Nobili, une entité située en territoire de Beni, dans l’Est de la République démocratique du Congo, a vibré au rythme d'une foire agricole exceptionnelle dénommée « Mwanamke na Mazingira ». Du 5 au 8 novembre, des centaines de femmes rurales, issues de la concession forestière de Banyangala-Kikingi et celles de la chefferie de Watalinga, ont présenté leurs produits et partagé leurs savoir-faire dans les efforts du développement rural. Les deux premiers ont été marqués par un défilé, des centaines de femmes portant des messages de sensibilisation, une exposition de leurs productions agropastorales à un public immense pur, qui s’est clôturée par une tombola.
Un succès majeur
Tous les produits exposés ont été écoulés. Un réseautage a été établi entre les femmes de la CFCL et celles venues des autres régions de Beni, de la commune rurale de Luholu et du territoire de Lubero qui ont pris part à ces activités.
Les deux derniers jours ont été consacrés à un partage d’expériences entre les femmes. Celles-ci ont tourné spécifiquement autour de leurs stratégies de réussite, à savoir les associations villageoises d’épargne et de crédits et les Kitebe, ces structures de solidarité et de vente groupée des produits agricoles.
Une foire pour valoriser les produits locaux
Cette foire a été une 'occasion de valoriser les produits agricoles locaux, tels que les légumes, les fruits, les petits bétails et les produits artisanaux. Un engouement a été observé sur tous les stands ce qui a permis à toutes les exposantes d’écouler leurs marchandises à des prix intéressants.
L'événement a également permis de sensibiliser les consommateurs à l'importance de soutenir l'agriculture locale et de consommer des produits sains et durables appelés communément ‘produits Bio’.
Neema Ngayihembako s’est réjoui d’avoir écoulé ses tomates d’équivalent de trente dollars américains en un jour.
« C'est depuis treize ans que je vends les tomates et poireaux qui m’aident à nourrir ma famille de sept enfants. Je n’ai jamais encaissé en une seule journée 30 dollars. Chaque jour du marché, j’encaisse difficilement 15 dollars. Mais grâce à la foire, j’ai réussi le double, et ça m’épargne de la pourriture », se réjouit cette veuve dont le mari a été tué dans une embuscade des rebelles sur l’axe Mbau-Kamango, il y a quelques années.
Les AVEC, une banque des femmes rurales
Les femmes de Banyangala-Kikingi et celles de la chefferie des Watalinga ont démontré leur savoir-faire en mettant en place des systèmes d'épargne et de crédit collectifs, les Associations villageoises d'épargne et de crédit (AVEC) et les KITEBE (structures de vente groupée de cacao : NDLR).
En effet, les AVEC sont des mécanismes qui leur permettent d'épargner de petites sommes d'argent de manière régulière et de se prêter de l'argent entre eux à des taux d'intérêt abordables. Ces associations jouent un rôle essentiel dans l'autonomisation économique des populations, en particulier dans les zones rurales où l’accès aux crédits est quasiment inexistant avec l’absence d’une quelconque institution de microfinances dans la zone.
En dix ans, la CFCL Banyangala Kikingi a pu mettre en place 27 AVEC, avec chacune, en moyenne 25 personnes et, voire pour certaines 40 personnes, majoritairement de femmes. À en croire les témoignages de participantes, les AVEC produisent des fruits.
Sylvie Kavira, membre de l’AVEC “Gala Letu (Notre galerie)” témoigne que l’AVEC lui a aidé à demarrer un commerce de riz et à s’acheter un champ dans lequel elle cultive le haricot, l’arachide, les choux, le soja et les poireaux.
« Je me suis emprunté 100 dollars, j’ai acheté un champ, j’ai produit de culture et grâce aux dividendes, j’ai réussi à scolariser les six enfants de mes sœurs », se réjouit-elle.
Les Kitebe, une stratégie de vente groupée qui fait la cote
Dans la région de Nobili où proviennent d’importantes quantités de cacaos, les paysans ont lancé d’autres structures de solidarité, épargne et crédit dénommées « Kitebe ». Opérationnelles aux côtés des AVEC, ces structures n’ont pas pour part sociale de l’argent comme dans les AVEC, mais plutôt de produits vivriers.
Un “Kitebe”, c’est un regroupement d’une dizaine des cacaoculteurs qui contribuent chaque 15 jours, 5 kilogrammes de cacao chacun, et cela, pendant un cycle de trois mois. Avec leurs productions groupées, ils cherchent un marché rémunérateur et partage les bénéfices à chaque fin du cycle.
“Notre région fait face à un afflux des acheteurs de cacao. Ils ont tous besoin de la marchandise. Nous avions constaté que plus, vous trouvez une quantité importante de cacao, plus ils vous gratifient avec un prix rémunérateur pour vous fidéliser. Étant des petits producteurs, nous avions décidé de nous grouper dans nos Kitebe. Dans tous les Kitebe, une part vaut 5 kilogrammes et vous pouvez chaque fois verser des parts plus importants selon votre capacité de production”, explique Zawadi Nganda, présidente du collectif des associations féminines de Beni et membre du Kitebe Kawe Kawe.
Les premières contributions de 5 Kg constituent un capital réservé aux emprunts pour ceux qui demandent des crédits à rembourser avec un taux de 10 %. Et tous ces fonds, parts bimensuelles et dividendes sont partagés à la fin du cycle trimestriel. Ces Kitebe aident les paysans à participer à la négociation des prix de leurs produits. Mais jusque-là, la stratégie ne s’applique qu’à la culture de cacao très prisée.
Des défis demeurent
Au-delà du cacao, d’autres cultures demeurent sans marché. C’est le cas du manioc qui est un aliment de base dans la région de Nobili. Avant, les paysans congolais évacuaient leurs productions en Ouganda. Mais depuis que les localités ougandaises en produisent et suite à l’impraticabilité des routes de desserte agricole qui peuvent faciliter leur évacuation dans des grandes agglomérations de consommation comme Oïcha et Beni, les paysans peinent à écouler leurs productions du manioc.
Nziavake Syntiche, mère de 15 enfants dont dix aujourd’hui en âge scolaire, vient de totaliser un mois sans réussir à écouler son sac de cossettes de manioc qui revient pourtant à 40 milles Shillings ougandais (près de 10 dollars américains).
Pour d’autres cultures comme les légumes, les paysans peinent à les conserver. Ils encaissent régulièrement des pertes.
« Il y a deux mois, j'ai perdu deux paniers de tomates. Elles ont toutes pourri », a-t-elle confié.
Faute d’institutions de microfinance dans la zone, les femmes membres des AVEC et Kitebe peinent à trouver où place leur argent rétribué à la fin de leur cycle d’affaires. Pour certaines qui les thésaurisent dans les maisons, elles endurent le calvaire de certains maris qui les prennent et engagent des dépenses non prévues.
« Actuellement, nous avons peur de dire à nos maris combien de parts, nous détenons dans les Avec ou Kitebe. Certains prennent notre argent et s’en servent pour s’enivrer ou épouser des concubines. Notre richesse, c’est devenu également source de dispute dans plusieurs foyers », a révélé séance tenante une femme membre d’une Kitebe.
La responsable du service de genre famille et enfants en chefferie de Watalinga dans laquelle se trouve Nobili a plaidé pour l’éducation à l’approche genre et l’éducation financière en faveur de plusieurs familles qui gagnent de l’argent dans les AVEC et Kitebe mais ne savent pas planifier leurs dépenses.
« Nous voulons que ces structures deviennent des véritables moteurs de développement socio-économiques dans nos entités », plaide-t-elle.
Organisée par le Centre d’appui pour le développement intégral en milieu rural (CADIMR) avec l’appui technique du Réseau CREF et financier de The Tenure Facility, cette foire s’est inscrite dans le cadre d’accompagnement des communautés dans la foresterie communautaire.
Clarice Butsapu, Chargée de communication du Réseau CREF