RDC : "Le professeur Boshab et le régime primo-ministériel : Nuances politologiques" (Tribune Kabasu Babu)

Jeudi 26 novembre 2020 - 12:36
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Le savant congolais du Droit Constitutionnel, auteur de plusieurs ouvrages référentiels, le Professeur Evariste Boshab a causé un ouragan de réactions dans le champ politique et intellectuel, avec son énoncé d’un régime « primo-ministériel » en RDC. Concept aux consonances martiennes ayant atterri avec fracas dans l’espace médiatique, bousculant le registre lexical politique congolais déjà brumeux, relèvent les uns. Notion porteuse de confusion dans un univers intellectuel où la typologie classique des régimes politiques adoptés dans divers projets de société des partis politiques et expérimentés depuis 1960, est quasiment sculptée dans nos esprits, observent les autres. A l’antipode, objections mutilatrices du savant par les « politicailleurs » et autres pseudo-intellectuels oxydant l’arène politique Congolaise. 

Ma contribution cogitative a pour visée d’apporter une nuance conceptuelle et empirique sur cette notion de régime primo-ministériel du point de vue politologique. Ma démarche gravite autour de trois axes. Le premier établit que le régime primo-ministériel est originellement et fonctionnellement synonyme du régime parlementaire pur dans la typologie classique des régimes politiques en Sciences politiques. Mais dans une certaine mesure, ce type de régime peut avoir une variante dans le régime semi-présidentiel. Toujours dans le prisme politologique, et au-delà de la normativité constitutionnelle encapsulée dans l’énoncé générique du Professeur Boshab, le deuxième point relève que l’effectivité de la primo-ministérialité est aussi fonction de la maestria politique du premier ministre lui-même. Le troisième axe déplore le silence ou l’absence des professeurs de Sciences Politiques dans les débats nationaux majeurs et insiste sur la dimension systémique de la crise politique. La conclusion souligne que le président de la République et le premier ministre portent tous deux une part de responsabilité dans les déficiences du régime politique. Ainsi donc la RDC a besoin du déploiement d’une intelligence synergétique pour corriger les dysfonctionnements du régime politique congolais.   

1.    LE CONCEPT DE « REGIME PRIMO-MINISTERIEL » EST ORIGINELLEMENT ET FONCTIONNELLEMENT SYNONYME DU REGIME PARLEMENTAIRE CLASSIQUE CERNE PAR LA VARIABLE EXECUTIVE.  

D’abord, Il convient de relever que l’énoncé du Professeur Boshab est d’une immense pertinence car il fait bifurquer le débat sur une nouvelle piste d’intelligence cogitative nationale. Elle impose une archéologie des rayons du pouvoir exécutif dans la configuration politique binaire président versus premier ministre en RDC. Cette perspective est d’autant plus saillante que la crise actuelle a aussi comme une des causes premières ce que j’ai conceptualisé depuis l’année passée comme étant la propension d’un présidentialisme impérial. Dans cette optique, sans être nécessairement porteur d’une mauvaiseté ontologique, le Président F. Tshisekedi a tendance à exercer ses pouvoirs au-delà des normes inhérentes au régime semi-parlementaire (semi-présidentiel) dont les principes sont encastrés dans notre Constitution. Les cas du programme de 100 jours et du programme présidentiel de la réduction de la pauvreté (dont aucune évaluation n’est connue à ce jour), des nominations des généraux et juges de la Cour Constitutionnelle en dehors des procédures de gouvernance étatique prévues par l’Article 81, de l’imposition au Gouvernement des décisions coulées dans la communication du président au Conseil des Ministres, notamment, sont éloquents.  Refuser de voir cette réalité en la justifiant avec le contorsionnisme interprétatif constitutionaliste, c’est soutenir une fallacieuse perfection absolue dans le fonctionnement de l’institution Président de la République. 

Cependant, au plan d’une exploration politologique, l’énoncé du Professeur Boshab rend compte d’une double donne normative et empirique méritant d’être disséquée. Il est d’abord indispensable de préciser que le Professeur Boshab n’a pas inventé ce concept – contrairement aux accusations de certains politiciens populistes. Cette notion est utilisée dans plusieurs réflexions sur les possibilités des reformes du régime politique Français (voire Olivier Duhamel, « Deuxième solution radicale : le système primo-ministériel » in Le Quinquennat, 2008, pp. 65-73 ; «Vers une VIe République primo-ministérielle » in Les Echos, 2002).  Deux aspects historique et fonctionnel méritent d’être relevés. A l’origine ce régime est de nature essentiellement parlementaire classique.  Ce régime d’un premier ministre aux pouvoirs exécutifs prééminents est apparu au Royaume Uni en 1721 avec Sir Walpole. Ayant été la conséquence de la Révolution dont l’ultime visée fut la fin de l’absolutisme avec les pouvoirs impériaux du monarque, ce régime consolida les prérogatives gouvernementales prédominantes du premier ministre. En revanche, en France où prévaut le régime semi-présidentiel aux connotations hégémoniques Gaullistes (d’où sont tirés quelques aspects du régime politique Congolais), certains penseurs ont envisagé l’amputation des pouvoirs du président au profit du premier ministre pour donner à ce pays un régime primo-ministériel (Christophe Premat, « Des institutions politiques adaptées à notre temps », in Erudit, 2014 ; « Pour un régime primo-ministériel et une dose de proportionnelle » in L’Humanité, 2005).  

Au plan fonctionnel, comme son appellation l’indique, en effet, le régime primo-ministériel se caractérise par la prédominance exécutive du Premier Ministre et son rôle exclusif dans la conception et l’implémentation de la politique de l’Etat. A telle enseigne que le régime primo-ministériel est en réalité synonyme du régime parlementaire car ce concept souligne l’exercice exclusif des prérogatives exécutives par le premier ministre. Dans les cas du Royaume Uni, de l’Inde ou d’Israël, le Roi (la Reine) où le Président non élu, donc dénué de légitimité populaire, exerce un pouvoir de type symbolique ou protocolaire. Il incarne l’unité et la souveraineté nationale, notamment par rapport aux relations internationales. Néanmoins pour Dominique Rousseau, dans une certaine mesure le régime semi-présidentiel bascule dans le mode primo-ministériel en cas de cohabitation. N’ayant pas la majorité parlementaire le président de la République perd la capacité politique d’impulser la politique de la nation. Le premier ministre devient alors le principal animateur du pouvoir exécutif (Dominique Rousseau, « La République sans fétichismes », in Le Monde 2002). 

2.    LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DE LA RDC N’EST PAS PROTOCOLAIRE FACE A UNE PRIMO-MINISTERIALITÉ PREEMINENTE 

La philosophie politique républicaine a orienté la composition de la Constitution de la RDC, par rapport aux expériences d’un président Kasavubu vulnérable face au Parlement (hyperpuissant, dont le Premier Ministre est le prolongement exécutif), et de l’absolutisme de Mobutu détenteur des pouvoirs totalitaires. Cependant, la rationalité républicaine des pouvoirs équilibrés, évitant de diluer le président de la République dans la vacuité exécutive (que rejetèrent les Gaullistes), a injecté un mécanisme collaboratif dans la gouvernance de l’Etat. Donc contrairement à la doxa constitutionaliste d’un premier ministre détenteur du monopole de l’action gouvernementale, il est en réalité co-auteur (en amont) et principal exécutant (en aval) tout en portant la responsabilité devant le parlement. Cela est établi dans l’Article 91 qui prescrit la concertation entre le président et le premier ministre dans la définition de la politique nationale et la collaboration dans les secteurs stratégiques de la défense, la sécurité et les affaires étrangères. Historiquement on parlerait du régime primo-ministériel stricto sensu de 1960 à 1965. Etant une transposition non substantiellement réfléchie du parlementarisme Belge, ce régime-là fit de Kasavubu (élu au second degré par le Parlement) un président fragile et quasi-protocolaire. C’est sa tendance à vouloir exercer des pouvoirs excessifs au-delà des prescriptions constitutionnelles (comme aujourd’hui), qui fit de lui l’épicentre des rebellions en 1963 et du coup d’Etat en 1965. 

Dans le cas de la RDC, la notion d’un régime primo-ministériel n’est pas inadéquate mais relativisable. Primo sur le plan normatif, les principes édictés dans la constitution sont ceux d’un régime semi-présidentiel (semi-parlementaire). Le président de la République est élu au suffrage universel direct, participe à la conception des politiques publiques (Article 91), possède des rayons des pouvoirs concurrentiels et détient la primauté de la validation des actes décisionnels d’Etat (pouvoir ultime sur le Conseil des Ministres, validation primordiale des décrets, pouvoir de dissolution de l’Assemblée sur base de certaines conditions, etc.). Sous cette lumière, ni la volonté générale rousseauiste, ni sa codification dans la constitution, ne prescrivent donc un président d’apparat comme dans un régime parlementaire, créant de jure et de facto une prééminence primo- ministérielle.

En revanche sur le plan empirique la réalité inhérente à l’anthropologie politique et à la nature relationnelle-concurrentielle du pouvoir sont à cerner. Les prérogatives primo-ministérielles sont en réalité aplaties non pas exclusivement par la tendance hégémonique du Président F. Tshisekedi, mais aussi par un déficit de charisme (une ressource du pouvoir) du Premier Ministre. En d’autres termes, ce n’est pas seulement la normativité déclarée dans la constitution qui révèle « la primo-ministérialité » pour ainsi dire. Même sans normativité constitutionnelle, la primo-ministérialité peut jaillir par la virtuosité politique et gouvernologique du chef du Gouvernement. Dans le cas actuel de la RDC, même les rayons du pouvoir exécutif attribués à la fonction du chef du Gouvernement par la Constitution ne sont pas exercés avec une brillance valorisant le rôle d’animateur principal des opérations exécutives du Gouvernement. Cela est aussi dû au fait que le premier ministre n’est pas le leader politique de la majorité comme cela est la pratique dans les régimes à essence parlementaire.  Cet aléa affecte aussi la performance exécutive du premier ministre. Dans le cas du Président Honoraire J. Kabila sa personnalité d’un «ego-maitrisé » a rendu possible une primo-ministérialité performante du chef de Gouvernement Matata, qui était lui-même porteur de talent novateur. En plus, concernant la RDC, même dans le cas de la cohabitation, le principe de consultation-collaboration édicté dans l’Article 91 rendra quasi-impossible un basculement dans la primo-ministérialité envisagée par Dominique Rousseau pour la France. 

 
3.    LE SILENCE DES PROFESSEURS DES SCIENCES POLITIQUES FACE A LA REALITE D’UNE CRISE DU SYSTEME POLITIQUE AU-DESSUS DU REDUCTIONNISME CONSTITUTIONNALISTE  

Sur ce rayon, on peut déplorer le silence, voire l’absence des contributions saillantes de ceux qui étudient la Science du Pouvoir (la science architectonique dont l’objet d’étude, le pouvoir, décide de tous les autres secteurs d’activité dans la sphère de l’existence collective, dixit Aristote), principalement les Professeurs des Sciences Politiques. Pourtant, la RDC possède d’excellents politologues d’un calibre académique luminescent. Cependant, il leur manque l’impulsion de l’intellectualité spécifique porteuse de la parrêsia prescrite par Michel Foucauld. C’est-à-dire la « vaillance » de dire la vérité de sa science précise à la société.  Beaucoup se sont résignés au sort de fonctionnaire enseignant dont l’éthique universitaire proscrirait tout discours public sur sa collectivité. Pourtant cette époque-là est révolue. La démocratie moderne étant délibérative comme le souligne Habermas, l’universitaire doit aussi se démocratiser. Il est appelé à s’auto-capitaliser au profit de l’émancipation intellectuelle du peuple (démos) grâce à la vérité libératrice dévoilée sur la société par la science. Les Professeurs des Sciences Politiques ont le devoir d’illuminer la société dans la perspective de l’intelligence synergétique pour le progrès sociétal.  

Sous cette lumière, il est d’une indispensable de souligner que la crise actuelle est en profondeur et en substance une crise du système politique. La manifestation juridiste-institutionnelle sur laquelle les constitutionalistes fixent nos esprits, n’en constitue pas la causalité centrale, mais une expression symptomatique des contradictions et inadéquations du système politique dans sa totalité. En d’autres termes, les violations répétées de la Constitution ne se réduisent pas simplement aux occurrences de non-conformité au texte fondamental. Il s’agit-là d’une problématique polygonale du système politique touchant aux idéologies mimétiques et inopérantes, à la résurgence de la mentalité du pouvoir ancestral total, à la culture politique paroissiale et la socialisation politique Zaïroise. Cela est couplé au sous-développement des partis politiques réduits aux conglomérats tribaux-courtisans, à une opposition inféconde en proposions des politiques publiques alternatives et une société civile vassalisée. Sur ce registre on repère également la praxis de leadership et la gouvernance artisanaux incapables de propulser la navigation socioéconomique accélérée vers l’émergence. Il s’y ajoute, au regard de l’expérience de deux décennies de la démocratisation pluraliste et ses contradictions, la problématique de l’inadéquation du régime politique et de la forme de l’Etat ainsi que du paradigme de la sécurité nationale et de notre ambition géostratégique.  Donc, la problématique du régime politique n’est qu’une partie du puzzle. 

CONCLUSION

LA NECESSITE DE LA CORRECTION DES DYSFONCTIONNEMENTS DU REGIME POLITIQUE EN RDC PAR UNE INTELLIGENCE SYNERGETIQUE

Le leadership national de 2001 à 2018 ayant construit les matériaux fondamentaux du système politique dans sa configuration légale et institutionnelle, la dispensation de l’alternance avait pour mission historique et sociétale de proposer les termes de l’amélioration en substance avec virtuosité et vélocité. Cela tant en termes de nouvelles idée-forces de traction nationale, que de la gouvernementalité  disjonctive et mutationnelle. La crise actuelle est donc le reflet d’un leadership politique tant au niveau national que provincial dénué d’une théorie du changement (« theory of change » pour reprendre la formule harvardienne) et des projets transformationnels conséquents dans les pans fondamentaux déficitaires du système politique cernés ci-haut.  Cet effort rationnel, systématisé et minutieusement évalué et corrigé progressivement, est de portée nationale et à responsabilité multipartite dans toute la société grâce à un leadership développemental à la proue de l’Etat.  

Si le régime prescrit par la constitution ne fonctionne pas en conformité avec les pouvoirs prescrits pour propulser le progrès escompté, le Président de la République porte sa responsabilité indéniable (à moins de clamer fallacieusement son infaillibilité et sa perfection absolue). Mais, il est partial d’inférer que le régime politique de la RDC serait primo-ministériel, suggérant par-là que le Président de la République serait astreint à une opérationnalité protocolaire, impliquant qu’il devrait s’effacer (à l’instar du président indien ou Israélien) en faveur d’un premier ministre assumant des hyperpouvoirs. Cela n’est ni conforme à la philosophie républicaine de cette constitution ni à ses énoncés principiels. S’il est vrai que le Président F. Tshisekedi déborde continuellement des limites de ses prérogatives exécutives prévues par la constitution, il est tout aussi factuel que le Premier Ministre Ilunkamba n’a pas démontré une maestria de capitalisation de sa part des prérogatives exécutives pour impulser un gouvernement performant. L’énoncé du Professeur Boshab aura eu le mérite de nous aider à mieux cerner la réalité des responsabilités partagées dans les déficiences du régime semi-parlementaire congolais. Cela démontre une fois de plus que le salut national est dans une intelligence synergétique, par la conjonction des forces, plutôt que dans la fragmentation dans une annihilation mutuelle – une inanition collective. Comme l’a si bien souligné Samuel Huntington, pour consolider la démocratie les élites devraient collaborer au lieu de sombrer dans l’adversité régressive. 

Imhotep Kabasu Babu Katulondi. 

Libre-penseur, écrivain, politologue et initiateur de l’AGORA DES GARDIENS INTELLECTUELS DE LA REPUBLIQUE « AGIR NEW CONGO » (www.agirnewcongo.org)