
Tanganyika : la "Théorie de la couverture du vice de Forme" à la rescousse de l'Assemblée provinciale
En RD Congo, l'actualité politique reste toujours active , mouvementée et regorge des leçons magistrales de stratégie politique.
Le cas de la destitution du Gouverneur du Tanganyika , Zoé kabila , et la chute de son gouvernement par une motion de censure votée par 13 Députés provinciaux, suscite un sentiment de joie pour d'aucuns et, de tristesse ou de mécontentement pour d'autres !
Ce cas interpelle par ailleurs, nombre d'observateurs, d' acteurs et de témoins de la vie politique de la RD Congo.
Le débat contradictoire semble être vif et nourri des thèses et avis divergents, diversifiés et variés .
On assiste dans une certaine mesure , à la " guerre de tranchées " de thèses et d' opinions.
Dans cette acception, chacun des débatteurs veut avoir raison en tirant la couverture de son côté , selon son obédience.
C'est pourquoi, une lecture scientifique rigoureuse appuyée par la Neutralité Axiologique , devrait entrer en lice afin de tenter d'éclairer la lenterre de nombre d'observateurs, d' acteurs et de témoins de la vie politique de la RD Congo.
D'entrée de jeu , soulignons toutefois que , contrairement à ce que soutiennent et croient certains débatteurs, la Science semble venir à la rescousse de l'Assemblée provinciale du Tanganyika, de ses 13 députés pétitionnaires et tombeurs du Gouverneur Zoé Kabila et de son Gouvernement ; de par une des théories centrales du Droit administratif : la " *Théorie de la Couverture du Vice de Forme "*
MA RÉFLEXION
Effectivement, la " *Théorie de la Couverture du Vice de Forme* " couvrirait l'Assemblée provinciale du Tanganyika, ses 13 députés provinciaux pétitionnaires et, tombeurs du Gouverneur Zoé kabila et de son Gouvernement .
Question :
Que vient faire cette théorie du Droit administratif dans un débat qui semble être centré sur une matière constitutionnelle car on parle soit de la constitutionnalité ou de l'inconstitutionnalité d'un acte pris par une Assemblée provinciale et non d'un acte pris par un Gouvernement provincial ; soit d'un recours en interprétation devant le juge constitutionnel pour qu'il donne son avis sur une disposition constitutionnelle supposée, violée, en l'occurrence, " le droit de la defense" ?
Réponse :
Commençons d'abord par souligner que la Constitution est une des sources du Droit administratif.
Dans cette lignée, rappelons aussi qu'en RD Congo :
une " _Province est une composante politique et administrative du territoire de la République._ " ( art. 2 al. 1er de la loi n° 08/012 du 31 juillet 2008 portant Principes fondamentaux relatifs à la libre administration des Provinces).
En d'autres termes, une Province est aussi une structure administrative d'un Etat.
Donc , la Province du Tanganyika est aussi, une structure administrative de l'État congolais.
Dans ce même ordre d'idées , l'article 7 alinéa 1er de la même loi , n° 08/012 du 31 juillet 2008 portant Principes fondamentaux relatifs à la libre administration des Provinces , nous renseigne que l'Assemblée provinciale est _l' Organe délibérant de la Province_ .
Donc , l'Assemblée provinciale en tant qu' Organe délibérant d'une Province ,
fait ainsi partie d'une structure administrative de l'Etat congolais, en l'occurence, la Province.
Par ailleurs, l' article 1er du Décret-Loi n° 017/2002 portant Code de conduite de l'Agent Public de l'État nous rappelle que :
Un "Agent Public de l'État " est :
" _toute personne qui exerce une activité publique de l'État et /ou rémunérée par ce dernier._ "
Cet article met en outre, en exergue un certain nombre de personnes considérées comme " notamment " , " Agents Publics de l'Etat".
" _Les membres du Gouverment_ " ainsi que les " _membres du Parlement_ " sont cités , ils sont donc des Agents Publics de l'Etat congolais.
Dans cette lignée, les Gouverneurs de provinces ainsi que, les Députés provinciaux sont aussi des Agents Publics de l'Etat Congolais. Et de surcroît, ils exercent une activité publique de l'État qui est rémunérée par ce dernier.
En outre , en ce qui concerne les membres du Gouvernement provincial , l'article 24 alinéa 1 et alinéa 3 de la loi n° 08/012 du 31 juillet 2008 portant Principes fondamentaux relatifs à la libre administration des Provinces, renchérit :
" _Avant leur entrée en fonction et à l'expiration de celle-ci, les membres du Gouvernement provincial sont tenus de déposer devant la Cour administrative d'appel , la déclaration écrite de leur patrimoine familial [...]_ " ( alinéa 1)
" _La Cour administrative d'appel communique cette déclaration à l'Administration fiscale_ " ( alinéa 3)
Ici, on parle bien, de la Cour administrative d'appel et non de la Cour Constitutionnelle.
Par ailleurs, la Science administrative nous renseigne que l'Administration publique est composée des services et des agents.
Dans ce sens , les Députés provinciaux et les Gouverneurs de provinces, en tant qu'Agents Publics de l'Etat congolais font donc partie de l'Administration Publique congolaise.
Or, le Droit administratif est l'approche juridicisée de l'Administration.
Donc, nous restons toujours dans une matière administrative.
Dans ce même ordre d'idées, le Droit administratif en tant que l'ensemble des règles juridiques autres que celles du Droit constitutionnel, qui fixent l'organisation, les attributions et les modalités de fonctionnement des structures administratives d'un Etat ; trouverait ainsi son expression.
Dans un autre registre , soulignons toutefois qu' une " motion de censure" est un acte d'Assemblée , donc un acte parlementaire.
Elle est en réalité, un acte non législatif, c'est-à-dire , un acte pris par une Assemblée dans le cadre de sa mission de contrôle qu'elle exerce sur un Gouvernement et , non dans le cadre de sa mission de légiférer, d'élaborer des lois.
Sous cet angle , tous les actes parlementaires ne sont pas nécessairement législatifs car dans la typologie des actes parlementaires, il y a : des actes législatifs et des actes non legislatifs
Pour rappel, en ce qui nous concerne, cette " motion de censure" a été votée par 13 Députés provinciaux du Tanganyika.
Donc, cette " motion de censure" a été votée par des parlementaires provinciaux.
Comme une "motion de censure" est un acte parlementaire non législatif, dans le sens où , c'est un acte pris par des parlementaires mais , en dehors de leur domaine de " légiférer " ;
Et comme en RD Congo , un parlementaire est un Agent public de l'Etat ; donc une motion de censure est par extension, un acte non législatif pris par des Agents Publics de l'Etat, en l'occurrence, des Parlementaires.
Et de surcroît, comme à travers cette motion de censure, nous sommes dans le domaine du contrôle qu'exerce l' Assemblée pronviciale sur le gouvernement provincial , c'est-à-dire en dehors du domaine de " légiférer " ( par des édits) qui est la mission centrale de cette Assemblée provinciale ;
nous pouvons ainsi soutenir , qu'une motion de censure en tant qu'un acte parlementaire non législatif est un acte politique dont le recours en annulation pour inconstitutionnalité ne peut relever de la compétence du juge constitutionnel car le recours en annulation pour inconstitutionatalité devant la Cour Constitutionnelle ne se fait que pour des actes législatifs ( art. 160 al. 1 er et art. 162 al. 2 de la Constitution) , comme entre autres, les " edits" des Provinces.
En clair, une motion de censure votée par une Assemblée provinciale n'est pas un " édit" ! Donc , c'est un acte non législatif.
Cependant, le juge constitutionnel peut toujours être saisi afin de donner son avis à un recours en interprétation sur une disposition constitutionnelle supposée, violée, lors de la procédure d'une motion de censure.
Dans le cas du Gouverneur déchu , Zoé kabila, on parle du non-respect du " droit de la défense " ( art. 19 al. 3 de la Constitution).
Question :
Comme une motion de censure est un " Acte d'Assemblée " , un acte non législatif, elle est en réalité un acte politique à 'instar de l' " Acte de gouvernement " ; quelle est alors , la juridiction compétente pour l'annuler?.
Réponse
Il y a un vide Juridique là-dessus. La Constitution ou la loi restent muettes à ce sujet !
C'est pourquoi à l'instar des actes politiques, les juridictions devraient se déclarer incompétentes pour annuler les décisions qui ressortent des motions de censure ou de défiance.
Toutefois, en ce qui nous concerne, cette motion de censure " controversée " , nous renvoient en réalité, à un différend qui oppose des Agents Publics de l'État congolais qui font partie d'une structure administrative de l'Etat congolais, en l'occurrence, la Province du Tanganyika.
Dans ce sens, nous avons donc, d'une part, des Députés provinciaux de la Province du Tanganyika qui sont avant tout, des Agents Publics de l'Etat et, d'autre part, les membres du Gouvernement de la province du Tanganyika , qui sont aussi des Agents Publics de l'Etat.
Or , en RD Congo, les Agents Publics de l'Etat sont soumis au Droit administratif.
Toutes ces gymnastiques intellectuelles nous montrent et démontrent à suffisance que nous sommes d'ores et déjà, dans une matière administrative.
Question :
Les débatteurs qui rejettent la destitution du Gouverneur Zoé kabila et la chute de son Gouvernement , évoquent le non-respect de
L' article 19 alinéa 3 de la Constitution qui stipule :
" _Le droit de la défense est organisé et garanti._ "
Sachant que le Gouverneur Zoé kabila n'a pas été entendu et n'a pas pu se défendre mais , a été toutefois destitué ; comment expliquer la couverture du vice de procédure ou du vice de Forme?
Réponse :
En effet, le Gouverneur déchu Zoé kabila n'a pas pu se défendre. Mais toutefois ce vice de forme serait couvert.
Le Droit administratif en tant qu'une discipline scientifique s'intéressant et, s'occupant notamment , aux / des droits, devoirs et libertés des Agents Publics de l'Etat, donne ainsi, les béquilles à l'Assemblée provinciale en couvrant ainsi les 13 Députés provinciaux pétitionnaires et tombeurs de Zoé kabila et de son Gouvernement., de par une de ces théories centrales : la
" *Theorie de la Couverture du vice de forme "*
Question:
Comment ?
Comme nous venons de le souligner ci-dessus ; partant du fait qu'en RD Congo , le Gouverneur d'une Province et les membres de son Gouvernement sont des Agents Publics de l'Etat , ils sont aussi des autorités administratives; et sachant que les Députés provinciaux sont aussi des Agents Publics de l'Etat et que le Droit administratif s'occupe aussi des droits, devoirs et libertés des Agents Publics de l'Etat, donc des Agents faisant partie de l'Administration publique de l Etat ; et, sachant que nous ne sommes pas dans une matière législative car une motion de censure est un acte non législatif; elle est en réalité , un acte posé suite au contrôle qu'exerce une Assemblée provinciale sur des autorités administratives; en ce qui nous concerne, sur le Gouverneur Zoé kabila et les membres de son Gouvernement ; c'est dans ce sens que le Droit administratif trouve son expression !
En Droit administratif, respecter " le droit de la defense" c'est respecter une " Forme préalable" .
Respecter une " Forme préalable " c'est respecter ce que la Constitution ou la loi ou la règle de droit , exige et entoure avant de prendre une décision ou statuer.
En Droit administratif, le non-respect d'une Forme n'entraîne pas la nullité de la décision ou de l'acte *si la cause est étrangère* !
Dans le cas qui nous concerne, l' article 41 alinéa 3, la loi n° 08/012 du 31 juillet 2008 portant Principes fondamentaux relatifs à la libre administration des Provinces, stipule qu'en cas d'une motion de censure ou de défiance::
" _Le débat et le vote ne peuvent avoir lieu que quarante huit heures après le dépôt de la motion [...]_ " ;
Or le Gouverneur Zoé kabila ne s'était pas présenté et, l'Assemblée provinciale l'a destitué.
Question :
Il y a-t-il un vice de forme ?.
Réponse :
En apparence, Oui.
Question:
S'il y a vice de forme alors le Gouverneur Zoé kabila devra être rétabli dans ses fonctions ?
Réponse :
En Droit administratif, Non
Question:
Pourquoi ?.
Car la " *Theorie de la Couverture du Vice de Forme* " donne les béquilles à l'Assemblée provinciale du Tanganyika. .
Cette " *Théorie de la Couverture du Vice de Forme* " nous renseigne que le juge ne prononcera pas l'annulation de l'acte bien qu'il ne respecte pas certaines formes.
Question:
Pourquoi?
Réponse :
*Le vice de Forme peut être couvert s'il est imputable à une cause étrangère.*
Ces causes étrangères sont:
1. Si cette cause est un cas de *force majeure ou une impossibilité matérielle* ( exemple : circonstances de guerre)
- dans le cas du Gouverneur Zoé Kabila, cela ne se justifie pas car Il n'y a eu un cas de force majeure ni une impossibilité matérielle
2. Si cette cause étrangère consiste au *comportement de l'intéressé* , *du concerné*
" Nul ne peut invoquer sa propre turpitude"
- Dans le cas du Gouverneur destitué Zoé kabila, s'il est réellement vrai, qu'il avait la possibilité de se rendre à l'Assemblée provinciale de Tanganyika pour y répondre et se défendre, et qu'il l'aurait boycotté ; sa destitution serait légale car ce serait de sa faute. Dans ce cas, il s'agirait bien d'un refus de sa part et, comme l'Assemblée provinciale de Tanganyika était dans l'obligation de statuer , elle l'a destitué. Donc, la faute ne serait pas de l'Assemblée provinciale.
3. Si cette cause étrangère consiste dans *le comportement d'un tiers*
- Dans le cas du Gouverneur destitué Zoé kabila, des débatteurs qui le soutiennent, avanceraient qu'il aurait été bloqué à kinshasa par son autorité de tutelle et ne pouvait pas pour ce faire, se rendre à l'Assemblée provinciale du Tanganyika pour y répondre et se défendre, nonobstant sa demande de retourner dans la Province qu'il dirigeait , ou sa volonté de se défendre.
Même si cette hypothèse s'avérerait vraie, la faute ne serait pas imputable à l'Assemblée provinciale du Tanganyika car ce n'est pas elle qui aurait bloqué ce Gouverneur déchu. Cette faute serait imputable au comportement d'un tiers, c'est-à-dire, de l'autorité de tutelle du Gouverneur déchu. Et l'Assemblée provinciale n'y serait pour rien. Elle était dans l'obligation de statuer. Donc sa destitution est légale.
En somme, je viens de démontrer qu'en réalité, une motion de censure dans le cas considéré, est un acte non législatif posé par des Agents Publics de l'Etat, appelés Députés provinciaux suite au contrôle qu'ils exercent sur d'autres Agents Publics de l'Etat, appelés Gouverneur de province et les membres de son Gouvernement, qui sont aussi des autorités administratives.
Les gymnastiques intellectuelles faites, nous ont montrés à suffisance qu'une lecture administrative était indispensable pour l'intelligibilité de cette problématique.
" *Scientia Vincere Tenebras* " ( La Science Vaincra les Ténèbres)
Prof. Jean-Denis Kasese
Professeur à l'Université Pédagogique Nationale (UPN)
Professeur Associé et Chercheur à l'Université Libre de Bruxelles (ULB)