Dans un langage sans fioritures, Adolphe Muzito, Premier ministre honoraire, a affronté par le bais de l’Université libre de Bruxelles, la difficile diaspora congolaise. Il a disséqué les différents défis qui tenaillent le pays, à savoir le leadership politique. Abordant le Conclave de Genval et le dialogue politique, Adolphe Muzito dit soutenir l’idée d’un compromis pour des élections apaisées. Dans la capitale belge, il n’a pas eu sa langue dans la poche, au motif, a-t-il soutenu, que c’est l’avenir de la RDC qui est en jeu.
Le Potentiel
Privé de conférence au pays, alors qu’il tenait à échanger avec des étudiants sur qui repose l’avenir de la RDC, c’est finalement à Bruxelles, capitale de l’Europe, auprès de l’intraitable diaspora congolaise que Adolphe Muzito Mfumunsi, Premier ministre honoraire, est allé exposer sa vision pour l’émergence de la RDC, son pays.
Les organisateurs de cette série de conférences sont en effet heureux d’avoir réussi cette gageure de faire entendre la voix d’un des membres influents de la Majorité présidentielle en Europe sans qu’il y ait des cris dans la salle ou encore une intervention musclée de la police pour évacuer les fauteurs des troubles. Tout s’est déroulé dans le calme le plus absolu, rapportent des sources locales. Une sérénité propice à un échange de haut niveau ainsi que l’ont admis tous les participants.
D’entrée de jeu, Adolphe Muzito s’est interrogé à haute voix si la RDC continue à exister comme Etat, nation ou économie. A ses propres interrogations, l’ancien Premier ministre a donné des réponses simples mais qui renvoient aux tribunes qu’il avait alignées au profit de la nation entière.
S’il est acquis que la RDC a un territoire, un pouvoir organisé et un peuple, il est difficile, dénonce-t-il, de donner les gages réels de l’existence de l’Etat congolais. Muzito s’en défend. Il pense que le péché originel de 1960 poursuit toujours la RDC au point que sans opérer la réconciliation avec l’histoire, il ne serait pas indiqué de parler d’un Etat pour le cas de la RDC.
Comme nation, la RDC est une mosaïque de tribus et ethnies qui se transforment en base politique, même si tous se reconnaissent être vivre dans un même pays. Et comme économie, l’extrapolation de l’activité économique du pays ne peut conduire à affirmer qu’il existerait une économie congolaise au sens strict du terme.
Pour atteindre l’idéal d’un Etat moderne, tourné vers son développement, le pays doit relever des défis. A travers la lutte contre la pauvreté, Adolphe Muzito a identifié six paliers à franchir. Il s’agit du défi de la pauvreté : à travers la faiblesse de son PIB qui s’élève à 1,40 Usd par jour ; du défi du chômage avec plus de 50% de la population active ; du défi de la faillite de l’Etat, incapable de faire face à ses obligations ; du défi de l’extraversion de l’économie qui voudrait que la RDC consomme ce qu’il ne produit pas, l’économie toujours tournée vers l’extérieur ; du défi des infrastructures : 5 % de tracé colonial ; du défi de leadership politique et social.
Mais, pour l’ex-Premier ministre, tous ces paliers reposent sur un seul, c’est-à-dire le sixième, le leadership politique et social, déclencheur d’une reprise en main du destin de la RDC.
Adolphe Muzito est d’avis que la RDC souffre d’un déficit de leadership politique caractérisé par le faible poids de partis politiques ; l’émiettement de son électorat ; l’instabilité des formations constituant la Majorité ou l’Opposition ; la faible adhésion de la population aux politiques publiques ; la désaffection de cette population vis-à-vis de principaux partis et plates-formes politiques ; l’absence de cohésion due à la brièveté de vie, à la précarité et à l’instabilité des partis et des plates-formes politiques ; l’absence d’idéologies pour les formations politiques qui par conséquent ne peuvent assumer le rôle dirigeant attendu dans les institutions publiques et dans la société. Sans une remise en question, rien ne pourrait sauver la classe dirigeante et le pays.
Aussi a-t-il fustigé des politiques inchangées qui pilotent l’action au sommet de l’Etat. Ce qui, selon lui, rendrait quasi impossible l’atteinte de l’émergence, puisqu’il faut pour y remédier par des politiques alternatives.
« Un troisième larron viendra nous chasser »
Abordant l’actualité brulante immédiate, Adolphe Muzito a mis le doigt dans la plaie. « Si on ne trouve pas un compromis rapidement, nous serons tous chassés comme en 1960, 1964, 1993 et 1997 », a-t-il lancé, devant un auditoire sensible à son appel. Il s’est inspiré du passé pour corroborer sa thèse. En 1960, majorité et opposition ont été neutralisées au lendemain de l’indépendance avec l’assassinat du Premier ministre Lumumba. En 1964, Tshombe qui avait gagné les législatives et Kasa-Vubu ont été chassés par un coup d’Etat militaire pendant qu’ils perdaient leur temps dans des discussions stériles et sans issue.
Tout comme en 1997, alors que la Conférence nationale souveraine avait tout balisé, c’est l’AFDL qui est venue imposer un ordre nouveau.
Il craint que l’histoire ne se répète comme en 1960 ou en 1997. Si les Congolais tardent à se mettre d’accord, ce sont les autres qui viendront trouver la solution à leur place. Ainsi, pour Muzito, le dialogue politique est plus qu’inévitable. C’est le passage obligé pour que les Congolais s’approprient véritablement leur destin.
Le temps est venu, pense-t-il, de quitter l’hypocrisie pour prendre à bras le corps le traitement du problème qui se pose à la classe politique. Etienne Tshisekedi l’a compris en proposant le schéma du dialogue en vue d’un compromis, contrairement aux nouveaux opposants qui n’ont pas compris que le vent qui pourrait souffler avec le troisième larron balaierait tout le monde, Majorité et opposition. C’est l’appel au réalisme politique qu’a lancé Adolphe Muzito depuis Bruxelles.