Dialogue : les leçons d’histoire de Jean-Marie Mutamba !

Lundi 28 décembre 2015 - 06:03

Il n’est nullement question de rechercher au Dialogue, un unanisme moutonnier, ni de s’inscrire, inutilement,  sur  les mêmes voies escarpées qui, naguèrent, conduisirent le pays vers un précipice. Tout en souhaitant que le Dialogue, tel que convoqué par le Président de la République, Joseph Kabila, débouche sur des solutions à même de débloquer le processus électoral et, par-dessus,  tout l’ensemble de mécanismes liés naturellement, aux règles de jeu constitutionnellement admises, Jean-Marie Mutamba, Professeur d’Université de son état, se fait sa propre religion de péripities historiques  auxquelles la RD. Congo a été confrontée, depuis le tourbillon des années 60. Il en tire quelques leçons qu’il partage, ici, avec tous les chercheurs et analystes aux esprits vifs.Au cours de la Conférence-Débat organisée par l’ICREDES et le Groupe Médias 7, le  samedi 12 décembre dernier, Jean-Marie Mutamba Makombo, Professeur Emérite à l’Université de Kinshasa,  a donné sa version,  quant à la tenue du dialogue national  initié par le Chef de l’Etat. Après avoir retracé les anciennes rencontres qui se sont déjà  déroulées en RD. Congo, il a relevé en six points,  les leçons à tirer. Selon ses analyses, il est important  que  cette grand-messe soit  inclusive ; accorde une attention à la composition de ses  membres ; se tienne dans un cadre qui rassure tous les participants et leur donne des garanties de sécurité ; que l’ordre du jour et la durée optimale soient déterminés. Bien plus, le  rôle du médiateur est  fondamental et que le  strict respect  de l’application des résolutions soit consacré.     A l’en croire, le Président de la République de la Constitution de Luluabourg en 1964,  devait être élu par un corps électoral. Ce dernier était composé des membres du Parlement et des délégués de la ville de Kinshasa  qui votent dans la Capitale, ainsi que des membres des Assemblées Provinciales qui votent au Chef-lieu de la province qu’ils représentent.  De  même, le nombre et la durée des mandats de l’actuel Président de la République ont été verrouillés par le législateur pour favoriser l’alternance et éviter l’usure du pouvoir et la dictature. Car, en 1965, « les cinq ans pembeni » se sont transformés en « cent ans tomotombele ».  Lisez, ci-dessous,  l’intégralité de cette analyse qui, de toute évidence, aligne des arguments pertinents. 

A la lumière de l’histoire que pouvons nous tirer comme leçon ?

  1. Le dialogue national doit avoir un caractère inclusif. Cela veut dire qu’il ne doit pas exclure des personnes ou des groupes qui auront beau jeu par la suite de contester ses conclusions. A la table ronde politique de janvier 1960 à Bruxelles, les politiques congolais ont eu la sagesse d’imposer aux belges,  la présence de Patrice-Emery Lumumba qu’on a dû sortir de prison pour l’impliquer, malgré l’opposition du Gouverneur de province. Par contre, le fait qu’on ait fermé la porte de la Conférence Nationale Souveraine à Laurent-Désiré Kabila et à son parti, le PRP, explique pourquoi Mzee ne s’est jamais senti concerné par  ces assises.
  2. Une grande attention doit être accordée à la composition des Membres du dialogue National. Quelle est leur représentativité ? qui doit-on inviter ? quel est le quota à reserver aux différentes composantes ? A  la table ronde politique, en dehors des chefs coutumiers, on a pris en compte le poids des formations politiques par rapport aux élections : ceux qui avaient emporté les élections, et ceux qui avaient pesé par l’abstention. Par ailleurs, toutes les onze délégations avaient,  chacune,  une voix pour qu’il  n’y ait pas de petite délégation, et  de grande délégation. A la Commission Constitutionnelle de 1964, on a tenu à faire représenter toutes les forces vives.
  3. Le dialogue national doit  se tenir dans un cadre  qui rassure tous les participants et leur donne des garanties de sécurité. A Coquilathville, la sécurité de la délégation katangaise ne fut pas rassurée ; son leader Tshombe fut arrêté. Au conclave de Lovanium, les conditions qui y ont été déployées et ont assuré le succès des travaux ; mais Antoine Gizenga qui n’était pas rassuré n’a pas quitté Stanleyville pour participer aux travaux. Le lieu de la Conférence a souvent suscité des inquiétudes. En 1960, si on est allé à Bruxelles, c’était pour être près des autorités belges (Gouvernement et Parlement), et de l’opinion belge. Mais pourquoi Tananarive ? pourquoi Sun City ? pourquoi Pretoria ? pourquoi Lusaka ?
  4. L’ordre du jour est important.  De quoi va-t-on parler ? Plusieurs composantes sont d’avis qu’il faut réserver et limiter ces assises à  un consensus sur le processus électoral à  venir. Du reste, le Chef a épinglé cinq points dans son dernier discours : le fichier électoral, le calendrier électoral, la sécurisation des élections, le financement des élections et le rôle des partenaires étrangers. D’autres veulent boycotter le dialogue  pour ne pas cautionner « un glissement » et une transition qui sont dans  l’air. Ils sont d’avis que faire traiter  aujourd’hui par les assises du Dialogue national,  des matières qui écornent-que dis-je-, qui violent l’article 220 de la Constitution est très dangereux. On ne peut plus revenir sur le suffrage universel, pratiqué depuis 1967. Le Chef de l’Etat de la Loi fondamentale a été  élu en 1960 par la Chambre des Représentants et le Sénat. Le Président de la République de la Constitution de Luluabourg en 1964 devait être élu par un corps électoral composé des membres du Parlement et des délégués de la ville de Kinshasa  qui votent dans la Capitale, ainsi que des membres des Assemblées Provinciales qui votent au Chef-lieu de la province qu’ils représentent.  De  même, le nombre et la durée des mandats du Président de la République (5 ans, renouvelable une seule fois)  ont été verrouillés par le législateur pour favoriser l’alternance et éviter l’usure du pouvoir et la dictature. En 1965, « les cinq ans pembeni » se sont transformés en « cent ans tomotombele ». Le suffrage universel est un acquis du souverain primaire.
  5. Quelle est la durée optimale ?

Combien de jours se donne-t-on pour terminer les discussions? La table ronde politique de 1960 a demandé 1 mois, le conclave de Lovanium  a pris 12 jours. La Commission Constitutionnelle a demandé 100 jours en 1964. Compte tenu des échéances électorales prévues par la Constitution, il faut aller vite, et ne plus perdre du temps. On ne va pas au dialogue pour les per diem de la CNS.

  1. Le rôle du médiateur est important aussi. On a vu comment la CNS avait failli chavirer avec le premier médiateur, et comment la situation avait pu être récupérée avec son successeur, Mgr Monsengwo.

Le Président Kabila a répondu aux attentes de plusieurs personnes en proposant les noms de 4 personnalités étrangères à l’attention du Secrétaire Général de l’ONU.

Sans douter de l’expertise de ces grandes personnalités, je me demande, pourquoi l’on se tourne  toujours du côté de l’étranger pour arbitrer nos différends. Le Congo fait penser à un couple qui fait toujours intervenir un étranger pour arbitrer ses désaccords. Hier, c’était Wade, le sénégalais, ou  Ket Masire, le Botswanais. N’y a-t-il personne de sage dans ce pays qui puisse se mettre au-dessus de la mêlée ? A-t-on oublié le jugement de Wade sur nos hommes politiques.

«Ils n’ont pas de culture politique ! », nous ne devons pas oublier que  les pays n’ont pas d’amis, mais seulement des intérêts.

  1. Le succès de la Table Ronde Politique de 1960 est dû au fait que les résolutions arrêtées à ces assises ont été appliquées.  Le  suivi de la Table Ronde a été  assuré par une commission composée des délégués congolais qui ont travaillé avec le Ministre du Congo. Par contre, le demi-échec de la Conférence Nationale Souveraine s’explique parce que toutes les résolutions n’ont pas été suivies d’effets. Les Concertations Nationales de 2013 dont la plupart des résolutions n’ont pas été prises en compte.
  2. Je voudrais terminer mon propos,  en faisant appel à l’esprit du Front Commun. Les Congolais, pourtant divisés,  en modérés et en nationalistes, en partis ethniques et régionaux, ont pris à la veille de l’ouverture de la Table-ronde politique à Bruxelles « l’engagement solennel d’unir leurs efforts en vue de  l’accession du Congo à l’indépendance immédiate dans l’unité nationale,  en défendant les mêmes politiques sur toutes les questions inscrites à l’ordre du jour».

Il n’est pas question aujourd’hui d’un unanimisme moutonnier. Mais,  les personnes appelées au Dialogue doivent penser à la restauration de notre dignité bafouée. Elles doivent être soucieuses de l’intérêt général et de notre souveraineté. Elles ne doivent pas trahir le Congo. Je forme le vœu que ce dialogue nous aide à bâtir  un pays plus beau qu’avant  et à assurer sa grandeur».

Jean-Marie Mutamba Makombo

Professeur Emérite/Université de Kinshasa