
Lettre ouverte à l’Honorable Tony MWABA KAZADI Député National
Assemblée Nationale – République Démocratique du Congo
Objet : Réplique à votre réaction à la lettre ouverte de Maître Thomas LUHAKA sur l’accord conclu à Washington
Honorable,
La lettre ouverte de Me Thomas Luhaka exprime des préoccupations fondées, partagées par de nombreux Congolais, à la lecture de l’accord de paix conclu à Washington entre la RDC et le Rwanda. Ces interrogations relatives aux zones d’ombre entourant cet accord, appellent des réponses claires et précises de la part de la Ministre d’Etat, Ministre des Affaires Etrangères, de la Coopération Internationale et de la Francophonie.
Votre réaction du 5 juillet 2025 à cette lettre ouverte, bien qu’inscrite dans le débat démocratique, suscite des interrogations supplémentaires dans la mesure où elle s’écarte de l’examen de fond pour s’attarder sur des considérations péripheriques.
Les attaques dirigées contre l’auteur de la lettre ouverte laissent une posture partisane, peu propice à la clarification attendue sur les points soulevés. C’est dans un esprit républicain et avec un profond sens des responsabilités que, en tant acteur politique, je m’associe à ce débat d’intérêt national. Mon intention n’est pas d’entretenir la polémique, mais de contribuer à la recherche de la vérité.
I. Une défense désarticulée et juridiquement fragile
Vous affirmez que l’Accord de Washington constitue une mise en œuvre pratique de la Résolution 2773 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Cette affirmation révèle, soit une ignorance manifeste des mécanismes du droit international public, soit une tentative délibérée de travestir les faits pour détourner l’attention du peuple congolais.
La Résolution 2773, adoptée le 21 février 2025, en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, a force obligatoire. Elle exige le retrait immédiat et sans condition des RDF du territoire congolais. En signant un accord bilatéral qui subordonne ce retrait à la neutralisation préalable des FDLR par les FARDC, la RDC introduit une condition étrangère à cette Résolution. Ce glissement est juridiquement inacceptable, car il affaiblit la résolution, en modifiant son esprit, son contenu et son échéancier d’exécution.
Contrairement à ce que vous tentez de faire croire, l’Accord de Washington ne complète pas la Résolution 2773, il en vide le cœur. Il s’agit d’un phénomène connu que l’on qualifie parfois de *modulation conventionnelle d’une norme contraingnante,* c’est-à-dire le contournement d’une résolution du conseil de sécurité des Nations Unies par un accord bilatéral.
I.1 De la démonstration de l’affaiblissement de la Résolution 2773 par des cas pratiques de la vie internationale
Comme l’a justement souligné le Président Delly Sesanga dans son adresse à la Nation du 30 juin 2025, cet accord incarne une diplomatie de soumission, et non de souveraineté:
« L’histoire retiendra que nous avons transformé une victoire diplomatique obtenue à New York en reddition négociée à Washington. »
Ce constat fait écho à plusieurs précédents en droit international public où des accords bilatéraux ont neutralisé ou affaibli l’efficacité des résolutions contraignantes des Nations Unies:
1. Bosnie-Herzégovine (1995) : Les Accords de Dayton ont suspendu de facto certaines résolutions du Conseil en contournant les sanctions prévues.
2. Israël–Palestine : Les Accords d’Oslo ont mis entre parenthèses les résolutions 242 et 338.
3. Irak (2003-2006) : Des accords post-invasion ont neutralisé la résolution 1511.
4. Soudan (2005) : Le Comprehensive Peace Agreement a redéfini les modalités d’application des résolutions onusiennes.
Tous ces exemples prouvent une constante position sur la scene internationale que c’est la partie la plus affaiblie qui finit par céder.
Ce que le gouvernement SUMINWA a signé à Washington, par le biais de la Ministre d’État, entre dans cette logique: ce n’est pas un accord de paix, c’est un désengagement stratégique maquillé, une capitulation juridique négociée.
II. Défendre un silence diplomatique coupable n’est pas du patriotisme
Vous reprochez à un citoyen de ne pas avoir explicitement dénoncé le Rwanda. Mais ce reproche devrait d’abord être adressé à ceux qui, au Sommet de l’Etat, ont signé un accord sans: désigner l’agresseur, exiger le retrait immediat et sans condition des troupes Rwandaises, Obliger la réparation des dommages causés aux victimes.
L’Accord de Washington reprend intégralement les exigences rwandaises sans reconnaissance explicite de l’agression rwandaise. La clause selon laquelle:
« L’État congolais s’engage à mettre fin de manière irréversible et vérifiable à tout soutien aux FDLR…» en y intégrant cette clause vous avez fait avouer au Congo ce qu’il a toujours nié et ma plus grande peine est de constater le silence sur l’aggression Rwandaise sur notre sol dans le texte. Pourtant, le dernier rapport des experts de l’ONU de juillet 2025 est formel:
Le Rwanda est directement impliqué dans l’agression de notre territoire.
Malheureusement pour les Congolais, l’accord de Washington transforme une exigence contraignante (retrait immédiat) en faveur conditionnelle. Pendant que nous débattons, les troupes rwandaises restent bien installées.
Cher Honorable, ce n’est plus un accord de paix. C’est une reddition narrative.
III. L’unité nationale ne signifie pas l’aveuglement collectif
L’unité nationale ne se décrète pas dans le déni. Elle se construit sur la transparence, le dialogue inclusif, et la verité. Comme l’a justement déclaré *le Président Sesanga:
« Il ne peut y avoir de solution pérenne sans poser les vrais diagnostics, sans affronter les racines du mal: l’agression, la mauvaise gouvernance, et le double langage. » La RDC mérite une diplomatie souveraine fondée sur l’intransigeance de la defense de sa souverainété, cohérente dans la conduit de son action.
IV. Votre appel au patriotisme
Vous affirmez que les critiques contre l’accord fragilisent la nation. Permettez-moi de vous rappeler que la loyauté envers la Republique ne consiste pas à se taire face aux erreurs de gouvernance mais d’élever la voix lorsque les gouvernants s’engagent sur une voie périlleuse.
le Président Sesanga disait: « Ce n’est pas la critique qui divise. C’est le mensonge d’État, l’incompétence impunie, et l’engagement du pays dans des accords que nul n’a débattus. »
Cher Honorable, Le patriotisme ne rime pas avec silence aveugle.
V. En conclusion
Votre intervention ne répond pas aux préoccupations exprimées. Elle les contourne. Elle les minimise. Elle trahit un malaise plus profond : celui d’un pouvoir désorienté incapable de trouver la solution à la crise sécuritaire depuis la résurgence du M23. Je vous le dis avec conviction, au regard de tout ce qui précède : cet accord constitue un recul, un affaiblissement des acquis consacrés par la Résolution 2773, et un blanc-seing accordé à l’agression. Face à cette faillite diplomatique, il nous faut une politique étrangère alternative, claire, ferme, et résolument tournée vers la Refondation du Congo.
Là où vous avez tenté de défendre l’indéfendable, nous avons choisi d’en dénoncer lucidement les pièges par respect pour nos soldats, pour nos populations meurtries de l’Est, et pour la mémoire des principes qui fondent la vie publique internationale.
Veuillez croire, cher Honorable, en l’expression de mes salutations patriotiques et républicaines.
Fait à Kinshasa, le 07 juillet 2025
Me RAMAZANI BEKOLA Rodrigue