« Fonds minier de la RDC, un mal né ? » (Tribune de Modeste Nyembo Kakanda et Oasis Kodila)

Vendredi 22 octobre 2021 - 12:13
Image
7SUR7

Le Code minier congolais a créé un Fonds minier pour les générations futures (FOMIN). Cette création constitue une avancée majeure. Cependant, jusqu’où est-elle une avancée importante pour nous permettre de tirer profit de nos ressources naturelles ? Telle est la question à laquelle nous apportons la réponse. Avant de nous plonger à fonds, rappelons d’abord les basiques. La RDC regorge des ressources naturelles diverses, avec des réserves significatives de cuivre, cobalt, coltan, or, diamant, etc. Souvent ignoré, le pays tire aussi des rentes substantielles des ressources pétrolières. Au cours de vingt dernières années, les recettes des ressources naturelles ont contribué de manière significative aux finances publiques. La part annuelle moyenne des recettes publiques du Gouvernement central tirées des mines et du pétrole se chiffre à plus de 30% au cours de dix dernières années. En ne prenant en compte que les trois dernières années, les recettes minières et pétrolières représentent plus de 40% du budget de l’Etat.

En principe, ces revenus sont susceptibles de libérer le pays des contraintes des devises étrangères et de l’épargne publique, et de soutenir un large éventail de priorités nationales. Malencontreusement, plusieurs évidences montrent que les pays riches en ressources naturelles sont généralement moins performants que les pays non riches en ressources. Dans la plupart de cas, ils obtiennent de mauvais résultats en matière du développement. Cela conduit à ce qu’on qualifie de « malédiction des ressources ». Cette malédiction, hormis les conflits et la mauvaise gouvernance, se manifeste principalement à travers trois principaux canaux : l’instabilité des revenus, le syndrome hollandais et l’épuisement des ressources.

De ces trois canaux, le plus grand défi est la volatilité des revenus, conséquence de l’instabilité des cours des matières premières. Le graphique ci-contre illustre parfaitement bien le caractère erratique de ces cours. Une volatilité de cette ampleur rend la gestion macroéconomique difficile. Parmi les conséquences figurent les déficits budgétaires, l’augmentation des emprunts, des ajustements fiscaux, des projets retardés ou annulés et des fluctuations des taux de change.

Malgré ces problèmes, en termes de développement économique basé sur le secteur extractif, il existe des réussites indéniables. Le Chili et le Botswana sont parmi les exemples. Cela est dû aux politiques efficaces de gestion des ressources naturelles, et plus particulièrement des instabilités des cours. En effet, pour se protéger des effets néfastes liées aux ressources naturelles, des dispositifs fonctionnels, surtout en matière de fiscalité et de dépenses, sont préconisés. Généralement, deux pratiques complémentaires sont répandues. Il s’agit du lissage des recettes tirées des ressources naturelles et la création d’un fonds minier, généralement appelé fonds souverains ou comme en RDC, fonds minier pour les générations futures.
Ce lissage consiste à dégager les recettes structurelles que l’on peut escompter dans une année moyenne et qui peuvent être dépensées sans risque. En termes simples, il est fortement déconseillé de considérer les cours internationaux des matières premières dans le budget de l’Etat. Les estimations budgétaires devront, pour se prévenir contre la volatilité des prix, se baser sur un prix lissé où l’on a omis les fluctuations, communément appelé cours structurel. Ce cours est généralement inférieur de 10 à 50%, sauf exception, des cours des marchés. Ainsi, les recettes extractives qui en ressortent sont structurels, dissociés des cours internationaux et peuvent être dépensés sans risque. L’une des conséquences du lissage des recettes est la création d’un fonds souverains.

Fonds souverain : un remède contre la malédiction des ressources naturelles ?
De nombreux pays riches en ressources ont créé des fonds souverains. Ces fonds se nourrissent des sommes économisées par l’État pour assurer la viabilité budgétaire à long terme. Deux raisons sont généralement à la base des fonds souverains : (i) Stabilisation budgétaire et macroéconomique. Comme indiqué ci-dessus, des revenus tirés des ressources sont très volatiles et incertains. Ils peuvent avoir un impact négatif sur la stabilité macroéconomique et financière. L’objectif des fonds de stabilisation est d’aider les gouvernements à gérer la volatilité et l’incertitude budgétaires, et donc d’éviter le caractère procyclique du budget de l’Etat, en lissant les effets de la volatilité à court terme des cours des matières premières ;
(ii) Epargne. Les ressources minérales et pétrolières sont épuisables et risquent d'être obsolètes. Les fonds d’épargne visent à transformer au moins une partie de la richesse en ressources naturelles en d’autres formes de richesse pour créer une réserve qui permettra aux générations futures de bénéficier de la rente. Cette réserve découle généralement de la fixation par le Gouvernement d’un objectif de solde primaire hors ressources naturelles durable et donc un solde primaire structurel durable. Elle peut aussi provenir de la fixation d’une quotité des revenus directs de l’Etat, telles que les redevances.

La création du FOMIN est venue donc corriger un problème qui a assez duré et constitue, en définitive, une remise en cause de la gestion des ressources. Toutefois, de la lecture du Décret portant statut, organisation et fonctionnement du FOMIN, il ressort qu’en lieu et place de régler les problèmes liés à la gestion des revenus des ressources naturelles, ce fonds va indubitablement les accentuer. A lui seul, ce fonds sera une autre malédiction des ressources naturelles.
FOMIN : une autre malédiction des ressources naturelles ? La popularité ou l’émergence des fonds souverains tient du fait que ces fonds aident les pays à atténuer, si pas à éradiquer, les effets néfastes liés aux ressources. Depuis 2005, 40 fonds souverains ont été créés à travers le monde et leurs actifs ne cessent de croître. Néanmoins, pour être considérés en tant que tel ou pour être efficace et répondre à ces objectifs, un fonds souverain ou minier doit remplir un certain nombre de critères, qui font défaut au FOMIN.

Ci-dessous nous répertorions, en premier lieu, trois péchés capitaux qui ont été commis dans la mise en place du FOMIN. Le prochain article, de la même série, exposera d’autres péchés qui font du FOMIN un mal né.

1ère péché : Le FOMIN ne prend en compte qu’une seule composante d’un fonds souverain, l’épargne

La volatilité des cours des matières premières contraint certains pays sans mécanisme de protection, comme la RDC, à adopter une politique budgétaire procyclique. Durant le boom des ressources, les prix élevés des produits de base sont associés à des dépenses publiques croissantes. Durant la chute brutale des prix des matières premières, la baisse drastique des recettes publiques conduit à des ajustements brutaux, avec des implications sévères sur la croissance et le bien-être.

Ainsi, pour la RDC, le plus grand risque est le maintien de cette politique procyclique, à cause notamment de ses effets négatifs sur le bien-être et la pauvreté. Il est donc crucial que le pays se dote d’un cadre macro-budgétaire exhaustif pour assurer une gestion effective de la rente. Et un des rôles d’un fonds souverain, plus particulièrement de sa composante stabilité, est de permettre au Gouvernement de découpler ses dépenses des recettes des ressources naturelles, en adoptant une politique budgétaire contracyclique. Cette dernière permet de se prémunir, en assurant la fourniture de biens publics lorsque les recettes diminuent, de préserver la protection sociale de la population et de faire preuve d’une plus grande résilience face aux chocs importants. Elaguer le volet stabilisation du FOMIN constitue donc une erreur qui sera fatale pour le pays.


2ème péché : Les investissements prévus dans le cadre de la FOMIN sont très éloignés de ce qu’un fonds souverain, et particulièrement un fonds d’épargne, est censé faire.

Pour être rentables, les ressources du fonds doivent être investies. Mais la grande question est de savoir s’il faut investir dans des actifs nationaux ou étrangers. Et la réponse des spécialistes est claire : toutes les ressources d’un fonds souverains doivent être investis à l’étranger. Au moins deux raisons sont à la base : primo, les fonds souverains sont souvent grands et d’importance macroéconomique. S’ils investissent dans des actifs nationaux, ils contribuent à la procyclicité budgétaire (cf. supra). Secundo, les investissements des fonds ne doivent pas être faits pour des raisons politiques. Les objectifs du fonds sont d’assurer la stabilité de la dépense publique à court terme ainsi que la viabilité budgétaire à long terme. Le fonds doit en conséquence produire des revenus et investir aux conditions des marchés internationaux. Et les données sont claires : 58% des ressources des fonds souverains à travers le monde sont investis dans des actions cotées, 17% dans actions non cotées, 5% dans les valeurs immobilières. Seul moins d’un ½% est investi aux niveaux nationaux.

Ainsi, les investissements ou les affectations des ressources tels que prévus par le Décret créant le FOMIN, notamment le financement des projets d’intégration de l’industrie minière, la participation dans les entreprises impliquées dans la filière de transformation locale des produits miniers et la prise de participation dans les projets de diversification de l’économie nationale constitueront des problèmes supplémentaires dans la gestion des ressources naturelles. Non seulement que ces investissements ne respectent pas les principes et pratiques communément acceptés, pire encore ils vont accentuer les problèmes macroéconomiques auxquels le pays fait déjà face. Par-delà tout, le rôle d’un fonds souverain n’est pas de financer les activités qui rentrent dans le cadre budgétaire. Si le gouvernement considère que des projets d’investissement ont une portée sociale d’importance, ils doivent être intégrés au budget de l’État et non puiser dans les fonds. Les seules ressources d’un fonds souverains utilisables dans le cadre budgétaire sont les intérêts découlant des placements ou investissements.

De ce fait, garantir l’après-mine en faveur des générations futures suppose que chaque génération consomme sa part et assume les conséquences de l’exploitation des ressources naturelles, tout en veillant à ne pas nuire aux générations futures. En effet, nonobstant les prévisions existantes, personne ne peut dire avec exactitude les défis que confrontera la génération de 2050, par exemple. Ces défis pourraient être environnementaux, sociaux, sanitaires, etc. Il est donc inouï qu’un prétendu homo economicus pense pour les générations futures. Le seul acte de solidarité intergénérationnelle est de mettre à côté les ressources et que chaque génération consomme sa part des bénéfices y découlant. C’est ainsi que tous les fonds souverains, surtout leurs composantes épargne, cherchent les meilleurs taux du marché, minimisant fortement les risques pour sauvegarder les actifs. Certes, il existe des rares cas où des fonds souverains ont entrepris des opérations nationales (pas budgétaires), principalement dans des cas où les rendements y sont plus élevés qu’à l’étranger. Même dans ce cas, cela doit s’intégrer dans un cadre macroéconomique général.

3ème péché : Oubli total du secteur pétrolier

En règle générale, le congolais s’intéresse de manière très marginale aux ressources pétrolières. Le débat, de la rue aux cercles universitaires, ne se concentre que sur les ressources minières.

Certainement, la mémoire historique joue pour beaucoup. Pourtant, la RDC tire des ressources substantielles des exploitations pétrolières. Avant la baisse drastique des cours du pétrole entre 2015-2018, les ressources pétrolières représentaient plus de 10% du budget. Aussi, en termes relatifs, l’Etat tire plus de revenus du secteur pétroliers que des mines. Sur le plan macroéconomique économique, les ressources pétrolières sont les ressources les plus volatiles. Au plan environnemental, le pétrole est extrêmement polluant.

Au regard de cette simple description, il est incompréhensible que le fond souverain de la RDC ne prenne en compte que les ressources minières. Cela est davantage crucial que toutes les études montrent que la RDC sera un des grands pays pétroliers de la planète au regard des gisements identifiés. A suivre…

Dans le prochain numéro, nous parlerons de la tutelle inadaptée du Ministère des mines, de la gestion et du fonctionnement du FOMIN.