieux de légalité. En conséquence la conformité des actes qui doivent leur être conformes ne relève pas non plus du contentieux de légalité, car le juge n’est pas compétent à l’égard de cet acte, son application ou exécution ou, encore, son interprétation.
De fait, les actes d’assemblée ne sont ni des actes législatifs (ni loi, ni actes ayant force de loi, ni édit) ni des actes administratifs. Le règlement intérieur d’une assemblée n’est pas une loi parce qu’il ne répond pas aux critères de définition de la loi. Vunduawe te Pemako enseigne que les actes d’assemblée ou actes parlementaires ne sont pas des actes législatifs parce que ceux-ci doivent être pris dans le domaine de la loi ou domaine législatif et par l’autorité instituée pour ce faire et surtout suivant la procédure prévue pour cela, ainsi qu’arrêté par notre constitution en ses articles 130 à 137. Or, le règlement  intérieur d’une assemblée n’est pris ni dans le domaine de la loi ni dans celui du règlement, ni suivant la procédure prévue pour adopter les lois ; il est un acte d’assemblée, un acte parlementaire, comme une motion, une recommandation, une résolution, etc. A sa suite, L. Yuma Biaba enseigne que « L’expression actes parlementaires désigne « toutes les mesures, autres que celles ayant un caractère législatif, qui émanent des assemblées parlementaires. Concrètement, il s’agit de mesures telles que: résolutions des assemblées, décisions ou fonctionnement de leurs commissions, de leur bureau, de leur statut... » Voir son Cours de Droit administratif et institutions administratives, Université de Kinshasa).
Or, l’auteur des requêtes estime, à tort sans aucun doute, que la lettre d’accusé de réception de la questeure contiendrait une « décision administrative » de refus de démissionner conformément à l’article 139 du Règlement intérieur prévoyant que si le Bureau ne s’acquitte pas de l’obligation de déposer dans les délais prévus le rapport, il est réputé démissionnaire. Or un acte administratif est avant tout un acte JURIDIQUE pris dans le domaine réglementaire par une autorité administrative dans les formes et procédures prévues et qui produit des effets de droit à l’égard des usagers ou encore à l’intérieur de l’administration.  Tel n’est pas le cas ici.
Par ailleurs il a cru pouvoir soumettre au Conseil d’Etat l’examen de la conformité de cet « acte » allégué à la loi. Où est l’acte juridique en question, et où est la loi qu’il aurait violée parce que le Règlement intérieur, comme on l’a vu, n’est pas une loi ?
Ainsi, juger de la conformité d’un acte ou d’une décision à un règlement intérieur ce n’est pas juger de la conformité à la loi, ce n’est pas non plus de la conformité au règlement parce que le règlement intérieur n’est pas non plus un règlement administratif. Dès lors, un tel contentieux ne relève pas de la compétence du Conseil d’Etat, juge de la légalité des actes administratifs, de leur conformité à la loi ; de fait ici il n’y a point de loi. C’est pourquoi, le juge administratif ne peut pas s’arroger le droit de juger ni être sollicité à juger de la conformité à un acte qui n’est pas une loi.
D’ailleurs, le Conseil d’Etat, ou tout autre juge, ne peut connaître d’un prétendu litige relatif au Règlement intérieur d’une chambre parlementaire, qui est un acte d’assemblée « …sont notamment exclus de la compétence du Conseil d’Etat les actes accomplis par le pouvoir législatif… » (Luc Donnay, « Le recours en annulation devant le Conseil d’Etat : évolutions législatives et jurisprudentielles récentes », p.3. »
Si le règlement intérieur d’une assemblée est violé, c’est aux organes prévus en vertu de la constitution et du même Règlement intérieur à se prononcer, conformément à l’autonomie du parlement découlant du principe de la séparation des pouvoirs. Dans le cas des chambres du parlement, ce sont les assemblées plénières qui sont compétentes pour juger de la conformité au règlement intérieur qui les organise des actes des autorités qui les dirigent. L’intrusion du juge ou son interférence dans ce domaine est une extension grave de sa compétence qui va à l’encontre des principes de démocratie et d’Etat de droit. On l’accepterait et il ne resterait plus rien de l’autonomie du parlement ni de la séparation des pouvoirs. Autre chose est un litige né du fait des actes du Bureau dans la gestion de la carrière des agents administratifs de l’Assemblée ou dans les rapports avec des tiers qui, eux, peuvent être soumis au contrôle du juge en tant qu’ils violeraient les droits des tiers ou des agents régis par leur statut.
Le professeur Vunduawe enseigne dans ce sens, d’une manière très claire, dans son ouvrage qui fait référence et autorité, le Traité de droit administratif (Bruxelles, Larcier, 2007), pp.8855 et suivantes, imité par tous ses disciples, en particulier le professeur Botakile.
De surcroît, dans l’espèce de ces requêtes il faut noter, tout en respectant le droit civique de leur auteur à saisir le juge, qu’il le fait au mépris de la preuve de l’intérêt d’agir parce que, selon Vunduawe te Pemako, les recours pour le seul intérêt de la loi sont irrecevables, le requérant devant donner la preuve de l’existence d’un intérêt personnel fondé notamment sur la violation d’un droit subjectif (VUNDUAWE TE PEMAKO, Traité de droit administratif, Bruxelles, Larcier, 2007, pp.876-877.). En effet, il n’est pas reconnu ce que nous appelons actio popularis dans ce domaine, c’est-à-dire il n’est pas reconnu un droit d’agir à n’importe quelle personne, seul celui dont un droit a été violé ou est affecté, ayant ainsi un intérêt à saisir le juge pour préserver son droit, peut agir et doit donc démontrer que ses droits subjectifs sont affectés par la décision dont il réclame l’annulation. Enfin, pour un référée-suspension, cette sorte d’accélération du temps judiciaire et de raccourci pour cause d’urgence, le requérant doit démontrer l’urgence qu’il y aurait. Or, manifestement ici il n’y a aucune urgence pour quoi que ce soit.

En conséquence, ces requêtes sont à rejeter

Il est clair que pour les raisons exposées ci-haut, portée et limites de la compétence du juge, nature des actes ou décisions attaqués ou par rapport auxquels doit être vérifier la conformité des actes attaquée et qui ne sont pas susceptibles de recours devant le juge, absence d’intérêt pour agir, absence de l’urgence, les deux requêtes devraient être rejetées, à commencer par la deuxième, celle en référée, qui devrait être examinée en premier. Il faut ne pas connaître la rigueur du grand spécialiste du droit administratif en référence ici pour croire que le Président du Conseil d’Etat et ses disciples membres de celui-ci accepteront de se contredire.

Qu’en penser ? L’Etat de droit et non un avilissement des juges

On voit qu’il y a dans ces initiatives la volonté de faire intervenir le juge dans une affaire qui relève de l’application du règlement intérieur, en particulier de savoir si le bureau, qui rend compte et adresse ses rapports à la plénière, a bien fait son travail ou non, d’appeler le juge à trancher un litige qui ne relève pas de sa compétence. Dans le cas d’un conflit qui concerne l’application du règlement intérieur, le juge administratif ne peut pas intervenir ni être sollicité, l’assemblée plénière étant souveraine en la matière. Faire autrement c’est tordre le coup à la liberté et à l’autonomie du parlement, ainsi qu’au principe démocratique fondamental de la séparation des pouvoirs.
Dans un Etat de droit, le juge est appelé à se saisir de ce que le droit lui attribue comme compétence, concernant un véritable DIFFEREND JURIDIQUE ; c’est la raison pour laquelle, par exemple dans le domaine international, le juge ou l’arbitre commencera toujours par la vérification de l’existence d’un différend JURIDIQUE, jugeant ainsi ne pas pouvoir connaître de litiges purement politiques. Toute tentative d’extension de la compétence du juge est une violation du droit à savoir une atteinte aux principes constitutionnels et légaux.
Il faut certes encourager les magistrats congolais à revendiquer leur indépendance et à agir pour se libérer de l’emprise des animateurs des institutions politiques (exécutif et législatif) ou des sollicitations-provocations des hommes politiques, ainsi que de l’emprise de l’argent. Mais, il est dangereux et malveillant d’introduire le juge dans une sphère qui ne relève pas de la nature de ses missions ni de ses compétences constitutionnelles et légales.
Autant la confusion des pouvoirs au profit du parlement (régime d’assemblée) et celle au profit de l’exécutif (autocratie), sont décriées, autant il est périlleux de conduire l’Etat vers une soumission totalitaire au juge, au mépris des normes mêmes qui régissent cette noble mission judiciaire ; le professeur J. Ndjoli ne redoute-t-il pas l’éventualité d’une sorte de troisième « dictature », celle du juge, s’ajoutant à celles que nous souffrons de la part de l’Exécutif et même du « régime d’assemblée ». Ce n’est pas en vain que depuis le 19e siècle, les vieilles démocraties cherchent à se prémunir contre ce qu’aux Etats-Unis le Président Jefferson  déjà en 1803 dénonçait comme le «despotisme d'une oligarchie » et que sous Roosevelt avec sa politique réformatrice du New Deal on déplorait comme le « judicial activism » (activisme judiciaire) et qu’en France où on s’en méfiait déjà sous la Révolution française, on appellera le « gouvernement des juges ».  
Alors que le Président de la République s’évertue à apporter sa touche à la construction d’un véritable Etat de droit démocratique, certains, mus par des motivations purement et exclusivement  politiciennes, tiennent à saisir les juridictions des litiges qui ne sont en fait que de viles querelles entre politiciens, avec la prétention d’instrumentaliser la Justice et le juge et les mettre au service de leur dessein politicien et, même, de coups bas et règlements de comptes politiques. La noble mission de la Justice et des magistrats n’est pas à ravaler au rang d’appendice des basses œuvres des politiciens, L’hyper-activisme auquel on pousse le juge dans ce domaine n’est pas l’Etat de droit, c’est une excroissance dangereuse pour la Justice et pour le juge lui-même.
Tous les démocrates et amis de la Justice et du droit devraient, contre la démagogie populiste qui se délecterait à les vilipender, se lever  et porter l’étendard de la défense de cette fonction garante de l’Etat de droit démocratique et constituer un rempart autour de notre Justice et de notre magistrature contre les coups de boutoir des politiciens qui seraient bien contents d’avilir, de rabaisser, d’assujettir et d’anéantir le pouvoir judiciaire. Certains beaux esprits, sans arguments, feindront de demander « pourquoi on ne disait rien sous Kabila ? » Eh bien, outre le fait que c’est justement ce contre quoi se bat aujourd’hui le Chef de l’Etat et à quoi il ne faut pas revenir, j’ai la prétention d’affirmer que moi je le disais, ayant été le seul à inscrire dans la condition et à défendre le contenu et l’indépendance d’un pouvoir judiciaire étendu au Parquet pour que, comme leurs collègues du siège, les magistrats du parquet soient également indépendants. J’ai été seul, une voix dans le désert, à me lever contre la réduction du pouvoir judiciaire amputé du parquet en 2011, justement par ceux qui, aujourd’hui, politique et non droit, se trouvent parmi ceux qui vocifèrent pour, après avoir réduit la Justice en 2011, s’afficher en défenseurs de l’indépendance du juge, le poussant dans une voie d’asservissement dans leur intérêt politicien.

Prof Auguste MAMPUYA K’a-T.