
L’ONG ACAJ et deux cellules de la Présidence de la République, notamment la CCM et l’APLC, ont organisé un séminaire portant sur « La Performance dans la Gouvernance de la Nation». Noble et appréciable initiative. Sa visée déclarée était de matérialiser « un pacte républicain dont la finalité est l’accroissement substantiel des ressources du trésor public ». Les intervenants, parmi lesquels certains académiciens congolais, ont chacun dans son domaine posé un diagnostic selon sa perspective. Les participants, des diplomates, quelques membres de la société civile, et certains opérateurs économiques, constituaient une congrégation de personnes porteuses d’influence nationale et internationale. Axées plus sur la lutte contre la corruption et la maximisation des revenus, les résolutions formulées à l’issue de ce séminaire sont, dans une certaine mesure, de nature à contribuer à la productivité de l’Etat.
Cependant, dans le prisme de la déconstruction de la discursivité de ce séminaire entendu comme événement de production intellectuelle sur l’Etat et la République, en captage symétrique avec un certain apport, ce séminaire a étalé trois carences majeures. Celles-ci sont : (1) une intellectualité manichéenne et un rituel antirépublicain ; (2) la carence en corpus épistémique sur la performance du gouvernement, couplée aux prescriptions laissant à désirer en termes d’innovation et d’opérationnalisation ; (3) un diagnostic partial ignorant la récurrence des pathologies de corruption et détournement à la présidence dans la dispensation en 2019-2020. Comme initiateur de l’Agora des Gardiens Intellectuels de la République (AGIR NEW CONGO) nous promouvons une intellectualité républicaine rationaliste. Elle est axée sur le principe canonique de la cognition rationaliste (en « adequatio mentis et rei » de Spinoza) de toute réalité ou phénomène sociétale, dans son intelligibilité polygonale pour des prescriptions-projections porteuses d’une puissance développementale intégrale.
1. TANDEM POLITICIEN AVEC LA PRÉSIDENCE DE LA REPUBLIQUE ET RHÉTORIQUE MANICHÉENNE D’ACAJ
Depuis un certain temps, une frange importante de l’opinion publique décrie la partialité d’ACAJ et ses accointances aux relents politiciens. Ce séminaire vient confirmer cette complicité entre l’ACAJ et une présidence dont la « républicanité » est fortement étiolée par les pesanteurs partisanes anémiantes sur fond d’un apprivoisement courtisan (décrié avec véhémence par la base de l’UDPS). Dans cette optique, la présidence est bel et bien engagée dans les enjeux politiques avec un agenda intellectuel partisan. Alors que la visée de se séminaire était de composer un «pacte républicain » pour la maximisation des recettes de l’Etat, les élites, techniciens et leaders d’autres franges sociopolitiques de la nation ont été délibérément exclus. Pire, le Gouvernement ayant la responsabilité de la performance étatique n’y a pas été impliqué de manière substantielle. Le Premier Ministre y a été embarqué apparemment par nécessité protocolaire. Ainsi donc, l’orientation intellectuelle et analytique de ce séminaire a été unidirectionnelle.
L’Esprit manichéen aléatoire de ce séminaire est discernable par la déconstruction de la rhétorique du chef d’ACAJ dans ses discours d’ouverture et de clôture. Soulignant le paradoxe pays riche population pauvre, le chef d’ACAJ affirme : « …cela constitue la résultante d’un management public qui était caractérisé par la promotion des antivaleurs, la gabegie, la corruption, l’immoralité, le détournement des deniers publics, l’égoïsme, etc.… ». Dans sa formulation cette affirmation est fallacieuse et aléatoire. Fallacieuse parce que le concept de promotion implique une volonté et un plan systématisé d’encouragement et d’incitation à la pratique de ces antivaleurs. Certes que ces pathologies sont indéniables dans le passé. Mais, elles sont plutôt les manifestations systémiques des carences en gouvernance qui sont historiques et sociétales. Il est donc intellectuellement aléatoire de les brandir comme les produits d’une action délibérée de certains acteurs sociopolitiques du régime précédent. L’insinuation est qu’ils n’auraient aucun mérite et se seraient exclusivement attelés à ruiner la république sans y apporter une quelconque valeur ajoutée. Et toujours dans la rhétorique du chef d’ACAJ, dans son discours de clôture, son postulat premier et celui de la reconstruction de l’Etat de droit dans cette dispensation. Cette idéation qui revient de plus en plus dans la narrative de certains intellectuels, voire des professeurs congolais, est utilisée erronément, si pas trompeusement. La vérité historique et politique granitique de la RDC est que la reconstruction de l’Etat Congolais moderne, avec ses organes d’Etat de droit, a été accomplie de 2001 à 2018. Elle n’a pas été parfaite. La nouvelle dispensation a plutôt la mission historique et politique non pas de réinventer la roue par prétention messianique, mais d’impulsion additive-méliorative de cet Etat de droit dans son opérationnalisation impartiale. La tendance à vouloir altérer l’histoire et à manipuler la conscience collective en voulant faire croire que le « big bang » de la refondation de l’Etat (de droit) commence avec cette dispensation, procède d’une distorsion intellectuelle de l’histoire à des fins politiciennes, présentant les nouveaux gouvernants émanant de l‘opposition comme des messies politiques. Et plus grave, cet esprit manichéen a même été auréolé du nihilisme par un professeur speaker à ce séminaire qui a scandé sans aucune nuance « …cette coalition de pacotille qui n’a pas d’idéologie, la sève et les capacités nécessaires de conduire le pays vers le bonheur » (actualite.cd, actu24.org 26 Sept. 2020). En d’autres termes, ce séminaire serait condamné à l’infécondité en impact sociétal, car les gouvernants au pouvoir et leurs élites souffriraient, en croire ce professeur, d’indigence en génie politique exigé par le progrès reluisant de la République. Une automutilation intellectuelle.
2. CARRENCE EPISTEMIQUE EN MODELES MODERNES DE LA PERFORMANCE GOUVERNEMENTALE
De la thématique du séminaire, en passant par la trame des sujets traités (cohérents en eux-mêmes) aux résolutions formulées, il y a un certain degré de déficience épistémique (corpus de connaissances systématisées dans un champ scientifique ou technique donné). Dans les universités de pointe, dans les prestigieuses entreprises internationales, et dans les Etats avancés, la performance gouvernementale s’est établie comme un rayon très spécialisé en leadership stratégique et en management opérationnel («performance leadership and management »). La performance du gouvernement (impliquant la gouvernance dans la nation) possède son patrimoine de connaissances systématisées constituant tout un gisement scientifique et technique. Il est donc aléatoire d’organiser un séminaire sur la « performance dans la gouvernance de la Nation » dénué d’extraction à partir du gisement épistémique moderne en la matière. Au regard des matières traitées, ce séminaire aurait pu porter en titre sur «la lutte contre la corruption pour la maximisation des revenus de l’Etat ». Et plus fondamentalement, les résolutions de ce séminaire ne présentent aucun model moderne de la performance gouvernementale pratiqué dans les Etats qui se développent de manière remarquable. Aucune stratégie d’une synergie nationale du monitoring-évaluation de la performance étatique n’est esquissée.
Brève démonstration de ces deux carences. La thématique porte sur la «performance dans la gouvernance de la nation» mais les axes du séminaire présentent une unicité épistémique approximative sur la thématique fondamentale de la performance dans ses aspects essentiels du leadership d’Etat et de la gouvernologie pour l’impulsion d’une productivité en élan de maximisation constante. Sur cet aspect, par exemple, le diagnostic posé s’est concentré sur les déficits en gouvernance de 2001-2018, en y projetant une imagerie catastrophiste. On y a observé le déficit d’honnêteté intellectuelle et l’assèchement en rectitude-rigueur scientifique pour étendre en profondeur l’exploration sur la causalité de la récurrence (étonnante) des irrationalités en leadership d’Etat et en management d’Etat, dans cette dispensation de 2019-2020. Cela donne l’impression que les nouveaux gouvernants ayant accédé à l’imperium aujourd’hui seraient, eux, des leaders messianiques de l’Etat et de la nation par leurs vertus managériales salvatrices. Pourtant, l’expérience actuelle de 2019-2020 indique qu’un tel captage intellectuel est factice et tout démarche scientifique ou technique aboutissant à une telle conclusion manichéenne (les bons contre les mauvais) est auto-falsifiante, aux regards des détournements et autres transactions mercantilistes déplorés dans cette dispensation de 2019-2020. Donc la rigueur analytique porteuse de scientificité en la matière aurait cernée une causalité systémique et sociétale capable de permettre la formulation des solutions porteuses d’une faculté corrective générale, avec des effets curatifs même dans la société et dans la conscience collective. La performance participe aussi d’une culture de leadership et de management dans une société.
Même si leur pertinence partielle est indubitable, les résolutions proposées à l’issue de ce séminaire sont la reprise en échos des déclamations prescriptives entendues dans plusieurs assises depuis 2001. On n’y cerne pas une innovation stratégique ou opérationnelle pouvant véritablement actionner une gouvernementalité et une praxis innovante en leadership stratégique et en management d’Etat pour une performance étatique constamment améliorée. Pourtant, dans les pays qui réalisent des progrès remarquables même en Afrique (Sénégal, Rwanda, Kenya, Ile Maurice), par exemple, les gouvernants et leurs experts formés en la matière recourent aux modèles modernes innovants comme la « Performancestat» et la «deliverology » (version britannique axée sur des projets stratégiques). Ces modèles sont venus améliorer la gestion axée sur les résultats en apportant la dimension plus technoscientifique, le leadership stratégique et la consolidation de la démocratie. Cela notamment par le recourt à la computation, aux statistiques algorithmiques et « l’e-government », et surtout la procédure des séances publiques de la redevabilité démocratique. Et plus saillant, les résolutions ne proposent aucun système référentiel de gouvernométrie prescrivant les paramètres quantitatifs d’évaluation des institutions, des ministères, et des services publics. On n’y trouve même pas la proposition d’une loi sur la performance gouvernementale.
3. DE LA PERFORMANCE EN GOUVERNANCE A LA PRESIDENCE A LA NARRATIVE D’AUTO-SUBLIMATION
La performance du gouvernement n’est pas spéculative mais fondamentalement quantificative des résultats, impacts et progrès réalisés dans les vies des citoyens. Comme l’a si savamment souligné Michel Foucauld au sujet de la gouvernementalité et le progrès des nations, il faut d’abord se gouverner soi-même pour mieux gouverner les autres. La CCM et l’APLC auraient dû commencer par organiser ce séminaire sur la performance dans la gouvernance par des sessions pédagogiques substantielles, procédant par un diagnostic rigoureux sur la gouvernance de la Présidence de la République elle-même. De sa conversion en laboratoire d’orchestration du détournement de $57 millions du programme présidentiel (sans aucune capacité de détecter et d’exposer ce crime, sans que le Chef de l’Etat ne soit informé, pendant plus de 15 mois), en passant par la gabegie à la Maison Civile du Président, et aux dépassements budgétaires gigantesques (symptomatiques des détournements), sur fond d’abondantes exonérations fiscales émanant de la Présidence, ce service public hypertrophique est loin d’être un foyer model de la performance dans la gouvernance. C’est pourquoi certains diplomates conviés à ce séminaire ont épinglé un certain cynisme dans la démarche de diabolisation unidirectionnelle des gouvernants de 2001-2020.
En termes de sociologique politique, on ne réalise pas mais le phénomène de la compétition des élites pour le pouvoir dans la société est en mouvement intense en RDC. L’alternance a transféré la Présidence de la République dans les mains d’une nouvelle oligarchie intello-technocratique (dont certains membres sont des intellectuels brillants). Contrairement à la présomption d’une technocratie impartiale, les pesanteurs partisanes voire ethno-tribales et courtisanes prédominantes dans ce service public, font que cette oligarchie intello-technocratique entend conserver le pouvoir et sert l’agenda idéologique du segment politique dominant dans cette structure étatique. Un de ses stratagèmes est la composition-diffusion des narratives promouvant et martelant l’image des adversaires politiques ayant géré la dispensation passée comme des agents incurables de la ruine de la RDC et qui doivent être constamment avili dans l’opinion. Couplée à la narrative des élections en 2033 et la conservation du pouvoir pendant 370 ans, ce genre de séminaire vecteur des matériaux idéologiques de la prédominance politique des uns sur les autres, ne peut pas contribuer au progrès de la République.
4. CONCLUSION
L’INTELLIGENCE SYNERGÉTIQUE POUR LE PROGRÈS DE LA GOUVERNANCE DANS LA RÉPUBLIQUE
La Res Publica comme produit et espace existentiel de la raison pour le progrès collectif, ne peut pas connaitre des avancées remarquables sans mutation de notre intellectualité, de notre scientificité et notre technicité au service de ladite République. La République est un foyer civilisationnel où nous nous exorcisons des allégeances primaires, des reflexes de la horde (partisane, tribale, raciale) pour éclore comme des Etres pensants rationnellement, capables de découvrir les autres et discerner les possibilités de construire ensemble une collectivité prospère. Dans le cas de la RDC et de ce séminaire, la déconstruction de sa discursivité démontre que le « Pacte Républicain » auquel ACAJ en tandem avec la Présidence de la République font allusion est une incantation hypocrite condamnée à l’immatérialité. Il est intellectuellement et socialement impossible d’avoir un pacte républicain quand on plonge dans la partialité cognitive et l’illogisme consistant à refuser de reconnaitre les mérites d’une dispensation historico-politique, en ne martelant que ses déficits, tout en diabolisant ses gouvernants aux fins de leur oblitération politique. L’éthique et la logique politique républicaine exigent que pour construire ensemble, l’on déploie l’intellect cartésien, la science et la technicité de manière symétrique pour capter rationnellement ce qui a été réalisé, ses déficits, les contraintes et possibilités réelles, à capitaliser pour les avancées tangibles. Cela impose le ploiement d’une intelligence synergétique pour mieux cerner et discerner les modalités de la conjonction des connaissances et expériences pour construire la République. Toute approche discriminatoire et une discursivité basée sur le prédicat d’un Congo trouvé en catastrophe totale est fallacieuse et traductrice d’une fausse cognition historique. La mission de cette dispensation n’est ni la refondation de l’Etat, ni la réinvention de la République. Ce processus multidimensionnel a été déjà enclenché de 1997 à 2018. On raterait la mission historique de ce régime qui est essentiellement additive-méliorative et comprend, notamment l’amélioration de l’unité-cohésion nationale, la solidification fonctionnelle de l’Etat, l’accélération de l’émergence, par le tabula rasa et la réinvention de la roue. La production intellectuelle révèle le fond de la pensée et donc de l‘Etre. L’intellectualité d’une nation structure la conscience collective et détermine sa destinée.
Kabasu Babu H.K
Libre-penseur, écrivain et Politologue (Formé à Harvard University K.S.G. en Pilotage de la Performance du Gouvernement)