Professeur Augsute Mampuya : "Par son arrogance, Kagame ne mérite aucun ménagement"

Samedi 22 mai 2021 - 09:27
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7SUR7

La dernière déclaration du président rwandais Paul Kagame sur les crimes commis à l'Est en République démocratique du Congo continue à susciter des réactions au sein de l'opinion nationale. 

En effet, lors d'une interview accordée à deux médias français lundi dernier, en marge du sommet de Paris sur les économies africaines, le chef de l'État du Rwanda a déclaré qu'il n'y a pas eu des crimes commis par des armées étrangères dans les Kivus. Pour lui, c'est la "théorie du double génocide qui est à l'œuvre". Il avait aussi qualifié le Prix Nobel de la paix 2018, le docteur congolais Denis Mukwege, qui réclame l'application du rapport Mapping, de quelqu'un manipulé par des "forces obscures".

Ces propos ne sont pas passés inaperçus en RDC. Ils ont suscité de l'indignation et de l'émoi auprès des congolais. Certains ont appelé à des manifestations devant l'ambassade du Rwanda à Kinshasa. Dans une interview accordée à 7SUR7.CD ce samedi 22 mai 2021, le professeur Auguste Mampuya est revenu sur ce sujet. Il a affirmé que Paul Kagame, par son "arrogance, ne mérite aucun ménagement". Dans cette interview, le constitutionnaliste revient sur les raisons de l’échec pour le moment d’attraire devant la justice internationale le Rwanda contrairement à l’Ouganda. Quant à la réaction officielle, le professeur la trouve pas assez large car le ministère des affaires étrangères ainsi que les deux chambres du Parlement devraient aussi réagir, pas seulement le président de la République.

(Ci-dessous l’intégralité de cette interview)

7SUR7 : Tout le monde sait que le Rwanda était avec l’Ouganda dans l’agression que notre pays a subie en 1998, peut-être même en y jouant le rôle de locomotive. Mais tout le monde est également étonné que seul l’Ouganda ait été jugé par la justice internationale. Qu’est ce qui explique que le Rwanda échappe ainsi à la justice ?

AM : C’est une situation qui a énervé beaucoup de gens, en premier les victimes congolaises de l’Est de notre pays, de voir que l’un de nos deux agresseurs de 1996 et de 1998, sans doute le plus grand, n’ait pas été inquiété par la justice internationale, ni pour les crimes commis par ses armées (responsabilité de jus in bello) ni pour l’agression elle-même (responsabilité de jus ad bellum). Mais, tous les internationalistes savent que si les décisions de la justice internationale sont obligatoires pour les parties ayant comparu devant elle pour un différend qui les oppose, aucun Etat n’est cependant obligé de répondre devant les instances judiciaires internationales, en particulier la Cour internationale de justice de La Haye, sans son consentement,  soit en reconnaissant à l’avance que les différends entre lui et d’autres Etats soient soumis à la Cour soit qu’à la survenance d’un différend son consentement à soumettre ce dernier à la Cour soit sollicité et obtenu notamment par l’autre partie au différend. Dans notre cas, si  la RDC a prouvé sans contestation aucune que l’Ouganda avait reconnu la compétence de la Cour pout tout différend, il ne réussit pas à le faire pour le Rwanda. En effet, lors d’une première requête, il fut manifeste que, en l’absence d’une déclaration d’acceptation de la compétence obligatoire de la Cour, celle-ci ne pouvait pas être valablement saisie et être compétente pour en juger ; tandis qu’à une deuxième requête (2002), la RDC fit appel à plusieurs traités et conventions comprenant une clause de reconnaissance de la compétence de la Cour et qui liaient les deux Etats, il se trouva qu’à chaque fois le Rwanda avait exclu la clause compromissoire reconnaissant la compétence de la Cour internationale de justice. C’est ainsi que, à la différence du cas de l’Ouganda, cette Cour n’a pas pu connaître judiciairement du cas d’agression dont tous les Congolais accusent encore le Rwanda.

7SUR7 : L’impunité du Rwanda est donc irréversible ? On ne peut plus rien faire pour rattraper la situation ? Faiblesse diplomatique ?

AM : La Cour internationale de justice n’est pas l’unique cadre de règlement pacifique des différends entre Etats. Il y a avant tout le cadre diplomatique, les deux Etats discutant de leurs relations et s’accordant à en régler tel aspect par la négociation. Concrètement, la RDC, au cours d’une telle éventuelle négociation, mettrait cet aspect de la responsabilité et des réparations sur la table pour amener le Rwanda à reconnaître sa responsabilité et à accepter de réparer. L’occasion nous en avait été donnée lors de la conclusion des deux « accords de paix », l’accord de Pretoria (30 juillet 2002) avec le Rwanda, et l’accord de Luanda (6 septembre 2002) avec l’Ouganda, mais ces aspects n’y furent pas évoqués. Je connais personnellement les négociateurs congolais de ces accords, je ne crois pas que ce fut par ignorance, mais la RDC négociait en position de faiblesse, avec une bonne partie du territoire encore occupée par les armées des deux Etats, vainqueurs triomphants défiant l’ONU et l’UA, une armée à sa propre recherche et un gouvernement vacillant ; les deux accords se limitèrent à envisager les conditions de l’évacuation du territoire congolais, celui de Pretoria n’évoquait même pas quelque litige que ce soit, tandis que celui de Luanda parlai dans l’une de ses dispositions des « relations judiciaires » mais se contenta de les renvoyer à des recherches d’arrangements à l’amiable, qui n’eût pas lieu. Aujourd’hui il est sans doute trop tard pour une telle voie, difficile d’identifier les autorités congolaises qui, dans le rapport de force actuel, toujours défavorable à notre pays, seraient capables de convaincre diplomatiquement un Kagamé hautain et supérieur pour qu’il s’humilie à accepter qu’il a commis une agression en RDC et y a commandité des centaines de crimes internationaux.
Une autre possibilité de recourir à la Cour de La Haye existe. En effet, avec un Etat dans la situation du Rwanda n’ayant pas reconnu la compétence de la Cour, le Règlement de celle-ci prévoit que la RDC, en l’occurrence, pourrait solliciter et obtenir du Rwanda son consentement pour que le différend soit malgré tout soumis à la Cour. Avec le caractère exécrable de nos relations en ce moment, avec le mépris maintes fois exprimé de Kagamé à l’égard de la RDC tout en fricotant avec certaines de ses autorités, sauf véritable délivrance et guérison miraculeuse du maître du Rwanda, cette éventualité est difficilement envisageable, alors que Kagamé dit à la ronde n’avoir rien fait de mal en RDC. 

7SUR7 : Comment jugez-vous les derniers incidents en marge de la conférence de Paris ?

AM : Après avoir fait chanter Paris depuis des années et avoir vu la France, réagissant mal à ce que tout l’Occident avait considéré comme un remord collectif, une sorte de sourde culpabilité, a fini par donner à Kagamé ce qu’il voulait, l’humiliation de la France, en tout cas ressenti comme tel par nombre de milieux français, pour avoir mené une opération décidée par la communauté internationale à travers le Conseil de sécurité. On connaîtra peut-être plus tard quels intérêts, au regard de ce que peut offrir la RDC, les dirigeants actuels de la France visent dans la relation dorénavant privilégiée avec le Kigali d’un certain Kagamé ; coup supplémentaire, alors que notre Chef était encore à Paris, le Président Macron annonçait avec fierté son voyage au Rwanda à fin mai, où il aura 
Quant à Kagamé, il est une montagne de mépris et d’arrogance, surfant sur un fonds de commerce commode et apitoyant, le génocide rwandais de 1994, il a profité d’une sorte de mauvaise conscience ressentie par la communauté occidentale pour son impuissance lors du déclenchement du génocide ; il en a obtenu une sorte de forfait, à mon avis injustifié, de sympathie des Occidentaux prêts à lui tout pardonner et lui tout permettre, au point de longtemps minimiser les malheurs que Kagamé avait fait subir à la RDC et à son peuple. Un homme qui a exploité le malheur de ses compatriotes pour en faire un background fructueux pour son ascension personnelle vers un pouvoir dictatorial sans partage ; on lui a tout permis, on a multiplié les dons et les investissements, on a fait fi des droits de l’homme et des droits politiques qu’il ignore totalement, excusé les crimes de sang qui ont accompagné cette ascension, certains commis sur le territoire d’autres Etats souverains… Du haut du piédestal qu’il s’est ainsi donné, il traite le Congo avec mépris, s’attribuant le pouvoir de considérer selon ses propres critères les dirigeants congolais, sans jamais manquer l’occasion d’égratigner le peuple lui-même. Qu’une telle masse d’orgueil et d’arrogance, jouissant de l’impunité garantie par les puissances favorables, nie toute existence de crimes à l’Est de la RDC ne peut surprendre que des naïfs. Alors que nous ne cessons nous-mêmes de répéter que nos relations avec le Rwanda sont très bonnes, qu’on est entre frères, que nous laissons entendre même que nos agresseurs impénitents, Rwanda et Ouganda, sont aujourd’hui en train de « nous aider » pour la pacification de l’Est, oubliant que pyromanes-pompiers, ça existe. Je voudrais juste dire comment nos attitudes floues ou ambiguës sont exploitées par ces adversaires, ennemis de guerre avérés. L’Ouganda n’a pas raté l’occasion de fanfaronner que c’est grâce à lui que le cas M23 fut réglé, qu’il joue un rôle décisif pour la pacification de l’Est, et, pays sous-développé qu’il est, fait état de projets de développement qu’il va mener pour l’Est de la RDC.
Tout patriote devrait non pas se sentir mais se dire indigné et l’exprimer haut et fort, tout en étant conscient que ces pays sont des voisins mais sans plus, sans nous laisser berner par des expressions genre « frères et amis », et n’y voir que des Etas étrangers dont les relations avec nous sont soumises au droit international, comme avec tous les autres, au droit de l’Union africaine et aux us et coutumes diplomatiques qui, malgré les conventions de Vienne, portent au frontispice le principe de réciprocité. 

7SUR7 : Quelle aurait dû être la réaction des autorités congolaises ?

AM : Une première réaction. On dirait que nous sommes quelque peu timides ou comme bloqués ; si les diverses franges de l’opinion publique réagissent, du côté des autorités tout le monde attend que ce soit uniquement le PR. Pourtant le ministère des affaires étrangères et les deux chambres à travers leurs commissions chargées des relations extérieures peuvent agir, séparément ou ensemble par exemple par l’audition du ministre par telle commission. Deuxième observation, le seul Président de la République qui s’est prononcé, sans être relayer par le gouvernement, dont c’est le rôle, a, selon moi, non pas réagi mais répondu à la substance des propos fallacieux du maître absolu de Kigali, à savoir en rétablissant la vérité qu’il y a eu des rapports internationaux attestant l’existence de crimes étrangers en RDC et que le Dr Mukwege est une valeur nationale à laquelle est attaché tout Congolais. Mais selon moi, nous n’avons pas à nous dissimuler derrière des rapports internationaux, des massacres ont eu lieu dans des villages, des millions de vies ont été fauchées, des fosses communes et autres charniers ont été découverts, des entreprises et des ressources ont été pillées, nos victimes existent, tout cela parle et témoigne, ces associations des victimes si nombreuses dans l’Est ce n’est pas du théâtre de chez-nous ; il y a donc, au-delà des rapports, des preuves humaines et matérielles, qui ont creusé de véritables sillons dans la chaire des Congolaises et des Congolais. J’avoue qu’on aurait dû sentir et savoir que, comme le vit aujourd’hui le Congolais, si les relations avec le Rwanda étaient jusque-là bonnes, elles viennent d’en prendre un coup, qu’elles ne peuvent plus, comme on dit diplomatiquement, être « au beau fixe », que quelque chose a changé depuis ce jour-là. Certains expliquent qu’il a fallu « faire de la diplomatie » ! Kagamé, lui, la diplomatie il ne connaît pas, agresseur ayant impunément versé notre sang, il ne comprend pas la courtoisie diplomatique, sans quoi il n’aurait pas fait ce que consciemment et volontairement, il a fait à Paris, à quelques encablures de notre Président et, donc, l’insultant par l’humiliation, sans s’embarrasser de diplomatie. D’ailleurs la diplomatie, avec tous ses usages feutrés et parfois hypocrites, n’a jamais signifié abaisser les autres ou se laisser abaisser par d’arrogantes provocations ; sans nécessairement menacer des plaies et des bosses, c’est vrai, il faut être diplomate, en fait ça signifie « un poing de fer dans un gant de velours », fermeté « civilisée » mais fermeté, sans jamais céder sur l’honneur national, nombre de guerres dans l’histoire ont été justifiées par la défense de l’honneur, afin que non seulement l’Etat, la RDC, mais aussi les Congolais qui savent qu’ils sont sous la protection de nos autorités, le sentent, savoir et sentir ce n’est pas la même chose, c’est comme dans l’amour chacun sait que l’autre l’aime parce qu’ils se sont mis ensemble mais il doit le sentir ; ainsi les Congolais seront fiers de savoir et sentir que leurs autorités jouissent de la considération des voisins, y trouvant un supplément de force pour agir. Au Rwanda toute tentative de ce qu’ils appellent « négationnisme » entraîne emprisonnement et mort ; que Kagamé pratique du négationnisme au sujet des pires crimes internationaux attestés et vérifiés par la Cour internationale de justice (CIJ) concernant l’Ouganda, co-auteur des mêmes faits que le pays de Kagamé qui en était le principal maître d’œuvre, et reconnus vis-à-vis du Rwanda dans l’ordonnance de la même Cour sur les mesures conservatoires, ça mérite au moins de la fermeté diplomatique et les réactions civiques d’indignation nationale et de dénonciation. Je crois que c’était là l’occasion de convoquer aux Affaires étrangères cet autre arrogant, Karega, qui a  provoqué et irrité plusieurs fois notre peuple, qui laisse pratiquement entendre que d’être né au Congo et d’avoir bénéficié du système d’instruction congolais lui permet de se conduire en seigneur ; ce peut être également l’occasion de rappeler sine die « pour consultation » notre ambassadeur à Kigali… On devrait laisser librement manifester les Congolais indignés ainsi que les associations des victimes du Rwanda organisées dans tout l’Est, etc. Par ailleurs, c’est l’opportunité d’une véritable « union sacrée de toute la nation » dans l’épreuve, pas des coalitions politiciennes pour le partage et la confiscation du pouvoir ; du coup une telle union est hélas impossible. 

7SUR7 : Justement par rapport à l’Est, que pensez-vous de l’état de siège proclamé récemment ?

AM : L’état de siège fait partie de l’arsenal à la disposition des autorités pour faire face à certaines situations sécuritaires et politiques caractérisées. Le Chef de l’Etat n’a donc pas eu tort d’y recourir, même si sur le plan juridique, le juriste sourcilleux que je suis et je ne cesserais d’être contre vents et marées, aurait à dire. Une bonne décision, à laquelle malheureusement le système de gouvernance politique, d’exclusion, ne permet pas  de bénéficier du nécessaire soutien de tous. Nous, nous sommes quelques-uns à avoir une véritable vision, désintéressée, impersonnelle, progressiste et moderne, celle d’une démocratie, souvent dite « consociative » ou « consensuelle » mais que dorénavant nous appellerons simplement « démocratie inclusive », dont nous avons conçu tout le schéma opératoire et dont la mise en œuvre mettrait fin à toutes les pitreries politiciennes qui distraient la nation et n’amusent que les  politiciens. Il reste que la nomination de généraux pour remplacer les autorités civiles provinciales, ainsi que la neutralisation des autres institutions provinciales, suspendant ainsi un bon pan de notre constitution et du régime politico-administratif qu’elle a mis en place, doivent vite être accompagnées de mesures de terrain en termes de lutte contre les groupes armés pour les éradiquer. La seule déclaration de l’état de siège, qui ne fait qu’installer un cadre, ne saurait remplacer cette politique de terrain, même si tout le monde n’est pas capable de voir quelles actions, nécessairement militaires et sécuritaires, ne pouvant pas être menées auparavant pour intensifier la lutte contre ces groupes armés ne peuvent être décidées et menées que grâce à l’état de siège, augmentant la puissance de feu et les capacités stratégiques et tactiques de nos forces armées pour en finir avec les malheurs de notre peuple dans l’Est…

7SUR7 : Un petit saut en politique. Parlons de la proposition de réforme de la nationalité.

AM : Sans doute résultat d’un calcul bassement politicien dans lequel le peuple n’a rien à gagner, juste pour écarter tel ou tel candidat ; c’est dégoûtant et ridicule. Une conception surannée, rétrograde et anti développement. On n’y pense pas du tout, mais personne ne se demande quelle serait la validité constitutionnelle d’une telle option. En effet, la constitution du 18 février 2006, encore en vigueur malgré les multiples coups de canif qu’elle reçoit, précise au deuxième alinéa de son article 10 que « La nationalité congolaise est soit d’origine, soit d’acquisition individuelle », étant entendu que la nationalité d’acquisition est essentiellement celle par naturalisation (outre le mariage, l’adoption…), quant à la loi qui règle la problématique de la naturalisation, si elle parle de « petite » et « grande » naturalisation, elle ne prévoit nulle part la notion de « Congolais de père et de mère » même s’il est présumé que celui dont tous les deux parents sont congolais est bien évidemment congolais, mais on y parle d’enfant de parents congolais ou dont l’un des parents est congolais… On devrait s’habituer à vérifier la constitutionnalité de la loi électorale, en particulier concernant sa conformité à ces dispositions, ne devant pas inventer de nouvelles catégories de Congolais, mais aussi sa conformité à l’article 13 qui dit : « Aucun Congolais ne peut, en matière d’éducation et d’accès aux fonctions publiques ni en aucune autre matière, faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison de sa religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de son appartenance à une race, à une ethnie, à une tribu, à une minorité culturelle ou linguistique ». J’affirme qu’une telle loi serait contraire à la constitution de la République. Par ailleurs, politiquement elle ouvrirait dangereusement la boîte de Pandore, sans que les apprentis sorciers qui en rêvent ne puissent nous dire ce qu’on pourrait y découvrir, de dangereux ou d’inattendu ou d’imprévu ou de… non souhaité. Il est encore temps d’arrêter la…tentation.

Propos recueillis par Israël Mutala