Haute Cour Militaire, Affaire Chebeya : la commission rogatoire réclamée

Mardi 21 juillet 2015 - 10:45

Selon Me Richard Bondo, seule la constitution rapide de cette commission permettra de se rendre à Dakar pour y entendre le major Paul Mwilambwe, un de principaux témoins sur les circonstances de l’assassinat du responsable de la Voix des Sans Voix

La Haute Cour Militaire (HCM) siégeant au second degré en matière répressive et pénale dans le Procès de double assassinat de deux défenseurs des droits de l’homme, membres de l’Ongdh » La Voix des Sans Voix pour les Droits de l’homme (VSV), Floribert Chebeya et Fidèle Bazana Edadi poursuit l’instruction de cette affaire en chambre foraine à la prison centrale de Makala, dans la Commune de Selembao.

Au cours de l’audience d’hier lundi 20 juillet, la HCM devait examiner et entendre le médecin légiste Dr Tchomba, au sujet de l’autopsie que ce dernier a faite avec son homologue néerlandais sur le corps de Floribert Chebeya.

Mais comme le Dr Tchomba est en mission à Kisangani, les avocats des parties civiles ont conditionné le débat sur ce rapport d’expertise médico légal par la présence de ce médecin.

S’appuyant sur l’article 171 du code de la justice militaire, Me Richard Bondo Tshibombo, un des avocats des parties civiles, a appelé à la mise en place d’une commission rogatoire composée des avocats de la défense, des parties civiles et des hauts juges de la HCM pour entendre le Major Paul Mwilambwe actuellement réfugié au Sénégal.

Selon Me Richard Bondo, cette commission aura la mission de se rendre à Dakar, capitale du Sénégal, afin d’auditionner cet ancien bras droit du Général John Numbi Tambo Banza, suspect N°1 dans le double assassinat de Chebeya et Bazana.

En réaction à la demande formulée par l’avocat Richard Bondo, le président de céans, le Colonel Ekofo, a brandi l’article 253 ,alinéa 4, du code de justice militaire qui ,selon lui, indique que cette demande peut se concrétiser selon l’appréciation souveraine des juges.

Mais, on sait que face à l’inaction de la justice congolaise, la Fédération internationale de droit de l’homme (FIDH) et les familles des victimes avaient décidé de déposer plainte avec constitution de partie civile, le 2 juin 2014, devant la justice sénégalaise sur base de la loi sénégalaise dite de compétence extra territoriale du 12 février 2007 qui intègre en droit sénégalais la Convention des Nations Unies contre la torture.

Selon cette disposition du Code pénal sénégalais, les tribunaux sénégalais peuvent juger toute personne suspectée de torture, si elle se trouve au Sénégal, même si la victime ou l’auteur du crime ne sont pas sénégalais et que le crime n’a pas été perpétré au Sénégal.

Cette plainte vise Paul Mwilambwe, l’un des responsables présumés dans l’affaire du double assassinat des défenseurs Floribert Chebeya et Fidèle Bazana et qui a trouvé refuge au Sénégal.

C’est ainsi que la justice sénégalaise a fait suite à cette plainte en entendant, pour la première fois, le 26 août 2014, les parties civiles, confirmant ainsi la plainte et ouvrant l’information judiciaire sur le double assassinat des défenseurs des droits humains Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, alors que l’affaire était bloquée en RDC.

Le 8 janvier 2015, Paul Mwilambwe, a été entendu par un juge d’instruction sénégalais avant d’être inculpé et placé sous contrôle judiciaire à Dakar.

Les craintes d’un procès bâclé

Au cours de l’audience publique d’hier, il y a eu un moment de discussion intense entre les avocats de deux parties, les juges et le Ministère public(MP) sur la question de droit au sujet du rapport d’expertise médico-légal et sur la présence du Dr Tchomba.

Les avocats des parties civiles ont déploré le comportement de la Haute Cour Militaire sur les questions sensibles devant permettre de faire toute la lumière sur le double assassinat de Chebeya et Bazana.

Un avocat des parties civiles abordé dans le couloir a dit redouter que les juges cherchent à bâcler le procès pour protéger certaines personnes.

Les parties civiles restent convaincues que l’affaire Chebeya et Bazana sera rejugée, en faisant référence au cas Hissène Habré dont le procès a débuté hier lundi à Dakar et à celui de Thomas Sankara où la justice Burkinabe se penche actuellement.

Les avocats des parties civiles déplorent également l’argument défendu par la défense qui souhaite que le procès aille vite. Pour eux, l’intérêt dans ce procès au second degré est d’éviter toute erreur judiciaire. Donc, il n’est pas question d’aller vite dans cette affaire.

Mais, il faut revérifier tous les actes et entendre toutes les personnes ayant participé de près ou de loin au double assassinat de Chebeya et de son chauffeur.

C’est dans ce cadre que la HCM a entendu hier lundi Deck Kanyinda, conseiller juridique de Airtel Congo au sujet des relevés téléphoniques.
La prochaine audience est prévue le jeudi 23 juillet 2015, la HCM pourra entendre les experts de vodacom et Tigo pourquoi pas l’épouse du Colonel Daniel Mukalay.

Rappel des faits

Convoqué le 1er juin 2010 par le général John Numbi Banza Tambo, inspecteur général de la police nationale congolaise (IG/PNC), Floribert Chebeya avait été retrouvé sans vie le 2 juin 2010, le matin, dans son véhicule, tandis que Fidèle Bazana est porté disparu jusqu’à ce jour.

A l’issue d’un procès marqué par de nombreux incidents, la Cour militaire de Kinshasa a reconnu, le 23 juin 2011, la responsabilité civile de l’État congolais dans l’assassinat de Chebeya ainsi que dans l’enlèvement et la détention illégale de Bazana par plusieurs de ses agents et a condamné 5 des 8 policiers accusés, dont 4 à la peine capitale et un à la prison à perpétuité.

Trois des condamnés à mort sont toujours en cavale, et trois policiers dont l’instruction avait pourtant révélé le rôle dans la disparition de Fidèle Bazana, ont été acquittés.

Le 7 mai 2013, la Haute cour militaire, saisie en tant que juridiction d’appel, s’est déclarée incompétente pour instruire les questions procédurales et a décidé de saisir la Cour suprême de justice, qui fait office de Cour constitutionnelle, ce qui a suspendu de fait la procédure judiciaire d’appel.

Le 21 avril 2015, après près de deux ans d’interruption, le procès en appel a repris devant la Haute cour militaire.
En première instance comme actuellement en appel, aucune procédure judiciaire n’a été engagée par les autorités congolaises pour instruire le rôle joué par le général John Numbi, qui a été depuis remplacé à la tête de la police nationale. Ce, malgré l’existence de preuves et le dépôt de plaintes nominatives par les familles des deux défenseurs.

Par Godé Kalonji Mukendi