
La mémoire est une maîtresse exigeante. Elle garde les traces des grandeurs comme des bassesses et rappelle à chacun que le prestige se construit goutte après goutte, mais s’écroule en torrents, comme le disait Sartre.
De mémoire d’acteur politique congolais , j’ai beaucoup observé la classe dirigeante de notre pays. J’ai vu des hommes et des femmes, brillants par leurs diplômes, reconnus par leurs titres, trahir leurs propres mérites pour de l’argent, une nomination ou un simple maintien dans les privilèges sociaux. J’ai vu des professeurs d’université, censés incarner la rigueur morale et intellectuelle se compromettre au point de vendre ce qu’ils ont de plus précieux. Leur savoir, leur dignité et au fond, leur âme.
1991 : Une leçon d’histoire
L’histoire congolaise nous offre des épisodes édifiants. En 1991, alors que le peuple congolais réclamait avec ferveur une Conférence nationale souveraine à l’image du Bénin et du Congo-Brazzaville, Mobutu craignait l’implacable lumière qui aurait dévoilé ses crimes, ses détournements et ses abus.
Il substitua à la conférence nationale une conférence constitutionnelle, vidée de sa substance, limitée à l’élaboration d’un texte, sans possibilité d’examiner sa gestion calamiteuse. Pour convaincre l’opinion, un professeur, constitutionnaliste de renom, le professeur Ngoyi Ndumba fut recruté et contre espèces sonnantes et trébuchantes, sillonna les médias pour expliquer aux Zaïrois que conférence constitutionnelle et conférence souveraine étaient identiques.
Ce fut une comédie indigne. Les étudiants de l’Université de Kinshasa ne s’y trompèrent pas. Ils le chassèrent, estimant qu’il n’était plus digne d’enseigner. Le professeur qui avait bradé son honneur contre quelques avantages passagers finit sa vie dans l’oubli et la pauvreté. Le contraste entre l’éclat de ses diplômes et la déchéance de sa mémoire doit rester gravé dans nos consciences comme un avertissement.
Une leçon de morale
Cet exemple devrait instruire la classe politique congolaise d’aujourd’hui. L’histoire enseigne que l’argent peut acheter le silence, mais jamais la respectabilité. Les postes peuvent offrir des titres, mais jamais l’honneur. Une notoriété se construit au fil de décennies de sacrifices et peut s’effondrer en une seconde d’imprudence.
Or, que constatons-nous aujourd’hui ? Des professeurs prêts à chanter et danser pour plaire, conserver ou acquérir des privilèges. Des élites prêtes à falsifier leur savoir pour flatter en vue d’ obtenir une faveur. Des dignités réduites à des marchandises. L’histoire se répète.
C’est ce commerce indigne que notre société doit combattre. Car une nation ne peut espérer évoluer en confiant son avenir à des hommes qui galvaudent leur nom, salissent leurs titres et hypothèquent leur mémoire.
La vraie noblesse ne réside ni dans les grades ni dans les décorations ni dans les privilèges, mais dans la fidélité à soi-même. Préserver sa qualité. Défendre son diplôme, son nom…voilà ce que tout Congolais, surtout lorsqu’il est dépositaire d’un savoir ou d’une responsabilité devrait avoir pour ligne de conduite.
À défaut, l’histoire s’en chargera et elle est souvent plus impitoyable que nos tribunaux. La mémoire collective n’épargne pas ceux qui ont choisi l’argent et des postes non mérités au détriment de l’honneur.
La leçon est simple mais exigeante. Ne jamais vendre ce que l’on a de plus sacré: son honneur, son savoir, sa dignité. L’argent passe, les postes passent, mais la mémoire demeure. Et dans cette mémoire, le nom peut briller comme une étoile ou se consumer comme une torche mal éteinte.
C’est vrai. La confiance se gagne en gouttes et se perd en litres. Puisse cette maxime résonner dans la conscience de chaque acteur politique congolais. Surtout dans ceux qui détiennent des titres académiques ronflants.
Tribune de Steve Mbikayi, député national