
Les deux chambres du parlement seront convoquées en congrès dans les tout prochains jours, pour statuer sur les modalités d'application de l'état d'urgence sanitaire décrété par le chef de l'Etat le 23 mars pour combattre le covid-19. L'annonce a été faite cette semaine par les présidents de l'assemblée nationale et du sénat, à l'issue d'une réunion à Kinshasa.
Cependant, certains parlementaires, à l'instar de Jean-Marc Kabund-A-Kabund, 1er vice-président de la chambre basse du parlement, désapprouvent cette demarche car, estiment-t-ils, "la régularisation des actes pris par le président de la République n'entre pas dans les attributions du congrès". En revanche, d'autres politiques précisent que la mise en œuvre de l'état d'urgence suit une séquence constitutionnelle déterminée. C'est le cas de Patrick Nkanga, porte-parole du bureau politique du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD).
Dans une interview accordé à 7SUR7.CD ce dimanche 12 avril 2020, ce cadre du Front Commun pour le Congo (FCC), qui salue les mesures prises par les autorités congolaises pour lutter contre le Covid-19, renvoie les uns et les autres qui s'opposent à la convocation du Congrès à la lecture de l'article 119 de la constitution, point 2.
Sur les déboires judiciaires de Vital Kamerhe, directeur de cabinet du président de la République, P. Nkanga dit compatir mais ne veut pas s'immiscer dans cette affaire judiciaire.
(Voici l'intégralité de l'interview de Patrick Nkanga)
1. Comment jugez-vous la gestion du Covid-19 par le gouvernement ?
Comme pour tous les États du monde, l’avénement de cette pandémie est une surprise. Aucun État s’y attendait et s’y était préparé. Notre pays ne déroge pas à cet état des choses. Différemment des autres pays occidentaux, nous avons dans notre pays une juxtaposition d’urgences et ce, dans plusieurs secteurs de la vie nationale. Nous avions, il y a peu, la maladie Ebola qui a fait des ravages dans la partie Est de notre pays. Heureusement, à ce jour, nous sommes arrivés à même de cette maladie. Aujourd’hui notre pays fait face à une pandémie mondiale, arrivée chez nous par importation. Malgré cela, le gouvernement de la République a pris les mesures idoines pour circonscrire la propagation de cette maladie. Le premier ministre, qui supervise le comité multisectotriel, agit et ce, quotidiennement, de manière à ce que cette pandémie n’altère pas totalement le fonctionnement de l’Etat ainsi que la vie de nos concitoyens. Le gouvernement gère cette crise avec responsabilité. Certaines gens voudraient que les choses se fassent comme en France ou comme aux Etats-Unis...mais nous ne sommes ni l’un ni l’autre. Nous faisons avec nos moyens et nos réalités. Mais jusque-là, au regard de ce que l’on voit, l’on peut attester que la situation est sous contrôle. Avec l’aide de Dieu, notre gouvernement viendra à même de cette pandémie.
2. Devrait-on arriver à la proclamation de l'état d'urgence par le chef de l'État pour mieux la combattre ?
Le président de la République n’a pas proclamé l’état d’urgence, il a proclamé l’état d’urgence sanitaire, ce n’est pas tout à fait la même chose. L’acception relative à l'état d urgence sanitaire est inédite, faisant suite à la volonté des États de répondre à un ennemi invisible qu’est le covid-19. De coutume, l’urgence sanitaire mondiale est décrétée et gérée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ainsi que ses structures nationales, mais face à la nature de ce virus, il s’est constaté que chaque État devait prendre des mesures étatiques idoines pour y faire face. D’où la naissance de cette notion nouvelle: « l’état d’urgence sanitaire ». On s’est, certes, basé par approximation et par urgence aux dispositions constitutionnelles relatives à la proclamation de « l’état d’urgence » que l’on peut dire traditionnel, mais il y a des nuances.
Maintenant, le president de la République devait-il en arriver à la proclamation de l’état d’urgence dit « sanitaire », assurément. Ne pas le faire, aurait été une négligence. Le président de la République a agi dans l’urgence pour préserver la vie de ses concitoyens, donc de chacun d’entre nous.
Cependant, l’État de Droit, c'est l'État où il n y a qu’un seul dictateur éternel, il s’appelle : la Constitution, elle a ses caprices. Le contexte exceptionnel qui caractérise cet instant se doit d'être encadré exceptionnellement et nous devons, tous, en tant que citoyens, veiller à ce que les équilibres institutionnels soient maintenus.
3. Le président du sénat a déclaré que la proclamation de l'état d'urgence n'avait pas respecté la procédure prévue. Êtes-vous de son avis ?
Il n’a pas dit cela en vos termes. Il a plutôt convié la classe politique à éviter le juridisme face à une situation sanitaire si préoccupante. Le débat d’ordre scientifique peut continuer dans les universités, partis politiques, etc... Mais, les responsables étatiques n’ont qu’une seule préoccupation, à cet instant ; préserver la vie de chacun d’entre nous, c’est cela l’essentiel.
Cependant, le cabinet du chef de l’Etat doit mieux circonscrire les déclinaisons du régime semi-présidentiel ou même semi-parlementaire dans lequel nous sommes.
La constitution du 18 février 2006 a été rédigée dans un contexte post-conflit et post-dictature (32 ans du président Mobutu), l’esprit qui habite cette constitution est celui d’un équilibre et d’une interdépendance institutionnels. Il faut toujours veiller à préserver l’esprit d’une constitution.
4. J-M Kabund, 1er vice président de l'Assemblée nationale, désapprouve la convocation du Parlement pour régulariser l'etat d'urgence. Selon lui, le rôle du Congrès n'est pas de régulariser les actes du président de la République.
Ça m’aurait choqué si ça venait de maître Jaquemin Shabani ou de maître Mukendi, d’heureuse mémoire, mais venant de lui, je suis assez compréhensif. Je le convie à lire l’article 119 point 2 de la constitution.
5. Quelle est votre lecture de l'article 85 de la constitution que l'on oppose à l'article 144 évoqué par le président du sénat ?
Les articles ne s'opposent pas, ils se complètent. La mise en œuvre de l’état d’urgence est émaillé de plusieurs séquences :
1. Réunion avec la présidente de l’Assemblée nationale, le président du Sénat et le premier ministre, au cours de laquelle le président de la République informe ces derniers de sa volonté de proclamer l’état d’urgence, vu les éléments en sa disposition. Ils se concertent. Lorsque l’on parle de concertation, on sous-entend un certain consensus ou un acquiescement (le président Macron avait, lui, consulté ses deux prédécesseurs ; les presidents Sarkozy et Hollande et son premier ministre s'était concerté avec les élus. Dans son discours, le président Macron avait même mentionné le mot « Consensus dégagé »). A la suite de ladite rencontre, le président de la République proclame l'État d’urgence. (Article 85).
2. Après ce message lu à la nation, le Congrès se réunit de plein droit pour autoriser, acquiescer, la proclamation de l'État d'urgence, au nom du peuple. (Article 119 point 2).
3. Une fois que le président de la République est revêtu de ce plein pouvoir, qui lui est conféré par le Congrès pour 30 jours, avec possibilité de le renouveler ou de l’interrompre (art 144). Le président de la République prend une série d’ordonnances, délibérées en Conseil des ministres, relatives aux mesures nécessaires pour faire face à la situation, lesquelles ordonnances sont soumises à la Cour constitutionnelle, qui toutes affaires cessantes déclare si elles dérogent ou non à la présente constitution (art. 145 ) et ce, en vue de notamment veiller à la préservation des droits intangibles et inaliénables reconnus à chaque citoyens dans l’article 61 de notre Constitution. Voilà la séquence constitutionnelle de la mise en œuvre de l’état d’urgence. Il n y a aucune contradiction. Il y’a, en outre, une nécessité de légiférer à ce sujet.
6. Un commentaire sur les déboires judiciaires du directeur de cabinet du président de la République ?
Que la justice fasse son travail en toute impartialité. l’Etat de droit nous proscrit toute intrusion dans une affaire judiciaire. Humainement parlant, je compatis avec sa famille et ses proches, ça ne doit pas être facile. N’alterons pas, par nos vues, la bonne marche de la Justice.
Seul, un procès déterminera définitivement les responsabilités des uns et des autres.
Wait and see .