LES PORTS DE KINSHASA : UN HAUT LIEU DE LA DÉBROUILLARDISE

Jeudi 21 juillet 2016 - 05:54
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A l’instar de différents ports de Kinshasa, Baramoto est considéré comme un lieu privilégié de la débrouillardise. Commerçants (détaillants et grossistes), voleurs, badauds… se rencontrent, au quotidien, pour se livrer à leurs activités de prédilection. C’est toute une vie, pour ne pas dire un monde à part.

Nous sommes le lundi18 juillet 2016. La météo indique 27 degrés Celsius. En ce début d’après-midi, le port Baramoto est bondé de monde. Les embouteillages commencent juste à l’entrée de ce port sur l’avenue des Poids lourds jusqu’au quai, au bord du fleuve Congo.
La bousculade ici est provoquée par des mouvements incessants des passagers, commerçants, porteurs, qui se disputent le passage sur la chaussée encombrée par la présence nombreuse des vendeurs en gros et détail, ainsi que des porteurs. Cette ambiance est la même dans tous les ports longeant l’avenue des Poids lourds.

AMBIANCE
Dans cette ambiance, nous apercevons un jeune garçon de 10 ans. Jacky, puisque c’est de lui qu’il s’agit, porte un sac au dos. Malgré la fraîcheur de la saison sèche, il porte une culotte kaki et un T-shirt rouge, complètement couvert de poussière. Son air inquisiteur et ses mouvements incontrôlés attirent la curiosité des gens qui comprennent tout de suite qu’en tournant ses yeux vers le sol, ce jeune est en train de fouiner le moindre grain de maïs pour le mettre dans sa gibecière.
Approché par « Forum des As » sur sa présence en ce lieu, Jacky répond : " Chaque jour, mon grand frère et moi, nous circulons à travers les différents ports pour ramasser les grains de maïs qui trainent par terre. Mes parents sont retournés au village il y a quelques années. Jusqu’à ce jour, ils ne sont toujours pas de retour. J’habite Mikondo chez ma grand-mère ".
Sur ces entrefaites, son grand-frère, Seba, 15 ans, arrive. Il l’aide à transporter le sac de 10 kilos qui est déjà à moitié rempli. La ronde continue. " A longueur de journées, raconte également Seba, nous allons de ports en ports. La quantité de maïs que nous réunissons est le fruit d’une longue marche dans les ports de Nocafex, Sac, Mbassa et autres ".
" Le soir, poursuit Seba, quand nous rentrons à la maison, nous vendons une partie et nous gardons une quantité pour la grand-mère et nous lui remettons également la recette du jour ".

Mamans " bipupula "
Ces genres de débrouillardises sont légion dans les différents ports. Il y a également une catégorie des femmes qui a innové dans un autre genre. Il s’agit des mamans " bipupula " qui, elles, utilisent le tamis pour avoir les déchets, soit de maïs, soit de manioc, mais d’une manière particulière.
" C’est depuis plusieurs années que je fréquente les divers ports, affirme Astrid. Je fais le partage de maïs ou de manioc entre 2 ou 3 personnes qui achètent un sac ensemble. En récompense, je reçois les miettes qui passent à travers le tamis ".
Maman Josée, elle, vient de Yolo. " Je suis veuve, explique-t-elle. Sans ressources financières, je me suis résolu à fréquenter les ports. Cela me permet de nourrir ma famille ".
Les nombreuses femmes qui fréquentent les différents ports pour des négoces sont remarquables par leur accoutrement. Elles portent, pour la plupart, une robe longue avec un pantalon ou un pagne à l’intérieur, des babouches aux pieds et un sac contenant un morceau de pagne sous les aisselles. Les autres sont carrément en pantalon.
A l’opposé des mamans "bipupula", certains débrouillards s’adonnent à une autre pratique, devenue très courante. Il s’agit des femmes qui, elles, disposent d’un peu de moyens financiers. Elles se mettent d’accord avec les propriétaires de la marchandise qui n’ont aucun moyen pour payer les frais de transport de celles-ci.
Elles règlent la facture auprès des transporteurs (bateaux), puis font les calculs sur le montant à payer pour l’ensemble des sacs qu’elles devraient ensuite livrer au propriétaire. Quelque soit le prix de vente, elles ne verseront que le montant convenu.
Maman Kinda souligne à ce propos : "Depuis une dizaine d’années, je ne fais que ce travail. A l’époque, je ne m’engageais que pour quelques sacs. Après la vente, je remettais le montant convenu au propriétaire et je gardais la différence. Au fil de temps, mon capital a augmenté. Aujourd’hui, j’ai un grand dépôt à Yolo. J’achète au comptant et je ne dépends plus de personne ".

DEBROUILLARDISES AUX MULTIPLES FACETTES
Contrairement à Jacky et son frère Seba, à Josée et Kinda, certains fréquentent les ports pour voler. La manœuvre consiste à trouer le sac à l’aide d’un tuyau en plastique. Une fois le tuyau dirigé à l’intérieur, les grains de maïs tombent du sac et se glissent à travers le tuyau pour, enfin, finir leur course dans le sac du voleur.
" Ce phénomène est courant chez les badauds et certaines femmes. Les gens qui volent à l’aide d’un tuyau sont surtout les enfants de la rue. Une fois que tu oses les dénoncer, ils peuvent te rouer de coups sans que personne n’intervienne ", explique une vendeuse rencontrée au port.

ACTIVITES
Tous ne volent pas cependant. On retrouve tout de même des débrouillards qui font leur travail honnêtement. Ils achètent un sac de maïs ou de manioc qu’ils revendent sur place en détail. Mais le port, c’est tout un monde où se côtoient les gens de toutes catégories et où tout se vend. C’est donc toute une vie.
Un marché permanent s’y est installé. On y vend des poissons fumés, salés, de la viande boucanée, de l’huile de palme, les habits usagés et tous les autres articles, tels les gobelets et seaux en plastique.
Les vendeurs à la criée commercialisent aussi divers articles, à l’instar de l’eau en sachet, de la charcuterie et du pain, des bonbons et des biscuits. De nombreux restaurants de fortunes y sont installés ça et là. Mme Chantal tient une gargote au port. Elle fait savoir que ses clients se recrutent parmi les personnes qui fréquentent ce lieu.
Au regard de diverses activités auxquelles les gens se livrent aux ports, on est tenté de dire que tous les moyens sont bon pour vivre.
Dina BUHAKE