La fin du mandat présidentiel en RDC : déterminants politiques et juridiques

Mardi 19 avril 2016 - 12:40
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Il y a eu, dans l’histoire politique de la RDC, quatre Présidents de la République. Aucun des trois premiers n’a connu une fin de mandat régulière. C’est dire aussi que les textes constitutionnels ou légaux concernant la fin du mandat et l’avènement d’un successeur, n’ont jamais été appliqués à ce jour. Ces expériences du passé nous permettent de tirer deux leçons :

1° les déterminants politiques commandent toujours l’élaboration et l’application  de la Loi ;

2° les déterminants politiques internes sont eux-mêmes tributaires des déterminants extérieurs, qui échappent souvent à l’attention des acteurs internes.

1. Quels  sont les termes  du débat ?

Le débat politique en RDC porte sur le retard ou les difficultés dans l’organisation des élections dans le délai constitutionnel. Mais plus précisément, la question essentielle  porte sur l’attitude du Président  Joseph Kabila devant une échéance : il termine, en décembre 2016, son deuxième et dernier mandat constitutionnellement autorisé. En 2011, déjà, devant les risques d’organiser l’élection  présidentielle au-delà du délai constitutionnel, le débat avait été ouvert. Mais, le Président Joseph Kabila n’était pas  alors à la dernière limite de ses possibilités d’exercer un mandat présidentiel dans la durée impartie par la Constitution.

Certes, Joseph Kabila n’a rien dit qui pousserait à le soupçonner de vouloir  rempiler. Mais les pratiques de fragilisation de certains partis, la présentation d’un Plan Stratégique de Développement pour les années à venir, et, surtout,  le retard et l’absence d’un calendrier électoral de référence, tout indique que  « le glissement » du mandat au lendemain de la date limite est inévitable. Ce qui ouvre des interrogations, et une vive tension au sein de la classe politique.

 

2. Quel est l’enjeu : la continuité de l’Etat face à l’alternance ?

 

L’enjeu institutionnel, c’est bien évidemment  «  la continuité de l’Etat ». Et c’est ici qu’il convient de rappeler que les dispositions qui tendent à assurer la continuité de l’Etat déterminent aussi bien l’arrivée du successeur que la date, les conditions et le rituel du départ du président en exercice. Face à cet enjeu institutionnel, certaines démarches évoquent la dérogation. Mais avant même d’étudier la question du mécanisme de dérogation, il faut accepter d’envisager la fin du mandat présidentiel selon deux schémas prévus par la Constitution :

1° le schéma normal où toutes les étapes ont été respectées jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu

2° le schéma exceptionnel de la vacance pour toute cause prévue par la Constitution, essentiellement l’empêchement définitif ou la destitution caractérisée par l’existence effective de la personne qui ne peut plus exercer la fonction, suite à une force contraignante et malgré son éventuelle volonté de demeurer.

En effet, en monarchie, on crie « Le Roi est mort, vive le Roi » et le successeur est le Dynaste déjà désigné et connu. En République,  l’alternance prime, et le successeur « accidentel, qui vient suite à une vacance, est prévu par la Constitution. Aux Etats-Unis par exemple, le Président Kennedy est mort, le Vice-président Johnson, premier sur la ligne de succession, le remplace  aussitôt  et prête serment. Le président Nixon est frappé d’empêchement. Le vice- président Gerald Ford le remplace. En RDC, la vacance a toujours été prévue dans tous les textes constitutionnels par suite d’une cause naturelle ou due à une raison légale, cas de l’empêchement définitif, ou de la destitution prévue notamment dans la Constitution du 24 juin 1967.

Ce qui importe, dans le cadre de cette réflexion, c’est d’établir la différence entre la continuité de l’Etat et la permanence au poste d’un membre animateur de l’Institution.

En analysant la question en 2016, les données et les enjeux ne sont pas les mêmes qu’en 2011. Essentiellement parce que la Constitution empêche au Président Joseph Kabila de prétendre à un 3°mandat (article 70) et la même Constitution interdit d’augmenter la durée du mandat (article 220).

Forte de ces dispositions Constitutionnelles, l’Opposition refuse de légitimer toute modification de la Constitution selon notamment le mécanisme des dérogations connu sous Mobutu en 1991.

La différence de situation et d’enjeux entre 2011 et 2016 se traduit du reste par un paradoxe : le Président Kabila demande aujourd’hui ce qu’il refusait hier, tandis que l’Opposition refuse aujourd’hui ce qu’elle réclamait hier.

En effet, on peut relever les apparentes contradictions suivantes :

En  2011, devant les « obstacles contraignants pour les élections », l’Opposition demandait alors des négociations, elle souhaitait une transition et elle préconisait un gouvernement d’union nationale.

Mais l’intérêt de Joseph Kabila était alors de rester «  légaliste » et les élections ont été organisées « vaille que vaille » non sans avoir changé le mode de scrutin qui était de deux tours, et qu’on a réduit à un seul tour.

En 2016, devant les « obstacles contraignants pour les élections » :

• C’est le Président Joseph Kabila qui réclame le Dialogue, comme nécessité.

• La MP souhaite une transition appelée « glissement ».

• A l’issue du « dialogue » demandé, la MP envisage un gouvernement d’union nationale.

 

3. Les dérogations à la durée du mandat présidentiel

 

Alors, glissement ?  Selon la position de la Majorité Présidentielle brillamment développée par Maître Nkulu, les dérogations à la durée constitutionnelle des mandats sont courantes et régulières dans notre histoire politique. Il ne faut donc pas stigmatiser le seul cas du Président Joseph Kabila. Il en a été ainsi pour les précédents Chefs d’Etat, et il en a été ainsi pour les autres Institutions.

Pour la Majorité Présidentielle : donc, ce qui est « courant » et toléré pour les Sénateurs (4 ans de plus en 2016), pour les gouverneurs, pour les députés provinciaux, devrait être admis et toléré aussi pour le Président de la République, Joseph Kabila. Tout comme cela avait été toléré pour Joseph Kasa – Vubu en 1965, et pour Mobutu Sese Seko, en 1991.

Attaché à son approche « institutionnelle » développée déjà  en 2011, Maître Nkulu relève le fait que la disposition de l’article  70 alinéa 1er a toujours existé dans nos divers textes constitutionnels.

En tous les cas, il n’y a pas de mystère à ce principe. Car, qu’il s’agisse des personnes élues ou des textes législatifs ou règlementaires, il est convenu qu’ils agissent jusqu’au remplacement effectif. Les personnes terminent leurs mandats à l’arrivée de leurs successeurs. Les textes restent en vigueur jusqu’à leur abrogation par un autre texte. Ainsi par exemple : L’article 3 de la Loi Fondamentale du 19 mai 1960 : «  les dispositions qui suivent resteront en vigueur jusqu’à la mise en place des institutions publiques qui auront été organisées par la Constitution ».

En réalité la formule  fétiche  « jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu » n’est apparue que lors de la Conférence Nationale Souveraine, à partir du fameux « Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la période de Transition. » Il y a là trois notions à savoir :

1° l’effectivité : (on n’est plus seulement dans la norme. On est dans les faits.)

2° l’alternance : il s’agira d’un nouveau Président. On précise l’idée du changement.

3° l’élection : il s’agira d’un Président élu. On suppose que ce nouveau Président doit avoir été désigné par élection.

 

Après l’analyse et l’observation de l’application de la Loi fondamentale, de la Constitution du 1er Août 1964 ou même de la Constitution de 1967, il s’est avéré, au regard des aléas de la vie politique, que le fait de définir la fin du mandat par l’arrivée du successeur ne définit pas clairement les conditions ni le rituel ni la date du départ du prédécesseur. Cependant, il y a obligation de départ, et obligation d’installation.

Dans les faits observés sous Kasa-Vubu, et sous Mobutu, le « prédécesseur a tenté de se dérober à son obligation de départ », essentiellement parce que ledit « prédécesseur » nourrissait l’ambition de se succéder à lui-même.

On peut supposer que le Constituant de 1991, a ouvert une brèche pour dire : « tant qu’il n’y a pas élections et désignation d’un nouveau Président de la République, le président en exercice reste à son poste. Mais la question est de savoir comment éviter d’abuser de cette disposition et donc d’échapper à toute personnalisation susceptible de briser l’équilibre et la cohérence républicaine des Institutions. En fait, nous devons nous poser la question de savoir si on peut dissocier clairement l’obligation de départ de l’obligation d’installation du nouvel élu.

C’est à ce niveau que l’histoire politique de notre pays peut être éclairante devant la question de savoir qu’est ce qui a été fait pour « légitimer » ces dérogations ? Qu’est-ce qui a été fait pour que le président Kasa-Vubu en 1964 fût encore là en 1965, envisageant même de rester encore là en 1966 ? Qu’est ce qui a été fait pour que le président Mobutu dont le dernier mandat électif se terminait le 5 décembre 1991,  fût encore là 5 ans plus tard ? Un fait est clair : à force de « dérogation » sur la durée de leurs mandats respectifs, les deux Présidents ont été « brutalement écartés du pouvoir. Kasa-Vubu par Mobutu. Et Mobutu par LD Kabila.

 

Il n’y a pas automaticité : il faut une dérogation. 

Il me semble qu’on ne peut pas raisonnablement considérer comme « héritage historique » des pratiques ou des procédures qui n’ont jamais pu permettre le fonctionnement ou l’application des dispositions constitutionnelles ou légales selon leur esprit et leur lettre.

 

Personne n’a le droit de se prévaloir de ses propres turpitudes.

Le professeur Esambo a bien écrit : « l’actuelle Constitution est considérée comme une réaction aux pratiques jugées néfastes des régimes précédents… », (Dans son ouvrage intitulé  « La Constitution congolaise du 18 février 2006 »

En tous les cas, en admettant même le fait de la dérogation, la question principale est celle d’interroger les circonstances qui ont pu fonder la pertinence de ces  dérogations, et d’interroger les mécanismes et procédures qui ont organisé ces dérogations. Ce qui est particulièrement significatif dans les différents cas de figure, c’est le fait que, dans les deux cas, il n’y a pas eu « automaticité ».

Au plan juridique, il y a eu procédure institutionnelle pour constater la fin du mandat et « autoriser » la prolongation ! Au plan politique, la pertinence de la dérogation était discutable pour Kasa-Vubu, qui a usé et abusé des pouvoirs régaliens  accordés par la Constitution du 1er Août 1964 pour décider de tout en fonction de son ambition à se succéder à lui-même.

Tandis que sous Mobutu, la dérogation avait été cautionnée par la CNS, au décours d’un débat houleux entre les partisans radicaux de son départ  et les partisans de son « glissement ».

Voyons comment cela s’est passé dans les deux situations historiques

 

A. la dérogation en faveur du président Kasa-Vubu.

Avant d’analyser le processus de dérogation, dans ses déterminants politiques et dans ses déterminants juridiques, la durée constitutionnelle du mandat.

 

1° De la durée du mandat du président Kasa-Vubu,

 

Quelle était la durée du mandat du président Kasa-Vubu ?  Aucun texte ne l’a précisé.

La Résolution n°5 de la Table Ronde relative au chef de l’Etat dit en  son point1 : « la désignation d’un Chef de l’Etat dont les actes n’auraient d’effet que s’ils sont contresignés par un ministre du gouvernement congolais seul responsable. »

La même Résolution précise en son point 2 : «  Ledit régime se prolongera jusqu’à la mise en vigueur de la Constitution. »

Ce qui suggère que la durée du mandat de ce premier Chef de l’Etat (Kasa- Vubu en l’occurrence) était lié à l’élaboration de la Constitution définitive.

La Résolution n°6 de la Table Ronde en son point 12 : «  La première législature des Chambres chargées de l’élaboration de la Constitution ne peut être inférieure à trois ans ni supérieur à quatre, sauf le cas de dissolution prononcée conformément à la Constitution ». Celle- ci fixera la date des premières élections des Chambres législatives, compte tenu de la durée des mandats telle que fixée ci-dessus (entre 3 et 4 ans)

La Résolution n° 7 relative à la Constituante prévoyait la convocation des Chambres des Constituantes pour le 30 juin 1960 au plus tard.

La Loi fondamentale du 19 mai 1960 a doté le président de la République de deux pouvoirs déterminants :

L’article 22 « le Chef de l’Etat nomme et révoque le Premier ministre et les ministres »

L’article 31 : le Chef de l’Etat peut  ajourner les Chambres, conformément à l’article 70

L’article 32 : Le Chef de l’Etat a le droit de dissoudre les chambres, conformément aux articles 71 et 72

Et l’article 4 de la Loi Fondamentale disposait que « le Chef de l’Etat et les deux Chambres composent le pouvoir constituant ».

Sans vraiment préciser la durée du mandat, la Loi Fondamentale du 19 mai 1960 a juste précisé le rituel pour le début du successeur, à savoir la prestation de serment. L’article 34 disposait : «  Jusqu’à ce que la loi en ait disposé », le Chef de l’Etat- ou le Président du Sénat appelé à exercer ces fonctions par application des articles 13 et 33- n’entre en fonction qu’après avoir prêté devant les Chambres réunies et en présence du gouvernement, le serment suivant :

Par ailleurs, si la durée de la législature n’était pas clairement précisée, la fin du mandat était déterminée  par l’Article 86 : « Le mandat des membres de la Chambre des Représentants prend fin la veille du jour de la réunion de l’assemblée appelée à la remplacer ». Et par l’Article 97 : «  Le mandat des membres du Sénat prend fin la veille du jour de la réunion de l’assemblée appelée à remplacer le Sénat ».

Le flou était tellement déroutant que même la démission du Premier ministre  Cyrille Adoula et l’arrivée de Moise Tchombe ont surpris les observateurs et les acteurs de la vie politique. Le chroniqueur du CRISP écrit  à ce sujet : « le fait est à ce point  surprenant que les observateurs politiques ont été fort enclins à l’expliquer par des machinations étranges, qui toutes impliqueraient l’existence d’un cerveau et d’une volonté puissants et uniques, œuvrant de manière quasi scientifique, dictant avec une rigueur parfaite leurs comportements aux hommes et aux groupes les plus différents, tant à Léopoldville qu’au niveau des chancelleries et des milieux d’affaires les plus concernés par le Congo. »

Autant dire que les déterminants politiques ont pris le pas sur les normes constitutionnelles ou légales.

 

4. Les déterminants politiques pour la dérogation en faveur du président Kasa-Vubu.

 

Même quand la Constitution définitive a été promulguée le 1er Août 1964, la question de la fin du mandat du président Kasa-Vubu a été davantage suspendue à des déterminants politiques qu’à des exigences juridiques. Nous savons que la Constitution définitive n’a pas pu être élaborée selon la procédure prévue par les articles 99 et 105 de la Loi Fondamentale.

Le contexte politique est celui du rapprochement entre, d’un côté, le président Kasa-Vubu et son bloc CDA (Convention des Démocrates Africains) de l’autre côté, Moise Tchombe qui est revenu au pays le 26 juin 1964 tandis que le Premier Ministre  Cyrille Adoula  démissionne et crée son groupe le RDC (Rassemblement des Démocrates Congolais).

Le contexte sécuritaire est marqué par l’expression de la rébellion dans l’Est et le Nord Katanga (Assassinat de Jason Sendwe le 18 juin 1964).

Le 30 Juin 1964, le Chef de l’Etat prononce une allocution par laquelle il met fin à la première législature et il charge M. Moise Tchombe d’une mission d’information pour la constitution d’un gouvernement de la Transition appelé  gouvernement de salut public.

Le climat politique est dominé par la perspective de l’élection  présidentielle. Cette élection  est prévue au second degré. Le corps électoral est composé des élus des Chambres au niveau central et au niveau provincial.

Sur le terrain, deux ambitions s’affrontent. Celle de Moise Tshombe, leader de la CONACO, qui vient de remporter la majorité aux élections législatives ; et celle du président Joseph Kasa-Vubu.

Un test éloquent se passe alors : fort de ses prérogatives constitutionnelles, le président Kasa-Vubu a nommé E. Kimba 1er Ministre, là où la logique politique pouvait laisser attendre Moise Tchombe, chef de la majorité. Et la majorité a refusé la confiance au gouvernement Kimba.

 

5. Les déterminants juridiques de la dérogation en faveur du président Kasa- Vubu

 

Le contexte juridique est marqué par deux moments clés :

1° le 11 avril 1964, la Commission constitutionnelle adopte un texte à 204 articles destiné à être soumis au referendum sans aucun amendement

2° le referendum qui se déroule du 27 Juin au 10 Juillet 1964, dans les territoires non occupés par les rebelles.

 

C’est au regard des dispositions de la Constitution du 1er Août 1964 que le mécanisme  de la dérogation a pu être appliquée. En effet,  en ce qui concerne le président de la République, l’Article 55 de la Constitution du 1er août 1964 stipule :

– Le Président de la République est élu pour cinq ans.

– Son mandat expire six mois après la fin de la législature.

– Le Président de la République n’est rééligible immédiatement qu’une fois

L’Article 57 de la même Constitution du 1er aout 1964 précisait en son 6e alinéa : «  Le Président de la République élu conformément aux dispositions du présent article exerce ses fonctions jusqu’à l’expiration de la durée normale du mandat de son prédécesseur. » Il est clair que cette disposition, ne concernait pas le mandat du président  Kasa-Vubu obtenu lors de son élection, au second degré, en 1960.

Le président Kasa-Vubu a laissé « glisser » son mandat comme chose normale et régulière en fondant cette dérogation, non pas sur la Loi fondamentale, mais sur la Constitution du 1er Août 1964. Les dispositions transitoires (titre XIV) de la Constitution du 1er Août 1964 indiquaient, à l’article 182 : «  Les pouvoirs du Président de la République actuellement en fonction ne viendront à expiration que lors de la prestation de serment du Président de la République qui sera élu…pour la première fois, conformément aux dispositions de l’article 56 de l’actuelle Constitution. Cette première élection aura lieu six mois après la première réunion des Chambres élues en vertu de l’alinéa 2 de l’article 181. »

Et l’article 181 stipulait : « Des élections en vue de la constitution de nouvelles Chambres auront lieu dans un délai de six mois à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente Constitution ».

Ce délai pourra être prorogé de trois mois au maximum par le Président de la République.

Ainsi, concrètement, il s’est passé ceci :

 

1° La Constitution entre en vigueur le 1er Août 1964. Les élections législatives sont attendues 6 mois plus tard entre février et mars 1965

2° 30 avril 1965 : Clôture des élections législatives est organisée

3° Du 1er au 20 Août 1965 : il est procédé à la proclamation des résultats  des élections législatives.

4° Les élections présidentielles sont prévues au mois de décembre 1965

5° 4 septembre 1965 : le Chef de l’Etat signe l’ordonnance n° 311 convoquant la Chambre des Députés et le Sénat  en session extraordinaire (selon art 182).

6° A ce stade, l’élection présidentielle devrait être convoquée  entre le 20 janvier 1966 et le 19 février 1966 avant l’expiration du mandat du Président de la République.

7° 13 Octobre 1965 : ouverture de la première session ordinaire. Le président Kasa-Vubu annonce la fin du gouvernement de Transition dirigé par le Premier Ministre Moïse Tchombe. Il annonce également  le report de la date des  élections présidentielles qu’il décide de fixer au mois de mars 1966.

 

Certes la Constitution du 1er Août 1964 a installé un régime  présidentiel assez accentué. Mais on a vu Kasa-Vubu personnaliser l’Institution au point de décider « souverainement » des élections et des conditions de remplacement éventuel. Le tout dans une situation où, étant lui-même  candidat président,  le conflit d’intérêt était flagrant. On connaît la suite : le coup d’Etat du 24 novembre 1965.

 

B. La dérogation en faveur du président Mobutu

 

Comme dans l’analyse concernant la dérogation en faveur du président Kasa-Vubu, nous considérons d’abord la durée constitutionnelle du mandat, avant d’aborder les déterminants politiques et les déterminants juridiques qui ont justifié la dérogation.

 

La durée du mandat présidentiel sous la Deuxième république

La durée constitutionnelle du mandat du président de la République était de sept ans. Le président Mobutu avait été réélu en 1984. De sorte que ce  mandat expirait le 05 décembre 1991. En plein processus de démocratisation, de changement de l’ordre politique, et de déroulement de la Conférence Nationale Souveraine.

L’article 37 (modifié par l’article 1er de la Loi n° 90- 002 du 5 juillet 1990 portant révision de certaines dispositions de la Constitution) : «  Le Président de la République est élu pour sept ans au suffrage universel direct  »

 

Les déterminants politiques sous Mobutu

Après la grande modification de la Constitution du 24 Juin 1967, il y a eu,  selon le professeur  Vunduawe-Te-Pemako, une contestation farouche de l’opposition contre le maintien du Président Mobutu au pouvoir après son départ du MPR (Voir VTP) « Droit Constitutionnel » (vol. 2 Page 713).

Le président Mobutu avait pris congé du MPR le 24 avril 1990, en considérant qu’il devait séparer le MPR et l’Etat. Ce qui revenait à dire : certes il était Chef de l’Etat parce que président du MPR, mais il préférait rester Chef de l’Etat. Une démarche somme toute conforme à tout processus de coup d’Etat, comme dans tous les cas de révolution et de changement d’ordre politique.

Pour d’autres, qui étaient manifestement très attachés à la logique du Parti – Etat, ce départ du MPR était une erreur grave car il enlevait toute légitimité reconnue au Président Mobutu lors de son élection en 1984, pour sept ans. A l’approche de la date d’expiration de ce mandat (4 décembre 1991), le débat s’est emballé au sein de la classe politique et de la Conférence Nationale.

Le 4 décembre 1991, le Président de la République adresse un message à la nation, il admet la fin du mandat légitime  lui accordé par le peuple par le suffrage de 1984, et confirme la poursuite de son mandat suivant les dispositions transitoires de la Constitution en vigueur.

Malgré les réactions populaires manifestées dans la nuit du 4 au 5 décembre avec des claquettes de casserole, la Ville s’est réveillée le matin avec la prolongation du mandat du Président. Notons que tout au long de la Conférence Nationale, la démission du Chef de l’Etat était la revendication politique courante de l’opposition et qui nourrissait la controverse politique avec les partis proches du Président, appelés Forces Démocratiques Unies (FDU).

Cependant, Monseigneur Mosengwo, président  de la CNS, avait posé la question en plénière. La majorité des membres de la CNS avaient exprimé le « oui » par la prolongation du mandat du président Mobutu, au-delà du 4 décembre 1991.

 

Les déterminants juridiques

 

            Maître Nkulu l’a bien rappelé dans sa plaquette de 2011, page 12 :  Ayant réalisé et constaté que pour diverses raisons, les élections annoncées dans le discours du 24 avril 1990 ne pouvait avoir lieu dans le délai prévu d’une part, et que le mandat du Président de la République ainsi que celui des parlementaires, arriverait à expiration sans organisation des élections d’autre part, l’Assemblée nationale a introduit dans la Constitution un article : «  Le Président actuellement en fonction demeure Président de la République jusqu’aux prochaines élections ».

Cependant, cette disposition garantit à la fois la continuité de l’Etat et la permanence de la personne  qui incarne l’Institution «  Président de la République ».

Le Président Mobutu est resté au-delà de son mandat légitime pendant 6 ans, de 1991 à 1997.

Une telle dérogation ne peut pas être comptée comme «  héritage positif de notre histoire constitutionnelle » surtout au regard du principe d’alternance. Le contexte était la négociation de la transition en attendant l’entrée en vigueur du nouvel ordre politique.

 

L’approche institutionnelle

 

Au plan de la méthode, qu’est-ce que l’approche institutionnelle permet-elle de découvrir devant la problématique de la fin du mandat du président de la République ? » Une approche Institutionnelle qui serait opérationnelle nous amène donc à rechercher, non seulement les mécanismes des dérogations mais encore et plus, les implications institutionnelles de cette dérogation.

Cependant, l’approche « institutionnelle » ne devrait pas postuler une confusion de plus entre les Institutions dont la nature, la fonction et la forme sont différentes.

Différence par la durée  de mandat : la rééligibilité est illimitée pour les députés et sénateurs. Elle est limitée pour le président de la République.

Différence par les prérogatives, entre un Chef d’Etat défini comme «  irresponsable et inviolable » (Loi Fondamentale) et un Chef d’Etat défini, comme « Chef du pouvoir exécutif » déterminant et conduisant la politique de l’Etat (Constitution du 1er Août 1964). Un Chef d’Etat disposant à la fois du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif, et Père  Fondateur du parti qui est Institution suprême de l’Etat.

Différence par la composition et le nombre : une seule personne pour  l’Institution « Président de la République » ; 500 pour l’Assemblée nationale ; 108 pour le Sénat.

Différence par la fonction. « Chef de l’Etat, représentant et garant du fonctionnement régulier des Institutions » pour le Président, et « représentant du peuple pour les élus ».

Différence majeure par le mode de remplacement, par la vacance : existence des « suppléants » pour les élus. Absence de vice-président pour le Président de la République.

L’intérêt cependant de l’approche institutionnelle présentée par Maître  Nkulu est qu’elle rend opérationnelle deux démarches comparatives :

1° la lecture comparée entre les textes constitutionnels qui se sont succédé ;

2° la lecture critique entre la pratique et la norme. Toutefois, on ne peut pas fonder une approche sur la seule comparaison d’un facteur, en l’occurrence ici le moment et la modalité de fin de mandat.

 

L’approche institutionnelle ne peut être scientifiquement efficace que si elle rend compte des valeurs et des principes qui tendent à établir l’équilibre et la cohérence fonctionnelle entre les Institutions. En l’occurrence ici les valeurs et les principes républicains et démocratiques.

De sorte que la question qui se pose, quand on envisage la dérogation, est celle de savoir si oui ou non les autres Institutions interviennent  et de quelle façon ; et si oui ou non la dérogation ne tend pas à vicier l’esprit et la lettre de la Constitution elle-même.

 

C. La dérogation en faveur du Président Joseph Kabila.

 

1° Déterminants politiques.

Pour ce qui concerne le Président Joseph Kabila, les soupçons ont commencé  déjà en janvier 2011 suite à la modification de l’article 70 alinéa 1er  de la Constitution qui a permis de réduire le scrutin présidentiel de 2 tours à un seul tour. Cela avait déjà suscité des  protestations de la part de l’Opposition.

Ensuite le débat s’est intensifié avec la publication du livre du Professeur Boshab, qui était alors le puissant Secrétaire général du PPRD. L’auteur défendait la thèse selon laquelle « on peut modifier la Constitution », et même toucher aux dispositions « verrouillées » par l’article 220. Cet article interdit notamment de modifier « la durée et le nombre du mandat présidentiel ». La publication du professeur a démontré à contrario, une évidence, à savoir que « sans changement de la Constitution, il n’y aurait pas d’issue pour envisager une éventuelle prolongation du mandat de Chef de l’Etat ».

Puis, fin 2014, début 2015, il y a eu le débat sur le projet de loi électorale. Une des dispositions du projet en discussion établissait clairement « un glissement » ou donc une dérogation à la durée du mandat. En janvier 2015, les populations sont descendues dans  la rue et la disposition à problème a été rejetée.

Ensuite, il y a eu le débat au sein de la Majorité Présidentielle elle-même. Débat suivi d’une grave scission, qui a engendré le G7. Le clivage entre le G7 et la Majorité Présidentielle (MP) s’est ouvert autour de la question du « glissement ».

En Avril 2016 les principales forces politiques de l’Opposition politique, G7, Dynamique de l’Opposition, UNC, et même, UDPS insistent encore sur le devoir d’organiser l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel.

 

Déterminants juridiques

La limitation de la durée définie à l’article 70 alinéa 1er, et verrouillée à l’article 220 impose un empêchement définitif dans le chef d’un Président qui est fin deuxième mandat. Il faut distinguer l’aspect « nombre de mandat » et l’aspect « durée du mandat ». Et, sur ce point, l’esprit et la lettre de la Constitution luttent contre la personnalisation du pouvoir et disent «  un citoyen ne peut exercer les fonctions de Président de la République en une durée qui dépasserait 10 ans ! De sorte que, dans le fil de ce raisonnement, il y a empêchement définitif qui  frappe le Président qui est fin 2ème mandat successif. Il n’y a donc pas lieu de parler de « glissement ». Il faudrait plutôt appliquer l’article 75 et constater la vacance pour cause d’empêchement définitif.

Face à ce raisonnement, une autre tendance s’appuie  sur l’article 70 alinéa 2, qui stipule : «  A la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu ».

Cet article soumet donc la fin du mandat au « temps nécessaire » à l’installation effective du «Président élu ». Selon cette approche, « le glissement » est juridiquement envisageable. Et il n’est pas à confondre avec un troisième mandat qui ne pourrait  être qu’« électif ». On ne peut donc pas invoquer l’application de l’article 75 ni prétendre à une quelconque vacance.

Mais qu’advient-il de ces dispositions constitutionnelles s’il n’y a pas élections dans les délais constitutionnels, c’est-à-dire avant la fin du mandat ?

L’article 73 de la Constitution du 18 février 2006 est aussi très clair en stipulant : « le scrutin pour l’élection du Président de la République est convoqué par la CENI, 90 jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice ».

On pourrait situer le dialogue préconisé et convoqué par le Président Joseph Kabila dans la suite logique des mécanismes qui ont permis de déroger sur la durée constitutionnelle du mandat du président en exercice.

 

Le dialogue, précurseur de la dérogation ?

L’Accord cadre d’Addis-Abeba avait déjà imposé aux parties prenantes l’organisation  d’un dialogue avec, chacune, son Opposition armée ou politique. On peut croire que les concertations politiques organisées par le gouvernement  congolais en octobre 2013 répondaient à cet engagement. Cependant ces concertations n’ayant pas produit un impact significatif, on peut penser que le dialogue récemment convoqué par le  Président  Joseph Kabila s’inscrit dans la suite de cette préoccupation. Cependant, au regard du texte qui le convoque, l’objectif du dialogue semble centrer sur les difficultés d’organiser l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel.

Sans préciser autrement l’objectif du dialogue qui est d’obtenir la dérogation à la durée du mandat du Président de la République Joseph Kabila, la thèse de Maître Nkulu s’articule, à cet égard, autour de quelques affirmations :

• Le dialogue est une nécessité pour obtenir un consensus autour du processus électoral en vue.

• Le dialogue est  une obligation que la loi sur l’Opposition politique impose à la classe politique.

• Le dialogue est profondément ancré dans l’histoire politique de l’Etat congolais.

 

Il en donne  des preuves historiques en citant  toutes les rencontres connues dans l’histoire politique de la RDC.  Mais il aurait pu, selon nous, se limiter au contexte politique qui a fondé la pertinence de la dérogation, et au mécanisme institutionnel  qui en a assuré l’application.

 

CONCLUSION

 

Il y a une certitude : si l’élection présidentielle n’est  pas organisée dans le délai constitutionnel, la tradition montre qu’il faut envisager une dérogation.

Dans le cas des deux présidents cités, Kasa-Vubu et Mobutu, c’est un mécanisme institutionnel qui a été mis en place, à savoir la modification de la Constitution et l’inscription de la dérogation dans le texte constitutionnel.

Cependant les exemples des deux dérogations connues ont été empreints d’une forte tendance à la personnalisation de la Loi, les déterminants politiques ayant été dictés par l’ambition de se succéder à soi-même.

En 2016, au- delà des positions de principe observées dans les différents camps politiques, on discute déjà de l’exception de la dérogation, car il est supposé qu’il n’y aura pas application de l’article 73 qui commande la convocation du scrutin pour l’élection du Président de la République 90 jours avant le 20 décembre 2016 (soit donc en septembre 2016). Il faudra bien en discuter et ce sera vraisemblablement des négociations ardues.

Encore faudra-t-il bien distinguer d’une part la « dérogation » sur un calendrier électoral qui irait hors délai constitutionnel, et, d’autre part, l’imprévisible prolongation du mandat du Président de la République Joseph Kabila Kabange. Par exemple, il me semble évident que la Cour Constitutionnelle, si elle est saisie, pourrait plus certainement être compétente pour accorder une dérogation au calendrier électoral présenté par la CENI ou par le gouvernement, elle ne pourrait pas être compétente pour « prolonger » délibérément le mandat du Président de la République.

Nous avons relevé plus haut les deux obligations qui garantissent à la fois la continuité de l’Etat et l’alternance démocratique : obligation de départ et obligation d’installation. Il ne faut pas que la dérogation légitime l’intention coupable de violer la Constitution,  car l’article 70, en son alinéa 2 stipule clairement : « jusqu’à l’installation effective du nouveau président élu »,  et non « jusqu’à l’élection d’un nouveau président ».

 

                                                                                                Kinshasa, le 11/ 04/ 2016

(Professeur C. Kabuya-Lumuna Sando)