CONGO-KINSHASA : DÉJÀ DES CANDIDATS POUR SUCCÉDER À KABILA

Mercredi 15 juin 2016 - 07:11
Image
La semaine dernière, à Genval, l’opposition congolaise a reconnu que "seule l’unité des forces politiques et sociales acquises au changement peut permettre d’atteindre (ses) objectifs". Devant la nécessité de lutter pour obtenir des élections telles que prévues par la Constitution, elle fait front aux projets du président Kabila de se maintenir au pouvoir, en se réunissant dans un "Rassemblement". N’y ont pas (encore ?) adhéré le MLC de Jean-Pierre Bemba, ni l’ex-candidat malheureux à la présidence Vital Kamerhe, dont le secrétaire général de son parti UNC, Jean-Bertrand Ewanga, était cependant présent au conclave. Aucune mention n’a cependant été faite du besoin de s’entendre sur une candidature unique de l’opposition pour l’emporter, dans un scrutin à un seul tour. Et plusieurs ténors de l’opposition se sont déjà déclarés candidats à la magistrature suprême. Soit officiellement, comme Moïse Katumbi et Martin Fayulu, soit lors d’interviews. Des outsiders sont également notoirement sur les rangs, comme Freddy Matungulu ou Noël Tshiani
Voici un premier tour d’horizon. Marie-France Cros ETIENNE TSHISEKEDI : CHANT DU CYGNE OU CANDIDAT ?
Le bon sens devrait écarter Ie vieux malade de la course à la présidence, mais Ie conclave organise la semaine dernière par I’UDPS à Genval- où Etienne Tshisekedi est apparu très affaibli mais a été reconnu "pour son leadership" et intronisé président du "Conseil des sages" du "Rassemblement" de I’Opposition - laisse planer Ie doute.
Ce conclave était-il le chant du cygne de l’octogénaire ou un tremplin pour une candidature à la présidentielle d’Etienne Tshisekedi, originaire du Kasaï oriental (centre du pays) ?
Ses atouts : Il est le seul homme politique du Congo, avec Ie chef de l’Etat et Moise Katumbi (notamment grâce au football, celui-ci), à être connu dans tout Ie pays.
Dans tous les recoins du Congo, "Tshitshi" personnifie I’Opposition et son nom recueille automatiquement Ie vote de protestation, au nom de son passe de résistance a Mobutu, résistance tant physique (Ies photos de son visage ensanglanté, lors de la répression d’une manifestation, ont fait Ie tour du monde), que politique. En outre, iI dispose d’un parti qui, bien que très diminué, reste une formation expérimentée, animée par de vrais militants.
Ses faiblesses : Outre son âge et son piètre état de santé (il est "en convalescence" en Belgique depuis aout 2014 et son retour au pays, annoncé plusieurs fois, ne se concrétise pas), iI a beaucoup abimé I’UDPS, qu’iI avait contribué a construire grande et forte. Son tribalisme, son autoritarisme et son peu de sens politique ont en effet créé à la fois des défections individuelles à jet continu et des divisions répétées du parti menant à I’affaiblissement de celui-ci.
Sa capacité de mobilisation s’en trouve singulièrement amoindrie : I’UDPS était absente des grandes manifestations contre Ie troisième mandat de M. Kabila de janvier 2015 et sa présence revendiquée à celle du 26 mai 2016 souligne sa faiblesse puisque cette protestation ne réunissait pas plus de 5000 personnes à Kinshasa.
En revanche, Ie conclave de Genval a remis en selle I’UDPS, du moins la faction restée regroupée autour du vieux leader puisque d’autres courants ont récusé cette réunion. MFC MARTIN FAYULU : LA CONSTANCE
Martin Fayulu, 59 ans, est originaire de Kinshasa (ouest du Congo) et est, avec Moise Katumbi, Ie seul candidat à la présidence officiellement déclaré. II s’est fait connaitre, ces dernières années, comme un des fers de lance de I’Opposition dans la capitaIe. Apres des études d’économie en France et aux Etats-Unis, iI a travaillé pour ExxonMobil- y compris aux Etats-Unis et ailleurs en Afrique avant de se lancer, à son compte, dans l’hôtelierie, I’immobilier et I’agriculture au Congo. Sa carrière politique a débuté à la fin du règne de Mobutu, dans I’Opposition. Elu député de Kinshasa en 2006 et 2011, iI a participe, en 2009, à la création du parti politique Ecide (Engagement pour la citoyenneté et Ie Développement), dont iI est la principale figure.
Ses atouts : Sa constance dans I’action politique.
Ses faiblesses : Son parti, bien que connu, n’est pas très grand et, pour une course à la présidence, iI dépend donc d’un appui que lui accorderaient d’autres partis d’opposition. MFC MOÏSE KATUMBI : IE PLUS CRAINT PAR IE POUVOIR
Moïse Katumbi, 51 ans, Katangais (est du pays), est l’un-des deux candidats officiellement declares, avec Martin Fayulu. Dissident de la Majorité présidentielle, iI a pris petit à petit ses distances avec celle-ci, depuis la fin 2014, lorsqu’est apparue de plus en plus clairement la volonté de Joseph Kabila de se prolonger à la tête de l’Etat en dépit de la Constitution.
Ses atouts : II est extrêmement populaire en raison de ses succès d’homme d’affaires, des progrès auxquels iI a présidé au Katanga lorsqu’iI en etait Ie gouverneur (2007-2015) et de ses actions charitables - tous envies, au-delà de sa province. II est connu dans tout Ie pays comme patron, depuis 1997, de la meilleure équipe de football du Congo, Ie Tout Puissant Mazembe, sacre cinq fois champion d’Afrique et finaliste de la Coupe du monde des clubs en 2010.
Moïse Katumbi a été choisi comme candidat à la présidentielle par trois regroupements de partis, au cours des derniers mois. II dispose d’une importante fortune personnelle, issue de ses activités d’homme d’affaires.
Ses faiblesses : II n’a pas de parti jusqu’ici. Ses adversaires font courir Ie bruit d’ententes passées avec d’autres hommes d’affaires, en vue de galvaniser leurs gains respectifs, lorsqu’iI était gouverneur, mais cela affaiblit peu son aura auprès de ses sympathisants. En revanche, on peut se demander si Moïse Katumbi est assez méchant pour se lancer dans la bagarre qu’est une présidentielle au Congo ; tout Ie monde n’a pas la hargne et la carrure qu’avait Tshisekedi. La machine de guerre déclenchée contre Katumbi par les kabilistes (procès pour recrutement de "mercenaires"), pour I’écarter de la course, semble I’avoir durement affecté -même si elle signifie que Katumbi est Ie plus redouté des adversaires du pouvoir. Si d’aucuns soupçonnent que Ie conclave de I’Opposition à Genval, la semaine dernière, pourrait lui être, in fine, favorable (son frère, Katebe Katoto, aurait participe au financement). II est aujourd’hui, pour raisons médicales, hors du pays. MFC NOËL TSHIANI : UN "PLAN MARSHALL"
Noël Tshiani, 59 ans, originaire du Kasai oriental (centre du pays) est un banquier devenu, après des études en France et aux Etats-Unis, haut fonctionnaire international à la Banque mondiale à Washington en 1992. Comme tel, il a joué un rôle dans le redressement économique du Cap Vert, archipel ouest-africain aride passé d’un revenu par habitant de 400 dollars en 1992 à 4400 dollars en 2015.
Ses atouts : II a une expérience de redressement avec succès de banques centrales, systèmes financiers et monnaies de plusieurs pays, en Afrique et en Europe de l’est. II a mis au point un programme de redressement - "Un plan Marshall" - pour le Congo.
Ses faiblesses : II n’a aucune expérience politique. II n’a pas de parti et sa tentative d’obtenir l’adoubement d’Etienne Tshisekedi, né dans la même localité que lui, Ngandajika, est restée vaine - et a même suscité la méfiance de kasaiens à son encontre. Noël Tshiani a passé la plus grande partie de sa vie aux Etats-Unis et ignore les réalités congolaises. II est inconnu au Congo. MFC VITAL KAMERHE : LA VARIETE
Vital Kamerhe, 57 ans, originaire du Sud-Kivu (est), est licencié en sciences économiques. II a été assistant à l’université de Kinshasa et a travaillé pour différents ministères sous Mobutu, tout en présidant la Jeunesse de la coalition d’opposition Usoral. II a poursuivi sa carrière dans des cabinets ministériels sous Laurent Kabila puis Joseph Kabila. C’est Vital Kamerhe qui mènera, pour ce dernier, la campagne électorale victorieuse de 2006. II est élu député puis président de l’Assemblée nationale - poste qu’il occupera brillamment en établissant cette chambre comme contre-pouvoir démocratique à la Présidence, avant de tomber en disgrâce. A la présidentielle "non crédible" de 2011, iI arrivera en troisième position, loin derrière Kabila et Tshisekedi.
Ses atouts : Son expérience politique variée, sa maitrise des quatre langues nationales.
Ses faiblesses : peu aimé à l’ouest du pays, en raison de son passé kabiliste. Il ne dispose plus de beaucoup de moyens après sept ans d’opposition. II a boudé Ie conclave de I’Opposition à Genval et Katumbi depuis que ce dernier est Ie candidat de trois coalitions. MFC FREDDY MATUNGULU : I’INTEGRITE
Freddy Matungulu, 61 ans, originaire du Bandundu (ouest du Congo), a fait des études d’économie à l’université de Kinshasa et à Boston avant d’enseigner à l’université de Kinshasa tout en étant conseiller dans des ministères et à la Banque centrale du Congo. Apres un passage au Fonds monétaire international, à Washington et au Cameroun, iI devient, en 2001, ministre des Finances et du Budget de Joseph Kabila. C’est lui qui établira les bases du redressement du Congo, alors en chute libre, en faisant passer I’inflation de 530 % par an à moins de 10 %, en stabilisant la monnaie et en relançant la croissance.
Ses atouts : Son expérience nationale et internationale. Ses succès au ministère des Finances et, surtout, la rare réputation d’intégrité qu’iI s’y est taillée en démissionnant, après deux ans, pour ne pas cautionner des abus dans la gestion du bien public. En 2015, il a également démissionné du FMI, 00 iI avait repris une carrière, pour se lancer dans la course à la présidence congolaise.
Ses faiblesses : Son parti, Congo na biso (Notre congo, en lingala) est peu connu à I’Est - en tout cas moins connu que lui. MFC L’inconnu de la Majorité
Le candidat de la Majorité kabiliste est inconnu jusqu’ici, alors que l’élection présidentielle, annoncée pour novembre 2016 et vraisemblablement retardée, devra bien se tenir un jour.
Le meilleur candidat pour la majorité présidentielle aurait été Moïse Katumbi, dont la popularité personnelle aurait assuré de très nombreux suffrages à cette formation politique. Mais Joseph Kabila a préféré tenter d’imiter Mobutu et déstabiliser Ie Congo plutôt que s’établir comme figure de l’histoire en permettant la première passation de pouvoir démocratique du pays.
Ses atouts : La force de l’Etat, que la majorité présidentielle mettra, une fois encore, au service de son candidat.
Ses faiblesses : Son inconstitutionnalité, si Joseph Kabila compte remplir ce rôle lui-même. Une majorité éclatée s’il nomme un de ses fideles pour lui succéder, les autres ténors de la coalition ne pouvant qu’en prendre ombrage.
Un bilan dont les principales réalisations remontent aux premières années de Joseph Kabila, les fruits de la croissance des dernières années ayant été presque tous captés par I’élite, ce qui empêche la pauvreté de diminuer de manière significative. MFC