L’Ambassadeur de France aux Congolais : « Il faut savoir quitter le pouvoir … quitter ses fonctions »

Mercredi 15 juillet 2015 - 11:58

Quoique respectée, la tradition a connu hier une variante de taille avec le démarrage de la cérémonie par l’exécution de la chanson historique et immortelle de « Indépendance Cha Cha » de l’inoubliable Jeff Kabasele par l’orchestre « Bakolo miziki ». Ladite cérémonie de la fête de l’indépendance de la France a connu la présence d’invités triés sur le volet, à savoir des autorités et personnalités politique, de la société civile, des affaires, de la culture, de la science

et des représentants des pays et organismes accrédités à Kinshasa. Une présence fort remarquée a été celle du Cardinal Laurent Monsengwo, Archevêque de Kinshasa.
L’Ambassadeur de France qui vient de totaliser 8 ans de service en RDC, en a profité pour annoncer son départ dans deux semaines pour rejoindre un autre poste ailleurs. Du 1er conseiller jusqu’aux fonctions d’ambassadeur et ce, pendant les périodes sensibles de la transition 1+4, du référendum, des élections de 2006 et celles de 2011 ainsi que les multiples soubresauts de la vie politique, économique et sociale de l’histoire aussi agitée que le fleuve qui vous fait face ce soir, a souligné Luc Hallade.
Dans son discours de circonstance, Luc Hallade a rendu un hommage particulier à toutes les organisations du système des Nations-Unies, dont particulièrement la Monusco, qui ont abattu un travail de titan pour ramener et consolider la paix en RDC. Son pays, la France, n’est pas restée en reste car a-t-il précisé, la France a aussi connu une histoire agitée.
A l’endroit de la classe politique, Luc Hallade n’a pas été tendre. Bien au contra ire, il a lancé un appel pathétique pour « qu’elle ne croit pas à penser que la politique de ce grand pays se joue, se fait et se défait dans un cercle et un périmètre restreints, comme si, au sein du vaste Con go, la République de la Gombe devait décider du sort et du destin du peuple congolais tout entier, à son profit ». Par F.M.

DISCOURS POUR LA CELEBRATION DU 14 JUILLET 2015

Son Eminence le Cardinal Laurent Monsengwo, Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères, Mesdames et Messieurs les Ministres, Monsieur le Gouverneur de la ville-province de Kinshasa, non découpée, Honorables députés et sénateurs, Messieurs les Officiers Généraux, Messieurs les Hauts Magistrats Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et Chefs de missions diplomatiques, Mesdames, Messieurs, Chers amis, Chers compatriotes,

Ce 14 Juillet est un peu particulier pour moi et ma famille.
Vous voudrez donc bien me pardonner ce protocole un peu raccourci.
C’est probablement la dernière fois que je m’adresse à vous en tant qu’ambassadeur de France en RDC. Je vais en effet, d’ici quelques semaines, quitter mes fonctions et ce beau pays, dans lequel j’aurai passé, au total, 8 ans de ma vie et de ma carrière professionnelle, et qui m’aura beaucoup apporté.
Comme l’a dit dans d’autres circonstances un personnage qui a marqué la vie politique du Congo:« Comprenez mon émotion ».

J’aurai connu, d’abord comme Conseiller, puis comme Ambassadeur de France, une période particulièrement dense et riche de l’histoire de la RDC : celle de la transition, du 1 +4 et du ClAT; le référendum sur la Constitution en 2005, les élections de 2006, celles de 2011 et les multiples évènements et soubresauts qui ont marqué, entre 2003 et 2015, la vie politique, économique et sociale du Grand Congo, à l’histoire aussi agitée que le Fleuve qui vous fait face ce soir.
Quel bilan en tirer? Le Congo est-il, comme le dit son hymne qui vient d’être chanté, «plus beau qu’avant»?
Oui, bien sûr. Le Congo est en paix, avec ses voisins et à l’intérieur de ses frontières, à quelques régions près malheureusement. Il lui a fallu pour cela surmonter bien des obstacles. Il a pu aussi compter sur l’indéfectible soutien de la Communauté internationale, illustré notamment par l’action stabilisatrice de la MONUSCO, qui a succédé à la MONUC.

Depuis plus de 15 ans, avec leurs défauts et leurs insuffisances, mais aussi avec les grandes qualités, la valeur et la bravoure de leurs contingents, la MONUC, puis la MONUSCO, ont contribué au rétablissement et à la préservation de la paix en RDC, à la protection de ses populations civiles, à la réforme de son armée, à la défense et à la promotion des Droits de l’Homme, à l’organisation des élections.
La Communauté internationale y a consacré plus de 20 milliards de dollars, une somme énorme, à la mesure des défis et des enjeux de cet immense pays, au cœur d’une Afrique encore trop souvent soumise à la violence, aux guerres et à l’instabilité, voire au terrorisme.
Mais elle a surtout accompagné, jour après jour, année après année, la reconstruction de l’Etat Congolais, indispensable au rétablissement de l’autorité publique et de sa crédibilité aux yeux des autres nations, mais aussi de sa population.
Beaucoup de chemin a été accompli, et beaucoup reste à parcourir. Les mois qui viennent seront déterminants pour, soit consolider la paix et approfondir la réconciliation entre les fils et les filles du Congo, soit au contraire retourner en arrière et défaire ce qui a pu être fait depuis 13 ans, depuis les accords de Sun City qui ont mis fin à la guerre qui a déchiré le Congo et provoqué la mort de millions de Congolais.
La paix est une condition nécessaire du développement. Mais ce n’est pas une condition suffisante. Il faut aussi une réconciliation sincère, une mobilisation générale de toutes les forces vives de la nation et des politiques publiques appropriées.
Il faut surtout cultiver le sens de l’intérêt général pour mieux combattre ou au moins harmoniser les intérêts particuliers.
Ceci implique de la hauteur de vue, une vision claire et déterminée de ce que l’on veut construire ou reconstruire, et aussi d’être à l’écoute de la population, de ses attentes, de ses espoirs et de ses frustrations.
C’est à ces qualités que l’on reconnaît les hommes d’Etat, ceux qui laissent dans l’histoire de leur pays voire de l’humanité le souvenir de bâtisseurs de paix, d’espoir et de développement, a contrario de ceux qui défendent des intérêts égoïstes ou des visions de court terme.

Un paradoxe m’aura particulièrement marqué durant ces 8 années passées au Congo. La population congolaise, qui a beaucoup souffert et continue à beaucoup souffrir, a fait preuve d’une capacité de résilience remarquable. Beaucoup d’autres nations, confrontées aux mêmes épreuves, se seraient effondrées.
Pourtant le Congo est toujours là, et les Congolais debout, comme un peuple fier qui croit à son destin.
Mais dans le même temps, l’élite politique, majorité comme opposition, semble continuer à penser que la politique de ce grand pays se joue, se fait et se défait dans un cercle et un périmètre restreints, comme si, au sein du vaste Congo, la République de la Gombe devait décider du sort et du destin du peuple congolais tout entier, à son propre profit.
De ce point de vue, une décentralisation bien pensée et bien construite, dénuée d’arrière-pensées et de calculs politiques, pourra contribuer à élargir le cercle de cette élite, qui a trop longtemps confisqué le pouvoir à son profit.
De ce point de vue aussi, l’alternance politique, quelle que soit la forme qu’elle prendra, pourvu qu’elle soit démocratique, est ou sera une bonne chose. Il faut savoir quitter le pouvoir, comme il faut savoir quitter ses fonctions, aussi intéressantes et prestigieuses soient-elles.
Il y a tellement de choses à faire dans ce beau pays! Tellement de ressources et de richesses à mettre en valeur, que la politique ne peut et ne doit pas être un métier ou une fin en soi.

Il faut un certain courage pour cela. « De l’audace, encore de l’audace » ...
Permettez-moi ce soir, pour clore ce chapitre politique, de souhaiter pour le Congo que ses responsables, quels qu’ils soient, sachent faire preuve de courage et d’audace pour conduire le pays sur la voie de l’apaisement et de la réconciliation.
«Nul n’est prophète en son pays» dit la maxime. Mais certains ont plus que d’autres la responsabilité et le devoir moral de montrer la voie.

Puisque ce discours est en forme de bilan, permettez-moi aussi de me féliciter devant vous de la place éminente que mon pays a jouée et continue de jouer pour accompagner la RDC dans sa stabilisation et sa reconstruction.
Je n’en suis bien sûr ni le seul responsable, ni même le seul comptable, loin de là. A cet égard, je voudrais devant vous rendre un hommage appuyé et adresser des remerciements mérités à toutes celles et tous ceux qui m’ont accompagné et soutenu pendant les années de mon mandat.

A tout seigneur tout honneur. Je commencerai par remercier mon épouse, et à travers elle mes enfants, nos enfants.
Sans une famille solide et unie, sans l’affection des miens, notamment dans les moments difficiles ou délicats qui ne manquent pas, jamais je n’aurais pu exercer mes fonctions avec dévouement, constance et droiture. J’ai toujours été sincère dans mon engagement pour ce pays et loyal vis-à-vis du mien. Mais cette sincérité et cette loyauté s’enracinent dans celles que j’ai toujours eues à l’égard de mon épouse, de ma famille. Je la et les remercie, du fond du cœur, de m’avoir fait confiance et de m’avoir toujours soutenu, dans les joies comme dans les peines, dans les succès comme dans les échecs.

Je remercie aussi mes collaborateurs, français et congolais. On dit souvent qu’on a les chefs qu’on mérite. Je ne sais pas si la réciproque est vraie. Mais si j’en crois mon expérience, alors je dois avoir beaucoup de mérite pour avoir eu des collaborateurs et collaboratrices qui ont travaillé avec dévouement, engagement et loyauté à mes côtés. Sans eux, rien de ce que j’ai pu accomplir n’aurait été possible.
Merci donc à vous toutes et à vous tous. Je ne vous oublierai pas. Et, pour celles et ceux qui restent au Congo, je vous demande de continuer à défendre, aux côtés de mon successeur, les mêmes valeurs de solidarité, entre vous et avec nos amis congolais.
J’ai souvent parlé de l’« équipe France ». C’est à mes yeux plus qu’un concept. C’est une réalité vivante, qui se construit jour après jour. Continuez à promouvoir cet esprit d’équipe, sans lequel rien n’est possible et sans lequel tous les efforts individuels restent vains.

Ce n’est qu’ensemble que l’on réussit de grandes choses.
« Last but not least » comme disent nos amis anglo-saxons, je voudrais remercier toutes les Congolaises et tous les Congolais, petits et grands, qui m’ont fait la joie et l’honneur de leur amitié et de leur confiance durant toutes ces années.
Votre pays est attachant. Vous êtes attachants. Sinon, je n’aurais pas demandé à y revenir comme ambassadeur, 4 ans après l’avoir quitté comme 1er Conseiller.
Ce sont votre amitié et votre confiance qui m’ont donné la force et le courage d’accomplir, du mieux que je l’ai pu, ma mission dans ce pays. Je vous en sais gré et me souviendrai longtemps de vous, de vos joies et de vos peines partagées, des échanges toujours francs et constructifs que nous avons pu avoir, de l’aide et de la compréhension que vous m’avez apportées.

Enfin, à mes compatriotes, à ceux qui vivent ici comme à ceux qui sont de passage, je voudrais dire la fierté qui est la mienne de les avoir représentés, assistés, défendus parfois dans ce pays certes accueillant mais pas toujours facile, où l’Etat de droit reste encore trop souvent un concept flou.
Soyez fiers vous aussi de ce que vous accomplissez Ici, pour vous-mêmes, vos familles, vos sociétés ou organisations, mais aussi pour l’image et l’influence de la France.

S’il n’y a qu’un seul ambassadeur en titre, il y a autant de représentants de la France qu’il y a de Français en RDC. N’oubliez donc jamais que vous aussi, dans vos sphères d’activité respectives, vous représentez la France.
Notre pays a lui aussi connu une histoire agitée. Nous avons fêté cette année le 70ème anniversaire de la fin d’une guerre qui a bien failli le voir disparaître, n’eût été l’audace et la clairvoyance de certains et le courage voire le sacrifice de beaucoup.

Souvenons-nous, même si nous ne les avons pas connues, de ces heures sombres. Souvenons-nous aussi que ce n’est que rassemblés que les Français ont pu reconstruire la France. Et s’il est un conseil que nous pouvons, modestement, donner à nos amis congolais, c’est bien celui-là: la nécessité du rassemblement de son peuple pour assurer la grandeur d’un pays.
En 1945, comme l’a dit le Général de Gaulle de Paris à la Libération, la France s’est remise debout. Puissent les Congolais faire de même en 2015 et dans les années à venir.
Un bon discours étant un discours bref -sauf à Cuba sous Fidel Castro et dans quelques autres contrées ou à des époques révolues, j’arrêterai là mon propos, pour vous laisser profiter de l’excellent buffet préparé comme chaque année par Noël Camilieri et toute l’équipe du CafConc.

Accordez-moi cependant encore quelques instants d’attention pour remercier tous les «sponsors» -mais je préfère parler de partenaires et d’amis-qui ont bien voulu contribuer à l’organisation de cette soirée, dont j’espère que vous garderez comme moi le souvenir d’une soirée réussie et conviviale. Après tout, le 14 Juillet se veut aussi la Fête de la Fraternité:
Le Club Français des Affaires et son Président, David Guamieri, AGS, AGB, Air France, Bank of Africa, BIVAC, Bolloré Africa Logistics, BRACONGO, le CafConc, CFAO, le CMK, Congo Paint, Delmas, Distritec, Gras Savoye, KPMG, Nestlé, Orange, la Pâtisserie Nouvelle, PERENCO, PERNOD RICARD, Pullman Grand Hôtel, Rayon Vert, SERVAIR, SMS, SODEICO, TENKE FUNGURUME MINING, TOTAL.
Qu’ils trouvent tous ici l’expression de mes sincères remerciements.
Merci aussi à toute l’équipe de la Résidence et de l’Ambassade de France qui, comme chaque année, n’a pas ménagé sa peine pour faire de cette soirée un évènement auquel, je le sais, chacun de vous a toujours à cœur de participer et d’être présent.

Une petite précision enfin sur le programme des festivités de ce soir:
Vous allez assister dans quelques instants à un défilé de mode, à l’occasion duquel une jeune créatrice congolaise que nous avons voulu, mon épouse et moi-même, mettre en lumière: Mme Fanny MANDINA, présentera ses créations, que portent déjà certaines femmes ce soir, dont la beauté est ainsi mise en valeur. Elles se reconnaîtront.
Je remercie la Sté VLISCO et sa directrice générale Mme Monique GIESKES, d’avoir bien voulu lui apporter leur soutien pour l’organisation de ce défilé.
Après quoi, pendant que vous goûterez aux charcuteries et fromages français apprêtés par Noël et son équipe, l’animation musicale sera assurée par 4 groupes congolais:
Deux « abonnés »de cette réception: la Chorale Mgr Luc Gillon et l’orchestre Afrojazz, et deux « nouveautés» sur la scène congolaise, ou du moins celle de la Résidence:

Le groupe « Deuxième Bureau» de Rémi Bernier, à la batterie, Evan Mac Millan à la guitare et Anders Mantius à la basse. Ces trois musiciens, qui vous joueront des standards du rock, prouvent qu’on peut, malgré de lourdes occupations professionnelles, s’adonner à la musique à ses moments perdus. J’imagine que dans leur cas, elle leur permet de se détendre et ils en ont fait leur 2ème bureau, ce qui ma foi en vaut bien d’autres ... Et enfin un groupe de toujours jeunes musiciens qui sont les héritiers et dépositaires de la rumba congolaise authentique, les « Bakolo Miziki », qui vous feront danser au son des standards de la musique d’ici, qui a inspiré tant d’artistes contemporains.
Je les remercie tous d’avoir accepté de venir animer cette soirée, pendant laquelle il vous sera loisible, entre deux verres de vin ou de champagne, d’éliminer vos kilos superflus sur la piste de danse ou plutôt l’herbe des jardins de la Résidence, qui s’en remettra.
Bonne soirée à tous et à toutes, et place au défilé de mode, dont je ne doute pas qu’il retiendra mieux votre attention que mon discours, décidément trop long.

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